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GENEALOGIE DESCENDANTE DE LA FAMILLE DE JEANNE D'ARC : MA VERSION

lundi 15 septembre 2025

Jeanne d'ARC était-elle française ? - Partie 2 : Domremy et Greux de 1150 à 1300 - Seigneuries

Cet article fait suite à :
Jeanne d'ARC était-elle française ? - Introduction
Partie 1 : Domremy et Greux jusqu'en 1150

Dans mon article précédent, j’ai mis en évidence que Domremy et Greux (qui contenait, à cette époque, les Roises et le Saulcy) étaient initialement du temporel de Toul, principauté épiscopale dite « souveraine », qui relevait de l’Empire Romain Germanique.

Mes affirmations étant principalement basées sur les travaux de quelques érudits locaux, elles pourraient légitimement être mises en doute. C’est pourquoi mes prochains articles comportent plusieurs objectifs :

A/ Suivre la chronologie des dons et ventes de biens immeubles au sein des territoires de Domremy et Greux de 1150 à 1300.

B/ Mettre en évidence le fort lien historique existant entre Domremy et Greux à cette époque, ainsi que les traces laissées par leur passé toulois commun.

C/ Décrire la perte progressive de l’influence et souveraineté touloise dans la contrée, et notamment, dans ces deux seigneuries.


A/ Chronologie des dons et ventes de biens immeubles au sein des territoires de Domremy et Greux de 1150 à 1300.

1- Chapelle et ermitage de Bermont

Il nous faut tout d’abord parler de Bermont, lieu situé au nord du territoire de Greux comprenant un ermitage et une chapelle. Jeanne s’y rendait habituellement en pèlerinage tous les samedis, accompagnée de sa sœur, y portait des chandelles qu’elle allumait devant l’image de Notre-Dame, à laquelle elle adressait de ferventes prières. L’origine de la chapelle remonterait au XIᵉ ou XIIᵉ siècle. Elle fut fondée sous l’invocation de Saint-Thiébaut. Elle appartenait alors aux bénédictins de l’abbaye de Saint‑Germain de Bourgueil (diocèse de Tours). Elle était autrefois un hôpital de lépreux qui était doté de plus de 80 jours de terres circonvoisines. L’abbaye de Bourgueil était trop éloignée pour gérer ce domaine de Bermont, elle le céda, en 1263, à Joffroy de BOURLEMONT, qui le réunit à l’hospice Saint-Eloi de Gerbonvaux en 1265.

Plan des territoires de Domremy et Greux au début du 12ème siècle (en bleu, la seigneurie de Greux, en rouge, la seigneurie de Domremy, en orange, le domaine de Bermont).

2- Chapitre Saint Nicolas de Brixey

Initialement, les églises et appartenances de Domremy, Greux et les Roises appartenaient au temporel de Toul. Cependant, la paroisse « Saint Maurice » de Greux fut donnée au chapitre Saint-Nicolas-de-Brixey en 1261 :

« Nous, Gilon [Gilles de SORCY], par la grâce de Dieu, évêque de Toul, portons à la connaissance de tous, qu’avec l’approbation de notre chapitre de Toul, nous avons accordé et nous accordons au chanoines de la chapelle Saint-Nicolas de notre forteresse de Brixey, l’église de Greux et ses dépendances, sur laquelle église, lesdits chanoines ont notoirement droit de patronage, sauf pourtant notre droit et le droit de l’archidiacre du lieu, et à condition qu’une portion convenable sera réservée au vicaire attaché au service de ladite église. En témoignage de quoi, notre sceau et le sceau de notre chapitre sont appendus aux présentes. Donné en l’an 1261, le 3ème jour après le dimanche » (ADMM, G200).

Les paroisses « Saint Rémy » de de Domremy (annexe de Greux) et « la Nativité de Notre-Dame » des Roises furent aussi données au chapitre de Saint-Nicolas-de-Brixey.

3- Temporel de l’abbaye de Mureau

Vers 1160, la famille de BRIXEY dite de BOURLEMONT participa, avec d’autres seigneurs, à la création du temporel de l’abbaye de Mureau. Pierre de BRIXEY, sa femme Ide, son frère Simon, ainsi qu’Hugues de GREUX et ses sœurs, abandonnèrent à l’abbaye de Mureau diverses pièces de terre situées à Greux (ADV, 20H1, cartulaire, f°175) :

« … Confirmamus itaque praenominatis abbati et fratribus eorumque successoribus ex Petri militis domini de BORLEMONT & Idae uxoris eius donatione, Simonis praedicti Petri fratris, & nostra & praedecessoris nostri bonae memoriae Henrici espiscopi concessione in territorio de Greuz, vallem de Rosis, agosbacat supra absque montium declinibus, & locum cuius est vocabulum Sacis, cum quibus circumcingitur vallibus ad Greuz pertinentibus & sicut metis dispositis circumquaque terminatur. Nihilominus praelibati Sacis laborum suorum decimas quas a militibus Hugone de GREUZ uxore et liberis eius Himfrido de DOMNO REMIGIO, Simone de ROSEUIL & filÿs eius Alberto, Hugone, Simone, praelibato Petro, Domino de BORLEMMONT, faciente & concedente deo propitio acquisitas poscident, in perpetuum confirmamus. Et quoniam romanorum pontificum aucoritate non sencel memoratis abbati & fratribus & aliis notae religionis viris de novalibus suis nulli clericorum vel laicorum decimas dare concessum esse cognoscimus, Sancimus lande & ascensu domni Ulrici sancti Stephani decani & archidiaconi quatinus saepe memoratus abbas & fratres eius eorumque successores pro decimis agrerum quos in iam dicto loca Sacis eultos innenerunt, presbytero vel clerice, cuius erit ecclesia de Gruz, annuatim tres solidos tullensis monerae in Sancti Remigii servitate persosuant, presbyter vero vel clericus nihil amplius ab cis pro decimus exigere praesumat …».

« … Nous confirmons donc aux susdits abbé et frères et à leurs successeurs, par la donation de Pierre, chevalier, seigneur de BOURLEMONT, et de Ide, son épouse, [ainsi que par celle] de Simon, frère dudit Pierre, et par notre concession et celle de notre prédécesseur, de pieuse mémoire, l’évêque Henri, dans le territoire de Greux, la vallée des Roses, en amont de l’Agosbacat, au-delà des pentes des montagnes, et le lieu dont le nom est Saulcy, avec les vallées qui l’entourent, appartenant à Greux, et comme il est délimité de toutes parts par les bornes disposées. Néanmoins, les dîmes des travaux de leurs champs dans ledit lieu de Saulcy, qu’ils ont acquises — Dieu aidant — des chevaliers Hugues de GREUX, son épouse et ses enfants, Humfroy de DOMREMY, Simon de ROSIERES et ses fils Albert, Hugues, Simon, et le susdit Pierre, seigneur de BOURLEMONT, agissant et consentant, nous les confirmons à jamais. Et puisque, par l’autorité des pontifes romains, nous savons qu’il a été accordé plus d’une fois audit abbé et aux frères, ainsi qu’à d’autres hommes de religion connue, de ne donner à aucun clerc ni laïc la dîme de leurs novales [terres nouvellement mises en culture], nous statuons, avec l’assentiment et la ratification de maître Ulric, doyen et archidiacre de Saint-Étienne [de Toul], que le susdit abbé et ses frères, ainsi que leurs successeurs, pour les dîmes des champs qu’ils auront cultivés dans ledit lieu de Saulcy, verseront chaque année trois sols en monnaie touloise au prêtre ou clerc qui aura l’église de Greux, pour le service de Saint Remi ; mais que le prêtre ou clerc ne se permette pas d’exiger d’eux davantage pour les dîmes ».

A une date inconnue, l’abbaye de Mureau bénéficia du don d’un pré, dit Sansonprei [La Sensuelle], situé au ban de Greux (ADV, 20H1, f°374). En 1207, Pierre de BOURLEMONT lui fit don de l’isle Fastolisle [La Fautrille] à Greux (ADV, 20H1, f°298). Puis, en 1209, il donna à l’abbé Guillaume, second du nom (« Willermi abbatis secundi ») et à son couvent, la Lescheria [Les Lochères] de Greux et le pré dit Preele [La Presle] situé à Domremy (ADV, 20H).

En 1215, l’évêque Renaud de SENLIS confirma les possessions de Mureau : 

« … le lieu de Lescheria, au territoire de Greux, Preele, dans celui de Domremy, entouré par la Meuse, la moitié des grosses et menues dîmes de Frebécourt, deux résaux de froment à La Neuveville-en-Roizes, provenant de Pierre, chevalier, seigneur de BOURLEMONT, et sa femme Félicité, … un pré appelé Sancceons Preez venant de Pétronille de DOMREMY et de ses enfants … » (ADV, 20H4).

Le 9 septembre 1235, Joffroy de BOURLEMONT, avec le consentement de son épouse Sibille et de sa mère Félicité, donna à l’abbaye de Mureau sa part des dîmes de Domremy, le four banal de Greux, et confirma diverses donations effectuées aux mêmes par son père (ADV, 20H1, f°225).

Le 28 mai 1248, Joffroy de BOURLEMONT donna au monastère de Mureaux, de l'ordre de Prémontré, tous les arages [redevance sur la culture des terres] de Domremy-sur-Meuse, de Greux et de Neuville-lez-Greux (ADV, 20H71, f°226) :

« Ego Jofridus, dominus de Borlenmont, notum facio universis presens scriptum inspecturis quod ego, laude et assensu Sibille uxoris mee et heredum meorum, contuli et concessi in puram et perpetuam elemosinam, pro remedio anime mee et antecessorum meorum, ecclesie Mirevallis, Premonstratensis ordinis, universa aragia de Domno Remigio supra Mosam, de Greux et de Novavilla juxta Greux. In cujus rei testimonium, presentes litteras eidem ecclesie contuli sigillo meo communitas. Actum anno Domini millesimo ducentesimo quadragesimo octavo, die ascensionis Domini ».

« Moi, Jofridus, seigneur de Bourlémont, je fais savoir à tous ceux qui examineront le présent écrit que moi, avec la louange et l’assentiment de Sibylle, mon épouse, et de mes héritiers, j’ai donné et concédé en pure et perpétuelle aumône, pour le salut de mon âme et de celles de mes ancêtres, à l’église de Mureau, de l’ordre de Prémontré, tous les arages de Domrémy sur Meuse, de Greux et de Neuville près Greux. En témoignage de quoi, j’ai remis les présentes lettres à ladite église, munies de mon sceau. Fait en l’an du Seigneur mil deux cent quarante-huit, le jour de l’Ascension du Seigneur ».

En février 1250, Joffroi de BOURLEMONT fit connaître qu’il avait donné en aumône aux moines de Mureau, avec le consentement de son épouse Sibille, les grosses et menues dîmes de sa « Neuveville en Roises », « en Corbesans » (ADV, 20H7, cartulaire f°227).

En avril 1256, Nichole, prêtre curé de Greux, vendit à l’abbaye de Mureau, pour la somme de vingt-huit livres de forts, la maison qu’il avait à Greux, avec la grange et tout le pourpris (ADV, 20H1 f°299).

En 1261, Joffroy de BOURLEMONT acquitta à ceux de Mureaux tout le bois qui était par devers le Saulcy

« Et est aussi à savoir que je loue, acqui et octrois bonnement tout ce que je réclamois ou peut réclamer en bois qui siet au ban de Greux et de Domremei, c’est à savoir tout le bois qui est par devers Sauci, si cum lavoie le Devise qui vat de Woton à Berchelenval …  En quel boiz davans dit ne ie, ne meu hoir, ne meu home ni avonz ne ne devonz iemaiz réclamer aucun usuare … » (ADV, 20H7 et 20H2 f°714).

En avril 1273, Pierre de BOURLEMONT confirma de nouveau toutes les donations de ses prédécesseurs et acquêts faits dans l’étendue de ses fiefs et ajouta un droit de pâture dans les bans de Greux et Domremy :

« Et leur ai donné et ourici que leur bêtes muissent oisir et demeurer une nuit en la semaine dès la Saint Remi jusqu’à Noël en bans de Don Remi et de Greux sans anquison … » (ADV, 20H1 f°95).

4- Le loup français entre dans la bergerie touloise

Le paragraphe précédent illustre la grande générosité dont fit preuve la famille de BOURLEMONT envers l’abbaye de Mureau pendant plus d’un siècle. Elle fut mise en possession de demeures, terres et prés, et bénéficia d’importantes redevances (dîmes, terrages, four banal).

Et pourtant, à la fin du 13ème siècle, l’abbaye fut bien ingrate à l’égard de la famille de BOURLEMONT. En effet, les relations se dégradèrent progressivement entre les religieux de Mureau et Pierre de BOURLEMONT, et, sous le gouvernement de l’abbé Jacques, les choses allèrent beaucoup plus loin, de telle sorte que les moines refusèrent de reconnaître Pierre de BOURLEMONT comme le gardien et le protecteur de leur établissement et de ses dépendances, privilège que ses ancêtres possédaient sans doute depuis la fondation du monastère. Un important procès fut ouvert à la Cour de justice de Troyes et, en juillet 1291, sur le conseil de ses amis, pour le salut de son âme et de celle de son épouse, Pierre de BOURLEMONT, et son épouse Jeanne, renoncèrent à tous les droits qu’ils prétendaient avoir sur l’abbaye de Mureau et déclarèrent que tout ce que les religieux de Mureau possédaient en fief et arrière-fief d’eux, devaient être désormais gardé par le roi de France, l’abbé ayant le droit de haute, moyenne et basse justice sur toute l’étendue de ces biens. Ceux-ci comprennaient les granges du Chénois et du Saulcy, les villes de Pargny-sous-Mureau et Midrevaux, et leurs dépendances, enfin tout ce que l’abbaye possède à Avranville, Mont-les-Neuchâteau, Bourlémont, Frebécourt, Greux, Domremy, La Neuveville-en-Roises, Bréchainville, Housselmont, Charmes-la-Côte, Bruley, Pargney devant Toul, Moncel, Gouécourt, Rouceux, Chermisey, etc. (ADV, 20H2 f°452). Néanmoins, en contrepartie de l’abandon du droit de garde et de haute justice et de haute justice du couvent, ils reçurent une somme de 900 livres.

Georges POULL, érudit local de grande réputation, écrit au sujet de cet acte de renonciation :

« On ne saura trop insister sur l’importance de cet acte qui, à notre avis, résout une question sur laquelle de très nombreux auteurs rompent des lances depuis une centaine d’années : la juridiction française au moyen-âge sur la rive droite de la Meuse, et en particulier sur Domremy, Greux, etc. Dès 1291, à la suite de l’abandon de ses droits par Pierre de BOURLEMONT, le roi de France prend pied de l’autre côté du fleuve, et c’est son bailli de Chaumont qui réglera les conflits et assurera la protection des hommes et des biens de l’abbaye de Mureau, aussi bien à Domremy qu’à Greux, et dans toutes les autres localités mentionnées dans l’acte de juillet 1291. Les descendants de Pierre conserveront tous leurs droits dans les parties des mêmes seigneuries qui leur restent en propre, à charge d’hommage à l’évêque de Toul et aux autres souverains locaux ».

Effectivement, ce droit de garde du royaume de France sur une partie du territoire toulois semble avoir été un premier pas vers la souveraineté française dans ces localités originellement sous souveraineté touloise. Il est vrai que les grandes puissances avaient parfois tendance, pour assoir progressivement leur influence puis leur souveraineté sur une localité d’intérêt, à user de subtils stratagèmes. Elles commençaient par obtenir un droit de garde puis un droit de bourgeoisie, affaiblissant ainsi les seigneurs et souverains en titre, et enfin, à terme, finissaient par revendiquer la souveraineté de ladite localité.

Damien Vaisse (« La communauté urbaine de la cité de Toul du milieu du XIVe siècle à la fin du XVe siècle », thèse, 1999) décrit fort bien la fragilité du temporel souverain de Toul (de faible puissance militaire) :

« Par sa proximité avec les terres du duc de Lorraine, du comté de Bar et du roi de France, la ville de Toul se trouvait être l’enjeu de luttes d’influences incessantes qui s’exprimaient en particulier par les traités de garde, mais aussi par les guerres … [Jusqu’à la fin du XIIème siècle], les seigneurs ecclésiastiques confiaient la défense de leur temporel à des laïcs, les avoués, à qui ils donnaient en fief une partie de leurs revenus. Ces fiefs finir par devenir héréditaires. Ils pouvaient être fractionnés en plusieurs fiefs de sous-avoueries. Pour s’introduire dans les terres immunitaires des communautés religieuses, les princes s’efforcèrent de s’emparer des avoueries. Le duc de Lorraine était ainsi l’avoué des grandes abbayes de Remiremont et Moyenmoutier, ainsi que du chapitre de Saint-Dié. Dans la banlieue de Toul, de duc de Lorraine tenait l’avouerie de l’abbaye de Saint-Evre, et le comte de Bar, celle de l’abbaye de Saint-Mansuy ».

« A partir du XIIIe siècle, l’avouerie apparaît de moins en moins dans les textes. On voit en revanche les communautés religieuses et les communautés urbaines conclure avec les princes des traités de garde. La garde était pour les princes le moyen d’acquérir des droits sur des villes ou des communautés religieuses situées hors de leur mouvance. Elle n’avait pas de caractère féodal et n’affectait pas la suzeraineté. Les contrats de garde, conclus pour quelques années ou pour la vie d’un prince, plaçaient les communautés qui y recouraient sous la protection d’un prince, moyennant une redevance annuelle. La conclusion de tels contrats était inévitable pour des communautés qui ne pouvaient compter sur leur défenseur naturel, ici l’empereur [romain germanique]. Le protecteur était souvent l’adversaire de la veille, et bien souvent, les contrats de garde pouvaient être regardés comme des traités de non-agression achetés à un puissant voisin. Les contrats de garde comportaient également souvent des clauses économiques, de libre circulation, rendues nécessaires dans une région où s’imbriquaient diverses souverainetés. Pour ces raisons, les communautés de Toul concluaient souvent des traités de garde avec plusieurs de leurs voisins … Dans les terres de Saint-Evre et Saint-Mansuy, l’influence des princes fut si forte qu’ils finirent par les placer sous leur souveraineté ».

« C’est avec le règne de Philippe III que commence en Lorraine l’intervention de la royauté [française] au moyen des pariages [contrat de co-seigneurie, où deux puissances (laïques ou ecclésiastiques) décident de partager à parts égales la juridiction et les revenus d’une ville, d’un village ou d’un territoire], des gardes et de l’action du parlement … La présence française en Lorraine se renforça sous Philippe LE BEL. Par son mariage, en 1284, avec Jeanne, fille et héritière de Henri 1er le Gros, Philippe LE BEL était devenu comte de Champagne. Le roi avait désormais des vassaux au diocèse de Toul … C’est dans ce contexte qu’intervient la garde royale sur les terres du chapitre à l’ouest de la Meuse. Le chapitre avait placé ces terres pour 3 ans sous la garde du comte de Bar en novembre 1285. A l’issue de cette garde, il préfère faire appel au roi de France. Le 09/05/1289, Guillaume de HANGET, bailli de Chaumont, plaça pour 3 ans sous la garde du roi de France … La garde de la France sur le chapitre cathédral continua de s’exercer après le règne de Philippe LE BEL. Celui-ci avait donné pour 5 ans à son fils Louis, comte de Champagne, l’argent de sa garde du chapitre. La garde fut renouvelée par le comte de Champagne le 02/09/1313, par le même, devenu roi de France, le 07/05/1316 pour 10 ans, par Charles IV le 26/06/1323 et le 07/07/1326 pour 10 ans, par Philippe VI le 28/02/1347 pour 10 ans, enfin par Jean II le 03/04/1350. Le chapitre veillait à ce que les communautés de ses villages ne se missent pas d’elles-mêmes sous la garde du roi et que ses hommes de mainmorte n’entrassent pas dans la bourgeoisie du roi à Andelot, Chaumont ou ailleurs. Les chanoines obtinrent, le 02/09/1313, de Louis, comte de Champagne, un acte annulant toutes les gardes et bourgeoisies faites sans le consentement du chapitre, et qu’ils n’oublièrent pas de faire confirmer, après la mort de Louis X, par Philippe V et Charles IV ».

Malgré la vigilance décrite dans le paragraphe précédent, il s’avère néanmoins que la souveraineté touloise fut usurpée dans de nombreux villages par ses puissants souverains voisins, sans réelle réaction de la part de l’Empire Romain Germanique, plutôt indifférent au sort de son vassal (cette attitude pouvant s’expliquer en partie par la distance). Le temporel de Toul se plaignit à plusieurs reprises de ces usurpations. Elle tenait une liste précise qui contenait d’ailleurs … Greux et Domremy (BNF, Dupuy 124). Mais jamais cette souveraineté originelle ne lui fut rendue.

Cependant, personnellement, j’accorde beaucoup moins d’importance à l’acte de 1291 que Georges POULL : je ne pense pas qu’il soit l’origine du début de la souveraineté française sur Greux et une partie de Domremy.

En effet, comme illustré clairement sur le plan du paragraphe suivant, l’essentiel des possessions de l’abbaye de Mureau sur les territoires de Greux et Domremy à la fin du 13ème siècle était la seigneurie du Saulcy (anciennement du territoire de Greux qui fut démembré à cette période) : ses biens dans Domremy et Greux étaient négligeables et il semble que la seigneurie du Saulcy, pourtant sous droit de garde française depuis 1291, soit tout de même restée sous souveraineté touloise  (ADV, 20H19).

5- Plan des territoires de Domremy et Greux à la fin du 13ème siècle

Le plan ci-dessous présente les possessions de l’abbaye de Mureau à la fin du 13ème siècle. Toutes les acquisitions (dons ou achats) ayant été soigneusement et rigoureusement tracées au fil des siècles par les religieux dans divers registres conservés aux archives départementales de Vosges, ces possessions paraissent plutôt exhaustives.

Plan des territoires de Domremy et Greux à la fin du 13ème siècle (en bleu, la seigneurie de Greux, en rouge, la seigneurie de Domremy, en violet, la seigneurie des Roises, en orange, le domaine de Bermont, en jaune les possessions de l’abbaye de Mureau dont l'épicentre est la seigneurie du Saulcy).

Dans leur ouvrage récent sur Jeanne d’Arc (2012), Contamine, Bouzy et Hélary indiquent : 

« Au cours de son procès, Jeanne précise que les villages de Greux et Domremy (ou plutôt les 2 paroisses) ne font qu’un, et que la principale église est à Greux. 2 villages, 2 paroisses mais aussi 2 seigneuries : l’une appartient à l’abbaye de Mureau, et l’autre, couvrant la majeure partie du territoire de Domremy, au seigneur de BOURLEMONT » (« Jeanne d’Arc, histoire et dictionnaire », p 58).

« Les 2 paroisses de Domremy et Greux avaient été réunie vers 1295 et avaient dès lors le même curé, mais les 2 villages restaient distincts de même que leur situation administrative. Greux mais aussi quelques maisons de Domremy relevaient de l’abbaye de Mureaux, au diocèse de Toul. Inversement, quelques maisons situées à Greux appartenaient au seigneur de BOURLEMONT, qui pouvait se dire seigneur de Domremy et Greux en partie. La limite entre les 2 villages, matérialisée par le ruisseau des Trois Fontaines, passait à 150 mètres au nord de l’église de Domremy, elle-même contigür à la maison de Jeanne d’ARC, située au sud-ouest de cette église. Domremy relevait, au-delà du seigneur de BOURLEMONT, du duc de BAR, lui-même vassal du roi de France. Greux relevait directement, depuis 1291, de la couronne de France, gardienne de l’abbaye de Mureaux » (« Jeanne d’Arc, histoire et dictionnaire », p 665).

Je suis en désaccord avec cette description. En effet, il apparait clairement sur le plan que les territoires de Greux et Domremy furent démembrés en 4 seigneuries au cours du 13ème siècle :

  • La seigneurie de Greux (environ les limites actuelles), appartenant principalement aux seigneurs de BOURLEMONT et dans laquelle les possessions de l’abbaye de Mureau étaient extrêment minoritaires.
  • La seigneurie de Domremy, appartenant principalement aux seigneurs de BOURLEMONT et dans laquelle les possessions de l’abbaye de Mureau étaient extrêmement minoritaires.
  • La seigneurie des Roises, appartenant aux seigneurs de BOURLEMONT, dans laquelle l’abbaye de Mureau n’avait aucune possession (elle n’y touchait que des redevances). Ce village semble être une fondation de Joffroy de BOURLEMONT. Alors qu’en 1180, il n’est question que de la vallée des Roises, le village existe en 1248, étant dénommé « la Neuveville près Greux ». En février 1251, Joffroy donne aux moines de Mureau les grosses et petites dîmes de sa « Neuveville en Roises ».
  • La seigneurie du Saulcy, appartenant à l’abbaye de Mureau, épicentre de ses possessions dans les territoires de Domremy et Greux.

Dans mon prochain article, je parlerai de l’évolution des souverainetés dans ces territoires de 1150 à 1300.

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