Jeanne d'ARC était-elle française - Partie 1 : Domremy et Greux jusqu'en 1150

Pour tenter de répondre à la question posée, il nous faut tout d’abord nous intéresser au lieu de naissance de Jeanne d’ARC. Or, dans son procès, elle nous indique clairement qu’elle est née « à Domremy, qui ne fait qu’un avec Greux. A Greux est l’église principale ».

Nous allons donc, dans un premier temps, nous intéresser à Domremy et à quelques villages adjacents : Greux, Les Roises et Le Saulcy.

Cadastres de Domremy, Greux, Les Roises et Le Saulcy en 1824 [ADV, 3P]

D’après Georges POULL, un érudit local spécialiste de la région barroise [Le château et les seigneurs de Bourlémont], les seigneuries de Domremy et Greux, à l’instar de nombreux fiefs de la région, dépendaient depuis très longtemps du temporel de l’évêché de Toul.

Une famille fut particulièrement proche des évêques de Toul dès le 11ème siècle, la famille de BRIXEY, possessionnée dans la région dès le 10ème siècle, mais qui n’a commencé qu’au siècle suivant à prendre le nom du château de Brixey, importante forteresse située sur une colline avancée et facile à défendre. A mi-chemin entre Vaucouleurs et ce qui sera plus tard la ville de Neufchâteau, sur la rive droite de la Meuse, elle semble avoir été la première des anciennes maisons-fortes bâties par les évêques de Toul afin de protéger la partie sud-ouest de leur temporel.

Au 12ème siècle, Pierre de BRIXEY et son frère Simon furent des personnages importants de l’entourage des évêques de Toul. Possessionnés de chaque côté de la Meuse dans toute la région s’étendant de l’amont de Frebécourt jusqu'au voisinage de Vaucouleurs, ils tinrent des seigneuries très diverses à la suite d’inféodations de ces prélats en leur faveur, à charge de protéger militairement cette partie de leur temporel.

Une dizaine d’années avant la fin du 11ème siècle, le duc de Lorraine Thierry avait fait construire, sur une colline de la rive gauche de la Meuse, une ville neuve bien fermée de murailles et défendue par un château : ce serait bientôt la ville de Neuchâteau dont l’importance sera grande au cours du moyen-âge. L’évêque de Toul a-t-il pris ombrage de cet établissement guerrier situé à quelques kilomètres de la limite sud de ses terres ? Cela paraît probable, et comme un de ses prédécesseurs édificateur du château de Rorthey, un siècle auparavant, afin de protéger son patrimoine des invasions possibles à partir de la Champagne, il fit construire le château qu’une appellation courante baptisera bientôt Bourlémont, à environ 5 km à vol d’oiseau de Neufchâteau, la plus proche forteresse de la vallée de la Meuse susceptible de soutenir un siège de quelque importance, n’était alors que le château de Brixey, à près de 15 km. Les sires de BRIXEY, possessionnés de cette nouvelle seigneurie, prirent alors rapidement le nom de sires de BOURLEMONT.

A quelques kilomètres au nord de leur château principal, les sires de BOURLEMONT furent aussi les possesseurs des seigneuries de :

• Domremy, comportant un château dit « de l’Isle », qui avait été édifié avant le milieu du 12ème siècle, étant alors habité par une famille portant le nom de la localité.
• Greux, comportant, semble-t-il, une maison-forte habitée par une famille de chevalerie portant le nom de la localité.

Au milieu du 12ème siècle, la famille de BOURLEMONT participa, avec d’autres seigneurs, à la formation du temporel de l’abbaye de Mureau. Cette création fut suivie de nombreux dons au sein des localités qui nous intéressent.

En effet, vers 1160, Pierre de BOURLEMONT, sa femme Ide, son frère Simon, abandonnèrent à l’abbaye de Mureau diverses pièces de terre situées à Greux. Le détail de ces dons est connu grâce à une confirmation de l’évêque de Toul Henry de LORRAINE en 1164 [ADV 20H2, f°636], confirmation qui démontre, si besoin était, qu’il était leur suzerain pour ces terres situées à Greux :

« Confirmamus itaque eorumque successoribus ex nostra concessione, ex Petri militis de BRISCEIO, Domini de BORLEMMONT, & Hyda, uxoris eius, donatione, & Symonis nunc dicti, Petri fratris, & aliorum haeredum ascensu & voluntate, in territorio de Groz, vallem de Rosis, a gorbazum superius absque montium declinibus, & locum qui dicitur Salicetum, cum quibus undique circumcingitur vallibus ad territorium praesati Groz pertinentibus, & virriacum a via cognomente nourra usque ad territorium Cossiaci, & villa Syromontis. Pasturas etiam gregum caeterorumque eorum animalium usibus profuturas, omni exactione postposita infra reliquos praesati Groz terminos ».

« Nous confirmons donc, pour eux et leurs successeurs, par notre concession, d’après la donation de Pierre, chevalier de BRIXEY, seigneur de BOURLEMONT, et d’Ide, son épouse, et de Simon, dit à présent, frère de Pierre, et avec l’assentiment et la volonté des autres héritiers, dans le territoire de Greux, vallée des Roises, depuis le Gorbazum [?] supérieur sans les pentes des montagnes, et du lieu nommé Saulcy, avec les vallées qui l’entourent de toutes parts et qui appartiennent au territoire dudit Greux, et le virriacum [?] depuis la voie nommée Nourra jusqu’au territoire de Coussey et du village de Seraumont, ainsi que les pâturages, utiles aux troupeaux et aux autres animaux à leur usage, toute exaction étant écartée à l’intérieur des autres limites dudit Greux ».

Cet acte est très intéressant car il met en évidence que le territoire de Greux comprenait, à l’époque, la vallée des Roises (il n’y avait pas encore de village) et le Saulcy.

Ceci nous permet donc de dresser un état initial des seigneuries de Domremy et Greux avant la création de l’abbaye de Mureau, c’est-à-dire, avant le milieu du 12ème siècle.

Seigneuries de Domremy (en rouge) et de Greux (en bleu) au milieu du 12ème siècle

En conclusion, il apparait que Domremy et Greux étaient initialement du temporel de Toul. Or, ce temporel (principauté épiscopale) était un état dit « souverain », qui relevait de l’Empire Romain Germanique. Nous en parlerons plus amplement dans le prochain article.