dimanche 16 octobre 2016

La vie de château de Louise MICHEL, la future "vierge rouge"

Louise MICHEL, alias "Enjolras", alias "la vierge rouge", est née le 29 mai 1830 à Vroncourt (Haute-Marne), dans le château de la famille DEMAHIS (anciennement de MAHIS), les MICHEL étant au service de cette famille depuis plusieurs générations.

Elle fut institutrice, militante anarchiste, franc-maçonne, féministe, et surtout l’une des figures emblématiques de la Commune de Paris en 1871.

De nombreux ouvrages ont été publiés sur ce personnage d'exception. Cependant, ses origines et son enfance sont souvent méconnues du grand public. C'est donc cette période (qui forge souvent les personnalités et les destinées singulières) qui m'a particulièrement intéressé et que je vais développer dans la suite de cet article.

Louise MICHEL à l'âge de 9 ans

Dans l'acte de naissance, Louis est dite fille de "Marie-Anne MICHEL, femme de chambre demeurant  au château de Vroncourt" et "de père inconnu". Ce père est vraisemblablement Laurent DEMAHIS. Certains la dise aussi fille d'Etienne Charles DEMAHIS, châtelain et maire de Vroncourt, père dudit Laurent. Suite à cette naissance, Laurent DEMAHIS fut éloigné du château jusqu'à son mariage avec Marie Reine Clémentine HEMARD.

Château de Vroncourt en Haute-Marne

Elle ne fut pas officiellement reconnue par le couple DEMAHIS qu'elle nommait tout de même ses "grands-parents". Durant son enfance, elle semble avoir été heureuse, faisant preuve, très jeune, d'un tempérament altruiste. Elle reçut une bonne instruction et une éducation plutôt libérale de la part de ses grands-parents.

Elle avait une admiration sans limite pour Victor HUGO et n'hésita pas à lui envoyer des lettres dès 1850 alors qu'il ne la connaissait absolument pas. Victor HUGO, séduit par son tempérament, finit par lui répondre et une correspondance de plus de 30 ans débuta alors entre eux. 

Ci-dessous, des extraits mélangés de plusieurs lettres de Louise MICHEL, particulièrement intéressants puisqu'ils retracent son enfance, le décès de sa grand-mère DEMAHIS (née Louise PORQUET), puis la fin de la vie de château en 1851 :

"Je ne puis vous dire toutes les impressions de mon enfance. C’est un mélange de douleur, de joie, de rêves, de destinée et de cette idée de la fatalité à laquelle croyait ma mère. Je me rappelle qu’un jour une vieille femme me berçait dans ses bras en disant : « Va dormir dans le cimetière, petite. » Ces paroles me sont toujours restées dans le cœur comme une malédiction. Une autre fois, c’était des jeunes filles qui me disaient en riant : « Va-t-en chez ton père » et qui riaient plus fort parce que je pleurais."
"Maintenant, tout cela m’apparaît comme un rêve. J’entends encore ma grand-mère qui me consolait, pleurait avec moi ou me chantait de longues romances. Combien j’ai de souvenirs de ce temps où j’étais, tantôt si joyeuse, tantôt déjà lasse de la vie. Les veillées du soir où mon grand-père me disait des histoires de brigands et de chevaliers, ou me parlait de la Vendée, de la révolution, de Louis XVI, le son de sa guitare qu’il me semble encore entendre le soir, et le piano de ma grand-mère que j’écoutais les yeux fermés, pour voir chaque note prendre une forme et une vie."

"Il y a dans ces souvenirs d’enfance un mélange de figures sinistres, douces, grotesques qui me frappe encore. Ainsi, c’est une vieille religieuse qui me faisait joindre les mains et répéter Ave Maria quand l’angélus sonnait dans les branches et que les étoiles brillaient. A cette heure, j’ai toujours eu envie de m’envoler au ciel. Souvent ma grand-mère pleurait de mes rêves, elle disait que cela me porterait malheur, comme à elle qui avait cette âme de feu et dont la vie n’avait été qu’une torture. Puis c’est la figure sérieuse et pédante du maître d’école, son indignation en voyant sur mes cahiers d’arithmétique d’immenses rondes de diables et de chiffres ailés, ou portant des grelots et des queues formant des bigarrures de toutes sortes ; C’était vraiment un monde burlesque parmi lequel se trouvait régulièrement sa caricature montrant le poing à la page. Il y a encore le vigneron nain, bossu et boiteux, et un homme d’une taille gigantesque dont les bras étaient couverts de soleils et qui faisait rêver de brigands. Puis encore une petite fille aux grands yeux bleus, Elise Bertaud, la fille du fermier, qui ressemblait aux tableaux de Marie, et, au milieu de tout cela, la figure sombre de mon père qui se dressait devant moi de temps à autre, à qui je tendais les bras et qui me repoussait. Alors on me disait : « C’est que tu n’es pas assez sage, sans cela ton père t’aimerait. »."

"Un jour, mon père vint à la maison avec un notaire ; c’était pour se marier avec une autre que ma mère. Je me rappellerai toujours l’impression que je ressentis et combien je pleurais, à genoux, dans cette petite chambre à fenêtre grillée où j’étais venue au monde. Je demandais à Dieu de lui donner des enfants qui l’aiment comme je l’aurais aimé."
"Depuis son mariage, ma tante revenait à la maison, mais c’était malgré son père ; Il y avait à cette occasion des scènes terribles entre lui et ma grand-mère. Ma tante le savait, elle se trouvait donc comme isolée dans la maison. Cela, joint au mépris qu’on lui témoignait dans la pays, m’avait donné une affection passionnée pour elle, qui n’avait que moi pour l’aimer. Il y avait en elle quelque chose de singulier ; c’était un mélange de bonté et de cruauté, une expression sauvage, étrange comme sa vie . Sa colère, pour moi, c’était l’enfer. J’aurais tout sacrifié pour elle . Cependant, elle était parfois dure avec moi. Je me rappelle l’avoir entendue dire à ma grand-mère devant moi : « Etes-vous folle de donner des leçons de musique à cette enfant qui est déjà trop disposée à sortir de son état ? Vous devriez la forcer à ne tenir qu’une aiguille. » Ma grand-mère se fâchait contre elle, et moi, je n’osais plus tenir un cahier de musique sous peine de la mauvaise humeur de ma tante. Avec toute autre, j’aurais répondu avec hauteur, mais elle, personne ne l’aimait et, pour obtenir mon pardon, je me roulais à ses pieds en pleurant. Son fils même était froid avec elle. Je l’aurais crue malheureuse, si je ne lui avais témoigné de l’affection."

"Mon père avait deux enfants. Quelquefois, il les amenait à la maison, et moi, leur sœur, je n’osais même pas les embrasser. Tout cela dura quelques années, puis je vis peu à peu mon père revenir à moi. Les enfants s’attachaient à ma robe et pleuraient de me quitter et lui me témoignait autant de tendresse qu’il m’avait témoigné de froideur. Mais, alors, mon grand-père était mourant, et ma tante avait avec son mari un procès de séparation. Je n’ai jamais pu être heureuse complètement. Il y a une chose singulière, c’est que mes peines ont toujours été immenses, lorsque j’ai éprouvé un grand bonheur."

"Mon grand-père mourut. C’était par une nuit de décembre, le vent pleurait. Je me rappelle chaque circonstance de sa mort comme si c’était hier. Il avait toujours été un peu de l’école de Voltaire et on n’avait pas demandé de prêtre. Au moment de sa mort, je me consacrai entièrement à Dieu pour sauver son âme, et cependant, entre nous, Hugo, je ne puis croire à l’éternité de l’enfer. Après la mort de mon grand-père, ma tante revint à la maison ; c’était pour y mourir aussi. Durant quelques mois, elle m’aima comme je l’aimais. Sans moi, elle souffrait davantage. Je la perdis, et après elle, mon père, et puis cette jeune fille que j’aimais tant aussi. Il me semblait que je leur portais malheur à tous."

"Mme DEMAHIS, ma grand-mère que je n’ai jamais quittée, est dangereusement malade et je me trouve sans force et sans courage contre cette affreuse inquiétude. Je suis comme folle, je ne sais pas ce que je fais ni ce que je dis. L’idée de la perdre est horrible pour moi et je n’en ai pas d’autre. Je vois bien qu’il n’y a plus d’espoir et que tout ce qu’on me dit de rassurant n’est que pour me consoler et cependant, malgré son âge, je ne puis m’imaginer qu’il me soit possible de vivre sans elle. J’oublie presque qu’il me resterait ma mère à consoler. Depuis que je suis au monde, je n’ai jamais quitté mon aïeule. Elle a été ma seule institutrice. Nous ne vivions que l’une pour l’autre et maintenant tout cela va finir. Je ne sais ce que je vous dis. Mes idées se brouillent mais vous me pardonnerez et vous m’écrirez quelques lignes pour me donner un peu de courage car je n’en ai plus. On dit que je suis pieuse, eh bien, si je la perdais, il me semble que je ne croirais plus rien. Dieu serait trop cruel.

Je trouve sous ma main je ne sais quels brouillons ; je vous les envoie. Ce sont peut-être les derniers que vous recevrez de moi. Si je la perdais, je ne ferais plus rien ou bien cela me ferait mourir. Alors, frère, vous feriez quelques vers sur ma tombe. Adieu, pardon de cette lettre, je suis folle de douleur, je ne sais que devenir, tout me semble mort, écrivez-moi."

Ces derniers extraits démontrent toute l'affection que portait Louise MICHEL à sa grand-mère DEMAHIS, mais aussi, sa grande inquiétude quant à l'avenir. En effet, ses père, grand-père et tante étant décédés quelques années plus tôt, la perte de cette grand-mère marquait aussi pour elle la fin probable de l'appartenance au milieu social aisé de cette famille "adoptive".

Et ce fut effectivement le cas ! Les extraits suivants (lettres à Victor Hugo et mémoires) mettent en évidence la violence de ce qu'elle dut avoir à subir de la part de son entourage :

"Je ne veux pas vous parler de tout ce qui s’est passé de hideux pour me désoler davantage ; de ceux qui m’ont demandé quelques pièces par amitié et les ont fait courir chargées de critiques ; d’autres qui ne sont plus à m’arracher chaque illusion. Je vous envoie la moins méchante de leurs lettres, en ôtant la signature. Voyez comme on se plaisait à tout flétrir à mes yeux. Mais, je ne veux plus penser à tout cela. Vous le savez, Hugo, je n’en souffrirai plus. Il y a cependant encore une de mes peines qu’il faut que je vous dise. Celle-là est horrible. C’est de douter de la franchise de ma mère. Mon père me soutenait que j’étais sa sœur et non sa fille. Je ne le crois pas, et pourtant c’est une pensée horrible que vous seul saurez jamais et que je veux écarter de moi, car il me semble que c’est un crime envers ma mère si bonne et si franche."

"Je ne veux pas vous parler aujourd’hui de tout ce qui s’est passé depuis la mort de ma grand-mère, de ce monde qui tantôt me repousse, tantôt me flatte, qui vient et s’en va comme un flot. Tout cela est un songe ; je n’y veux pas réfléchir. J’aime mieux laisser aller ma plume sans réfléchir."

"Je suis ce qu'on appelle bâtarde ; mais ceux qui m'ont fait le mauvais présent de la vie étaient libres ; ils s'aimaient ; et aucun des misérables contes faits sur ma naissance n'est vrai et ne peut atteindre ma mère."

Blason de la famille de MAHIS (Hozier Paris, 1696, gallica.bnf.fr)

A partir de 1851, ce fut définitivement la fin de la vie de château (qui fut vendu). Une somme de 10 000 francs fut donnée à Louise MICHEL. Il lui fut cependant signifié d'avoir à quitter désormais ce nom de DEMAHIS qu'elle ajoutait jusqu'alors à son vrai nom.

Le choc dut effectivement être brutal !

Et peut-être est-ce là une des origines de ses combats futurs... Par la suite, elle fut institutrice puis elle participa à la Commune de Paris. Capturée en mai 1871, elle connue la déportation en Nouvelle Calédonie pendant 10 ans puis de nombreux séjours en prison jusqu'à son décès le 9 janvier 1905 à Marseille.


Je ne peux terminer sans quelques extraits du procès de Louise MICHEL lors de la commune de Paris.

6ème Conseil de guerre. Présidence de M. DELAPORTE, colonel du 12eme chasseurs a cheval.
Audience du 16 décembre 1871
".... notre avis est qu’il y a lieu de mettre Louise Michel en jugement pour :
1- Attentat ayant pour but de changer le gouvernement ;
2- Attentat ayant pour but d’exciter à la guerre civile en portant les citoyens à s’armer les uns contres les autres ;
3- Pour avoir, dans un mouvement insurrectionnel, porté des armes apparentes et un uniforme militaire, et fait usage de ces armes ;
4- Faux en écriture privée par supposition de personne ;
5- Usage d’une pièce fausse ;
6- Complicité par provocation et machination d’assassinat des personnes retenues soit-disant comme otages par la commune ;
7- Complicité d’arrestations illégales, suivies de tortures corporelles et de morts, en assistant avec connaissance les auteurs de l’action dans les faits qui l’ont consommée ;
Crimes prévus par les articles 87,91,150,151,159,59,60,302,341,344 du code pénal et 5 de la loi du 24 mai 1834.


M. le président : Vous avez entendu les faits dont on vous accuse ; qu’avez-vous à dire pour votre défense ?
L’accusée : Je ne veux pas me défendre, je ne veux pas être défendue ; j’appartiens toute entière à la révolution sociale, et je déclare accepter la responsabilité de mes actes. Je l’accepte tout entière et sans restriction. Vous me reprochez d’avoir participé à l’assassinat des généraux ? A cela je répondrais oui si je m’étais trouvée à Montmartre quand ils ont voulu faire tirer sur le peuple ; je n’aurai pas hésité à faire tirer moi-même sur ceux qui donnaient des ordres semblables ; mais, lorsqu’ils ont été fait prisonniers je ne comprends pas qu’on les ait fusillés, et je regarde cet acte comme une insigne lâcheté !
Quand à l’incendie de Paris, oui j’y ai participé. Je voulais opposer une barrière de flammes aux envahisseurs de Versailles. Je n’ai pas eu de complices pour ce fait, j’ai agi d’après mon propre mouvement.
On dit aussi que je suis complice de la Commune ! Assurément oui, puisque la Commune voulait avant tout la révolution sociale, et que la révolution sociale est le plus cher de mes voeux ; bien plus, je me fais l’honneur d’être un des promoteurs de la Commune qui n’est d’ailleurs pour rien, pour rien qu’on le sache bien, dans les assassinats et les incendies : moi qui ai assisté à toutes les séances de l’Hôtel de Ville, je déclare que jamais il n’y a été question d’assassinats ou d’incendie. Voulez-vous connaitre les vrais coupables ? Ce sont les gens de la police, et plus tard, peut-être, la lumière se fera sur tous ces événements dont on trouve aujourd’hui tout naturel de rendre responsables tous les partisans de la révolution sociale.
Un jour, je proposais à Ferré d’envahir l’Assemblée ; je voulais deux victimes, M. Thiers et moi, car j’avais fait le sacrifice de ma vie et j’étais décidée à le frapper.
Etc....

M. le président : Il paraît que vous portiez divers costumes sous la Commune ?
L’accusée : J’étais vêtue comme d’habitude ; je n’ajoutais qu’une ceinture rouge sur mes vêtements.

M. le président : N’avez-vous pas porté plusieurs fois un costume d’homme ?
L’accusée : Une seule fois, c’était le 18 mars : je m’habillais en garde national, pour ne pas attirer les regards...

M. le Président : Accusée, avez-vous quelque chose à dire pour votre défense ?
Louise Michel : Ce que je réclame de vous, qui vous affirmez conseil de guerre, qui vous donnez comme mes juges, qui ne vous cachez pas comme la commission des grâces, de vous qui êtes des militaires et qui jugez à la face de tous, c’est le champ de Satory, où sont déjà tombés nos frères.
Il faut me retrancher de la société ; on vous dit de le faire : eh bien ! le commissaire de la république à raison. Puisqu’il semble que tout coeur qui bat pour la liberté n’a droit qu’à un peu de plomb, j’en réclame une part, moi ! Si vous me laissez vivre, je ne cesserai de crier vengeance, et je dénoncerai à la vengeance de mes frères les assassins de la commission des grâces......

M. le Président : Je ne puis vous laisser la parole si vous continuez sur ce ton.
Louise Michel : J’ai fini.... Si vous n’êtes pas des lâches, tuez-moi......

La force de caractère de certaines personnalités historiques m'impressionnera toujours. Ce procès n'est pas sans rappeler celui de Jeanne d'Arc plusieurs siècles plus tôt (similitudes sur la détermination des accusées : voir mon article sur le "procès de condamnation de Jeanne d'ARC").

Sources :
Mercure de France (Paris. 1890) - 1929/01/01 (T209,N733)
http://www.gauchemip.org/spip.php?article12710

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