dimanche 9 décembre 2012

Charles-François POERSON, un peintre Lorrain du 17ème siècle

Dernier des enfants de Charles, il naquit à Paris le 20 octobre 1653. Son père lui donna ses permières leçons, mais il mourut trop tôt pour les continuer et c'est son cousin germain Noël Coypel qui les reprit. Il suivit ensuite les cours de l'Académie royale de peinture où professait Coypel. Le 26 mars 1671, lors de l'exposition des ouvrages de peinture dans la cour de l'hôtel de Richelieu, en présence de Colbert, il obtient un cinquième prix de dessin sour les onze présentés. Le 29 octobre 1672 l'Académie reconnaissait les progrès de plusieurs élèves : Alexandre, Jean-Baptiste Jouvenet, Poërson, Pierre Mesnier, Tortebat, et vu « l'assiduité qu 'ils ont apporté dans l'étude ... y ayant obtenu des prix, tant en l'année précédente qu'en la présente, a jugé qu'ils sont en état de profiter de l'étude dudit art en Italie quand il plaira au roi de les y envoyer ». En 1672, Coypel est nommé directeur de l'Académie de France à Rome. Il y emmène son cousin avec les élèves désignés l'année précédente et y aj oute Charles et Louis-Henri Hérault, Simon Chupini, Farjat et Voulan. Leur passeport est daté du 9 novembre.

Portrait de Charles-François POERSON
 
En 1674, Poërson dessine Alexandre donnant au peintre Apelle la belle esclave qui lui a servi de modèle. Coypel ayant quitté son poste pour le laisser à Charles Evrard en 1675, Poërson revient peut-être avec lui. En tous cas, il est à Paris en 1677. Le 6 février, il présente à l'Académie un tableau « représentant la fable de Yo » qu'elle examinera le 13. Celle-ci « ayant examiné leditouvrage, a approuvé sa présentation et lui a ordonné de faire un tableau de la grandeur ordinaire sur le sujet qu'il recevra de M. Le Brun, lequel il rapportera dans six mois à compter du jour que son dessin sera agréé ». M. Le Brun a proposé pour sujet de son tableau la Protection du roi sur la jonction de l 'Académie de Rome avec l'Académie royale de Paris. Le 30 mars, le dessin est accepté et la compagnie lui accorde le 11 janvier 1681 un délai de huit mois pour achever son tableau. Poërson le présente le 31 janvier 1682 à l'Académie qui le reçut « pour académicien, avoir séance et jouir des privilèges attribués à ladite qualité après avoir prêté le serment accoutumé ».

Portrait de Charles-François POERSON

Il va recevoir en 1684 une commande officielle, un carton pour une tapisserie des Gobelins : Psyché dans son bain, et en 1685 la confrérie des orfèvres lui demande un may : Le sermon sur la montagne, dont on a perdu la trace, mais que Tardieu a gravé. Vers la même époque, il dessine deux vignettes gravées par Thomassin ; l'une pour « l'Art de plaire dans la conversation », l'autre pour « le Triomphe de la religion sur l'hérésie ».

Le 20 décembre 1687, Poërson est élu adjoint professeur en remplacement de Louis Licherie de Beurie et le 31 juillet 1688 dans la même fonction en remplacement de Jean Baptiste Tuby. Le 13 août 1695, il est nommé professeur en remplacement de René Antoine Houasse devenu recteur adjoint.

Au Salon de 1699, il présente plusieurs toiles : Portrait du roi ; Tobie recouvrant la vue ; Ivresse de Loth et de ses filles ; Adoration des rois mages ; Saint Guillaume, duc d'Aquitaine.

Il est chargé également de décorer les appartements royaux. Pour le cabinet de madame de Maintenon à Meudon, il peint La reine de Saba apportant des présents à Salomon ; pour la duchesse de Bourgogne à Versailles en 1700 : Concert de musique et Dispute de Neptune et de Minerve ; pour l'escalier de la reine à Versailles, une allégorie où il n'a peint que les figures ; pour la chapelle de Fontainebleau, en 1701 : Saint Louis à genoux devant la couronne d'épines et la Sainte Trinité.

En 1704, il sera chargé par Mansart de décorer la chapelle Saint-Grégoire de l'Hôtel royal des Invalides. Son travail achevé, « il y eut ordre pour tout effacer sans même que l'artiste en fut prévenu ». Quand il vint voir son oeuvre, il trouva « toutes les murailles blanchies sous une émotion très vive qui faillit lui donner le coup de mort ». Le 28 juin de la même année, « M. Poërson a dit à la compagnie que M. Mansart, protecteur, lui avait fait l'honneur de le présenter au roi pour le direction de l'Académie de Rome et que S.M. l'avait agréé ; il présenta sa démission de la charge de professeur et passa dans la classe des conseillers professeurs ».

Le 14 septembre 1704, il reçoit son passeport et 1 500 livres pour frais de voyage. Il part avec sa femme Marie-Philiberte de Chaillou-Moye, trois domestiques et cinq élèves peintres. Tout le monde arrive à Rome le 30 novembre et s'installe au palais Capranica. Le peintre se plaint à Mansart : « après bien des peines tant sur terre que sur mer et une dépense prodigieuse ... , en arrivant ici, je n'ai trouvé ni lit, ni meubles en sorte que j'ai été obligé de louer des lits aux juifs pour les pensionnaires et pour moi ».

Comme il est de tradition, il fait des visites aux personnalités de la société romaine et le 9 février 1705 il écrit à Mansart qu'il a présenté les pensionnaires de l'Académie au pape. Il continue à peindre, mais uniquement des portraits. Il a placé en évidence ceux du roi, du grand Dauphin et de Mansart. Des répliques lui sont demandées, notamment en 1708 par le futur cardinal de Polignac, alors auditeur de Rote : le roi, le grand Dauphin, Philippe II , roi d 'Espagne, Jacques Stuart. L'abbé écrit le 28 juillet au duc d'Antin, fils légitimé de Mme de Montespan, qui a pris la succession de Mansart, décédé le 11 mai, comme surintendant des bâtiments : « l'Académie avait besoin d'un protecteur tel que vous pour la remettre sur pied car elle tombait tous les jours et je voyais avec douleur cette décadence qui faisait mal « penser » de nous dans un pays où l'opinion fait beaucoup plus que dans tous les autres, et où rien n'est si nécessaire que de conserver une certaine réputation ...

L'annonciade, par Charles-François POERSON


Il a paru à M . Poërson qu 'il revenait à la vie quand il a senti les premiers effets de votre attention. Vous ne sauriez deviner dans sa place un homme plus zélé ni plus capable de remplir tous les devoirs de cet emploi ». Le duc d'Antin confirmera que le directeur était excellent et lui envoya de l'argent et des promesses. Poërson avait voulu démissionner au début de cette année, désespéré de voir dans quel abandon l'Académie était tombée. Il manifeste alors un certain zèle et devient un agent diplomatique officieux, car il est au courant de tout ce qui se passe. Il renseigne fidèlement le duc d ' Antin et quand son fils le chevalier de Gondrin viendra à Rome, il multipliera à son égard les bons offices. Il conseille le maréchal de Tessé en octobre 1708 pour l'achat d 'oeuvres d'art.

Le 25 mai 1709, il sollicite du duc d'Antin « une croix de l'ordre de Saint-Michel » et rappelle que son grand-père avait été anobli par le cardinal de Lorraine et que son père avait porté les armes pour le service du roi, puis était devenu recteur de l'Académie. Le 11 mars 1711 le roi lui accorda l'ordre de Saint-Lazare, le pape ayant entre-temps demandé à Louis XIV de lui consentir cette faveur.

Poërson continue à peindre. On apprend que le cardinal Ottoboni lui a commandé un tableau pour garnir une galerie de son appartement et qu'il a reçu une magnifique tabatière garnie de diamants en récompense. Le 30 mai 1711, le peintre écrit au duc d'Antin que les académiciens de Saint-Luc avaient voulu le nommer prince de cette compagnie en remplacement du chevalier Carlo Maratta, chef incontesté de l'École romaine, surintendant des chambres du Vatican, alors âgé de 88 ans. Le pape, à qui on avait demandé son accord, avait approuvé le choix, mais il désirait que Maratta conservât sa présidence pendant le temps qui lui restait à vivre. Il le nomma vice-prince. Le 23 juin le duc d'Antin le félicita de sa nomination et lui apporta l'approbation de Louis XIV, avec une augmentation de ses appointements. Quelques jours plus tard, le pape lui accorda une audience et lui demanda de venir « le voir souvent puisqu'il avait de grands desseins pour l'accroissement des beaux-arts » . Il le consulta peu après pour l'embellissement de la chapelle de Michel-Ange au Vatican.

En septembre, il préside la distribution des prix de l 'Académie de Saint-Luc et remet le grand prix à François Le Moyne en présence de treize cardinaux, de plusieurs prélats et ambassadeurs ; le 24 octobre il reçoit des mains du cardinal de la Trémoïlle la croix de chevalier de Saint-Lazare devant un parterre de notabilités romaines. L' année suivante en octobre, il annonce au duc d'Antin que Nicolas Edelinck « qui depuis trois ans ne s'était pas servi de son burin, a gravé son portrait en petit », pour le mettre au début d 'un livre qu 'on veut lui dédier.

Portrait de Charles-François POERSON

Carlo Maratta étant décédé le 15 décembre 1713, Poërson, trois jours après, lui succède comme prince. Il est félicité par le pape, mais blâmé par le roi qui lui fait écrire le 19 j anvier 1714 par le duc d ' Antin : « Vous avez eu tort d ' accepter ce titre sans en avoir demandé préalablement la permission au roi. Étant son sujet, à ses gages et à la tête de son Académie, vous ne pouvez prendre aucun engagement quelqu 'il puisse être avec un prince étranger ». Le duc a cependant « raccomodé tout cela auprès du roi ». Le 20 mars, il est reçu dans la compagnie des Signori virtuosi, établie à la Rotonda, composée d'avocats, de sculpteurs, de peintres et d'architectes. Les huit pensionnaires de l'Académie de France sont en cette année les peintres Delaunay, Parrocel , L'Huillier, Mallet et Giral, les sculpteurs Nourrisson et Raon, l'architecte Lassurance.

En 1715 Michel Amelot, marquis de Gournay, venu à Rome auprès du pape à la suite de la promulgation de la bulle Unigenitus, lui commande son portrait qu'il commence en mars. En avril il prend congé de Crozat le jeune qui est resté un an dans la Ville éternelle et dont il a été le cicerone en de multiples occasions. Il reçoit dans le cours de l'année le graveur Étienne Desrochers qui doit exécuter son portrait comme morceau de réception à l'Académie. L'original avait été peint par Nicolas de Largillière.

Le 8 décembre 1716 Poërson renonce à son titre de prince de l'Académie de Saint-Luc, cette charge lui coûtant trop d 'argent. C'est l'occasion pour lui d 'en réclamer au duc d 'Antin qui lui déclare que ses demandes sont trop fréquentes, à quoi il répondra en 1718 : « S ' il ne s'agissait que de moi ici, j'aurais honte moi-même de mes inquiétudes et je n'aurais garde d'en fatiguer votre grandeur ; mais il s'agit d'une impossibilité absolue de faire subsister la mission qu'elle confie à mes soins ». En cette même année, il fait le portrait du comte de Charolais. Poërson continue à diriger sans grands moyens une Académie prestigieuse. Il est vrai que les guerres de la fin du règne de Louis XIV coûtaient fort cher au Trésor ; il se fatigue beaucoup et en septembre 1722 se plaint d ' une attaque de goutte. Le 8 avril 1 724 le roi nomme Nicolas Wleughels, ancien élève de Mignard et professeur à l Académie de peinture, comme directeur adjoint avec future succession. 1l arrive le 2 juin et écrit aussitôt au duc d'Antin : « Je le trouvai très changé, ayant beaucoup de peine à marcher et à me parler. J'ai su qu'il y a environ quinze jours, que lisant dans quelque livre, il y avait trouvé la recette d'une médecine qui rajeunissait et qui fortifiait. Sans demander conseil à personne, il la fit faire et la prit, dont il pensa mourir ».

Le directeur, bien que se disant ami de Wleughels, ne le consulte pas et n'en fait qu'à sa tête. Les divergences d'idées se manifestent dans la correspondance que l'un et l'autre envoient à d'Antin. C'est lui cependant qui signa le bail transférant le 31 mai 1725 l'Académie au palais Mancini devenu son siège jusqu'à la Révolution . Fin août Poërson tomba soudain malade et le dimanche 2 septembre il mourut. Il fut enterré à Saint-Louis-des-Français dans la basse nef droite. Son monument s'y trouve toujours.

Tombeau de Charles-François POERSON

Il est orné de son buste posé de trois-quart, surmonté de ses armoiries : "d'azur au sautoir d'or accompagné de 4 montagnettes d'argent ; au chef d'argent à la croix allongée de sable". Il ne manque ni la croix de Saint-Lazare, ni le casque. La légende de l'épitaphe résume sa vie.

D.O. M ./Hie jacet/Carolus Franciscus Poerson,/qui dum
Parisiis inter pictores/splendide floreret,lRomam missus a
rege Ludovico X I I II ,/Galliae Academiae praefectus cons tituitur,
lcruce deiparae de Monte Carmello et Sancti Lazaril
decoratur,linter Arcades computatur/et in romana divi Lucae
Academia princeps digitur./Tandem, probitate c1arus,lreligione
c1arior,lin pauperes profus us, in omnes beneficus/Gallis,
Italis exterisque omnibus/nominis fama notissimusl acceptissimusque./
Obiit I I die sept. M DCC XXV,Iaet. LXXII.!
Maria-Philiberta de Chaillou,/moerens,/dilecto conjugi/p.
(posuit).

Quelques jours après son décès, le 21 septembre, d'Antin écrit à Wleughels « Je suis faché que le sieur Poërson soit mort ; mais je suis bien aise que son emploi soit vacant, car le bonhomme ne faisait que radoter depuis du temps et sa jalousie rendait le service très difficile ». Sa veuve se mit en rapport avec d'Antin et lui écrivit le 10 octobre qu'elle était avancée en âge, pleine d'infirmités, aveugle, et qu' elle désirait rester à Rome. Elle sollicitait qu'il lui accordât une chambre au palais Mancini. Le roi accéda à son désir et lui fournit une pension de 1500 livres. Elle devait mourir à Rome en 1736. Charles-François Poërson ne laissa pas de postérité. Il avait légué à son neveu Charles-Louis Chéron, peintre du duc de Lorraine, « ses lettres de noblesse », sa croix de Saint-Lazare et son portrait par lui-même.

L'iconographie de Poërson ne manque pas d'intérêt. Outre le buste qui surmonte son épitaphe et dont on ignore le nom du sculpteur, il en existe un autre à la bibliothèque de l'École française. On connait deux portraits : celui qu'il peignit lui-même, qu'il légua à son neveu et qui figure à la galerie des Offices à Florence ; et celui de Nicolas de Largillière (avant 1715). L'original a disparu mais il en existe une très belle gravure par Étienne Desrochers vers 1717. Il y a enfin la gravure d'Edelinck dans L'arte della pittura, datée de 1712. Les armes qu'on retrouve en plusieurs endroits ne figurent dans aucun armorial connu. Les a-t-il reçues quand il fut fait chevalier de Saint-Lazare en 1711 ? C'est possible. Elles ornent en tout cas la gravure d'Edelinck.

Armoiries de Charles-François POERSON

Par les oeuvres qu'il a laissées et notamment par son autoportrait, il n'est pas un « peintre très secondaire », comme on l'a injustement écrit. Il ne fut pas non plus un directeur qui « n'avait ni la foi en sa mission, ni l'autorité et la fermeté indispensables à la conduite de la jeunesse ». Pourquoi alors Louis XIV l'aurait-il gardé vingt ans à la tête de l'Académie de France à Rome ?

Source : Cahiers Lorrains, H. Tribout de Morembert, 1996.
 

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