En février, nous recevons pour huit jours les deux tantes Lélette et Grabotte. Je suis très inquiet pour mon père. Je vais voir à la fin du mois alors qu’il vient de recevoir l'extrême onction. C'est l'abbé NAVEL qui lui a donné le jour même de mon arrivée. Le 6 mars au matin, téléphone de Nancy : mon père est mort dans la nuit, sans souffrir. Pour ma mère, c'est l'effondrement et je me demande comment sa santé supportera ce nouveau coup. Service à Nancy et le lendemain, cérémonie d’enterrement à Uckange où beaucoup de monde est présent. Mon oncle SEROT-ALMERAS et ma tante sont venus de Blois et mes cousins, Jean et Edouard, de Paris.
Les esprits sont très préoccupés, par suite de l'occupation de la Rhénanie par les troupes d’Hitler alors qu’elles n’en ont pas le droit. C’est une nouvelle atteinte au traité de Versailles et on se demande si la France et l’Angleterre ne vont pas réagir. Mais il n'en est rien.
On a su depuis, que si les deux pays s’étaient opposés par les armes à cette occupation de la Rhénanie, les troupes allemandes avaient l'ordre de se retirer sans combattre. A partir de ce moment, Hitler a cru qu'il pouvait tout se permettre impunément.
Ma mère a une congestion pulmonaire à Nancy et je suis bien préoccupé. Heureusement, elle est bien soignée et s'en tire.
Fin mai, élections législatives qui amènent socialistes et radicaux au pouvoir avec le soutien des communistes. Les Gouvernements qui s'étaient succédés depuis la crise avaient par trop comprimé les salaires et la réaction était inévitable.
Mais on n’avait pas prévu la poussée qui a suivi. Partout, ce sont des grèves avec occupations d'usines et interdiction aux cadres de pénétrer à l'intérieur des usines. Partout, des défilés avec drapeaux rouges et poings levés. Il s'établit un climat révolutionnaire et les milieux patronaux sont complètement désemparés.
Après la maladie de ma mère, début mai, Claude fait sa première communion à Saint Clément alors que votre mère est à la fin d'une nouvelle grossesse. Pendant le repas, votre mère commence à sentir quelques douleurs et se demande si elle ira aux vêpres. Nous l’en empêchons et je repars dès la fin du repas à Hayange. J'ai juste le temps d'aller prévenir la soeur qui est aux vêpres et, à 18 heures, Edouard est dans son berceau. Colette va à Nancy chez ma mère et est très malheureuse d'être loin de nous tous. Les autres restent à Metz. Edouard est très goulu et offre une éruption de croûte de lait qui le rend peu appétissant.
Photos d’Edouard BERNARD-MICHEL
Votre mère le présente à la procession du Saint Sacrement qui passe par notre rue pour que ses croûtes disparaissent, ce qui a bien lieu tout naturellement quelques jours plus tard. Votre mère, qui est dizainière de la ligue d’action féminine chrétienne, visite chaque mois des familles d'ouvriers auxquelles elle distribue le journal de la ligue. Malgré la grève, votre mère va voir ses familles et est reçue partout, ce qui est un signe d’estime indéniable.
Le travail est repris après 13 jours de grève à la suite des accords Matignon entre le parlement et les syndicats. Ces accords donnent de fortes augmentations de salaire, instituent la semaine de 40 heures de travail, les congés payés (15 jours ouvrables), les conventions collectives et les réunions de délégués. Gros travail à faire pour s'adapter aux nouveaux décrets et, comme il arrive en pareil cas, il y a fatalement des difficultés d'application entraînant aussitôt des arrêts de travail et des discussions sans fin avec les délégués.
Aussi, les vacances des cadres sont-elles très écourtées. Je peux juste conduire votre mère et trois d'entre vous au chalet "La Sapinette", louée par ma mère à Malbuisson, un peu au-dessus de l'hôtel du lac où elle est arrivée quelques jours plus tôt. Cela lui vaut de reprendre une congestion pulmonaire. Elle nous inquiète beaucoup. Je repars un peu rassuré et, en mon absence, Claude va sur sa bicyclette jusqu'au bout du lac de Saint point pour aller chercher, à Labergement Sainte Marie, les remèdes de sa grand-mère. La sapinette est un petit chalet très bien conçu et très logeable. Il y a vue sur le lac. Les enfants s'amusent bien, Claude va à la pêche sur le lac.
La Sapinette à Malbuisson
Ma mère se remet bien de sa congestion et, lorsque je vais rechercher tout mon monde, je suis complètement rassuré à son sujet. A la rentrée, Sabine repart comme pensionnaire au Sacré-Coeur de Montigny où elle retrouve sa cousine Jacqueline de TRUCHIS. Claude poursuit ses trajets journaliers à Saint Clément.
A l'usine le climat est toujours aussi tendu et, à chaque instant, ce sont des menaces de grèves. Cela change de 15 années écoulées où, pas une seule fois, la possibilité d'une grève n’avait été envisagée. Mais il faut convenir que les congés payés et les conventions collectives sont un réel progrès et qu'il était inconcevable que l'on admette que les ouvriers puissent travailler toute l’année sans un jour de repos et que les journées perdues par suite de deuil, mariage ou enterrement ne soient pas rémunérées.
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