Jeudi, 19 janvier 1792, à une heure de l'après-midi.
Nous n'avons rien vu. Pas de
troupes ennemies dans les environs. Pas de vedettes autrichiennes à Perl. Mais
il y a près d'ici un beau pays qui dépend du Luxembourg. Au bout d'une plaine
immense entouré de montagnes boisées et que parcourt la Moselle, on découvre au
moins un petit bourg appelé Remich, et toute cette pleine est parsemée d'un
grand nombre de villages. Tout ce pays si beau est encore plongé dans l'esclavage.
Apach dépend encore de la paroisse de Perl, malgré la différence de nation.
Si je mourais ici, ce dont je serais bien fâché, il faudrait m'enterrer à Perl. Quelqu'un qui voudrait se marier ici serai obligé d'aller à Perl. On
va à la messe à Perl, à moins que le vicaire de Perl ne la viennent dire
ici. Je ne sais si cela vous paraît aussi étrange qu'à moi, mais il me paraît
qu'on aurait pu lui mettre un ordre. Comment ! Les étrangers, des ennemis
continuent à nous administrer ! J'espère qu'après la guerre que nous allons faire
bientôt, ces étrangetés cesseront. Pourtant, les habitants d'Apach ont profité de
notre constitution pour ne pas payer la dîme au curé de Perl, et ils ne l'ont même pas
payé pour les terres qu'ils possèdent sur le pays de Trèves.
Portrait de Mme Durival, dite "mémère", mère adoptive de Joseph-Louis-Gabriel NOEL
De leur côté ceux de Perl ont dû trouver bien agréable de ne
plus payer pour les terres qu'ils ont en France, et je pense que leur intérêt
leur fera bientôt ouvrir les yeux et réclamer à leur gouvernement le même état
de choses qu'en France. Les habitants d'ici sont aristocrates en général, et
ils vont à la messe à Perl avec beaucoup de ferveur. Je tiens tout ce que je
vous dis là d'un employé en service ici, car les gens du pays n'entendent pas
un mot de français. Il y a ici un carme de Lunéville qui est du pays de Trèves ;
mais il n'ose y aller, il serait bâtonné. Il dit la messe dans la chapelle du
village et a demandé au curé de Perl la permission de chanter vêpres, mais
cela lui a été refusé par ce curé aristocrate.
Il vient de passer ici 40 chevaux de remonte pour notre
armée. Il en a déjà passé aux environs de 18 000 venant d'Allemagne. Je suis
bien étonné qu'on leur donne passage. Comment nos ennemis n'ont ils pas la
prudence d'empêcher notre armée de se renforcer en ce qui lui manque ?
C'est décidément un vilain métier que celui de cuisinier. Il faut que je vous quitte encore pour aller me mettre en tête-à-tête avec une marmite. La viande n'était pas assez cuite ce matin, et j'ai grand intérêt à ce qu'elle le soit tantôt. Adieu mémère et ma sœur. Quand nous serons pauvres, je saurai vous faire une bonne cuisine à bon marché. Pour 6 sols chacun par jour, nous vivrons bien et toujours bons amis, bons enfants et fidèles les uns aux autres.
Source : Au temps des volontaires - 1792, lettres d'un volontaire de 1792 (Joseph-Louis-Gabriel NOEL), par Gabriel NOEL, Plon-Nourrit, 1912
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