A Sierck, le samedi 14 janvier
l'an IV de la liberté, à 5 heures du soir (1).
J'ai été aujourd'hui à Thionville, pour y porter la dernière lettre que je vous ai écrite, mémère (3) et ma bonne sœur (4). J'ai été heureux de trouver en la portant moi-même le moyen de vous faire parvenir cette lettre trois jours plus tôt. Mon service n'a pas souffert de cette absence et il m'a été impossible de revenir plus tôt. D' abord parce qu'il y a quatre grandes lieues ; ensuite parce que les chemins étaient en revenant tout couverts de neige que le vent y avait apportée ; on reculait autant qu'on avançait ; le vent était d'une vivacité et d’une aigreur que je n'ai pas encore ressenties ; J’étais roide de froid en arrivant ici. Mais j'ai regardé tout cela comme rien. J'aurais été trop malheureux en songeant que vous ne recevriez ma lettre que mardi. Mon voyage à pied ne m'a rien appris de nouveau. Les toits des maisons dans les villages sont couverts de paille. Ces toitures quand elles sont bien faites doivent être bonnes : elles sont légères ; elles sont chaudes ; la neige ne peut pas pénétrer par les joints dans les maisons ; il n'y a qu'un inconvénient, c'est le feu. Et puis, mémère, pourquoi y a-t-il de vastes contrées où la nature a refusé à l'homme une chose si commune en d'autres endroits : la glaise pour faire des tuiles ?
Portrait de Mme Durival, dite "mémère", mère adoptive de Joseph-Louis-Gabriel NOEL
J'ai appris à Lunéville des détails de l'affaire de notre bataillon avec le régiment de Picardie (2). En général ce régiment est très peu patriote, pour ne rien dire de plus. Voici ce qui s'est passé. Le jour de l'an les grenadiers de Picardie ont dit qu'ils allaient souhaiter la bonne année aux soldats de quinze sols. Ce premier propos en a amené d'autres, puis des rixes; on en est venu à des combats. Nos grenadiers à qui l'insulte avait été faite particulièrement se sont battus avec ceux de Picardie. Seize de ces derniers ont été blessés. Quatre sont déjà morts de leurs blessures. Les volontaires n'ont point eu de blessés. Ces cruels combats se sont terminés par une réconciliation ; mais elle est froide et on ne se regarde avec bienveillance ni d'un côté ni de l’autre. Sans doute que c'est l'aristocratie qui a jeté entre les corps le flambeau de la discorde. De pareils exemples font frémir ! Combien un seul mot peut entraîner de malheurs !
Armoiries utilisées par Joseph NOEL pour cacheter ses lettres
(cachet de Charlotte de Vismes d'Aubigny, sa future femme)
Beaucoup de nos grenadiers vont être renvoyés; d'autres ont donné leur démission. Il y avait dans cette compagnie bien des têtes indisciplinées. On tâche de la reformer, Je suis bien aise que notre compagnie ne soit pas en ce moment à Thionville. On aurait peut-être voulu me forcer à y entrer. Mon refus, quoique poli, aurait pu m'attirer des suites désagréables et je pense, mémère, que vous auriez mieux aimé comme moi que je quittasse que d'y entrer. Après avoir quitté, je serais entré dans un autre bataillon. J'espère que la nouvelle formation sera faite quand nous retournerons à Thionville. En tout cas cette compagnie ne pourra être composée des plus grands hommes du bataillon, car bien des jeunes gens n'y veulent pas entrer. Il me semble, mémère, que l'on a eu tort de former des compagnies de grenadiers dans les volontaires. Nous ne sommes plus sous un régime où la taille des hommes doit les distinguer. Les grenadiers se croient supérieurs aux autres soldats; ils sont plus ménagés dans le service; ils remplissent les postes que l'on considère comme les plus honorables, à tort d'ailleurs, car il me semble qu'il est plus honorable d'être en faction près d'un canon sur les remparts qu'à la porte du commandant. Tout cela les rend insolents, arrogants, querelleurs. Et pourtant nous sommes tous égaux, tous soldats de la patrie ; il ne devrait pas y avoir de distinctions entre nous.
Bonsoir, mémère (3), bonsoir ma sœur (4). Portez-vous bien, passez une bonne nuit. Je suis content de ma journée.
(1) Au moment où il écrit cette lettre, le jeune
volontaire avait rejoint son bataillon depuis une quinzaine de jours. Ce n'est
donc pas la première fois qu'il écrit à la bonne famille avec laquelle sa
correspondance était quasi quotidienne. Les premières lettres manquent à la
liasse.
(2) Un certain nombre de vieux régiments n'étaient pas
favorables aux idées nouvelles non plus qu'aux nouvelles institutions. Le but
véritable des volontaires était de former une force sérieuse dévouée à la
Constitution. Par ce fait même les vieux régiments ne les voyaient pas toujours
d'un bon œil. Il y avait de plus une certaine jalousie pour la paie de 15 sous
que recevaient les volontaires.
(3) Il s'agit de Mme DURIVAL, mère adoptive de Joseph NOEL, qu'il appelait "mémère".
(4) Il s'agit de Charlotte de VSIMES d'AUBIGNY, future femme de Joseph NOEL, fille adoptive de Mme DURIVAL, qu'il appelait sa soeur.
(3) Il s'agit de Mme DURIVAL, mère adoptive de Joseph NOEL, qu'il appelait "mémère".
(4) Il s'agit de Charlotte de VSIMES d'AUBIGNY, future femme de Joseph NOEL, fille adoptive de Mme DURIVAL, qu'il appelait sa soeur.
Source : Au temps des volontaires - 1792, lettres d'un volontaire de 1792 (Joseph-Louis-Gabriel NOEL), par Gabriel NOEL, Plon-Nourrit, 1912
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