vendredi 22 juillet 2011

Jean-Baptiste-Nicolas de l'ISLE, un poète lorrain du 18ème siècle

Sainte-Beuve, si hospitalier à plusieurs poètes qui avaient vu l'histoire fermer devant eux les portes de son panthéon, écrivait le 14 avril 1863 une lettre de félicitations au savant archéologue lorrain, Henry de l'Isle, pour le remercier, au nom des lettres françaises, d'avoir consacré quinze ans à rassembler les oeuvres éparses du rimeur le moins soucieux de gloire littéraire qui ait jamais existé, nous avons dit le chevalier de l'Isle.

Chansonnier, fabuliste, satirique mordant et conteur badin, rival souvent heureux des Boufflers, des Ségur, des Bertin, auteur de mémoires précieux, ami et correspondant de Voltaire, du prince régnant de Deux-Ponts, du président Hénault, de l'abbé Barthélemy, des Rohan, de madame du Deffand, du prince de Ligne, commensal des Choiseul, des Polignac et des Coigny, trente ans notre poète éparpilla ses vers à tous les coins de France.

Quelques recueils du temps, de larges citations du prince de Ligne et de la Harpe avaient seuls sauvé son nom de l'oubli, les travaux patients d'Henry de l'Isle, ancien capitaine de cavalerie comme notre poète, mais aussi laborieux et ordonné que le premier était d'humeur instable et vagabonde, ont permis à M. Victor du Bled, de donner une étude fort intéressante du chevalier de l'Isle dans l'ouvrage intitulé La société française  avant et après 1789  (Calmann Lévy, 1892).

Dans la Revue indépendante (I'Hermitage) 15 novembre 1906, ont paru des lettres familières du chevalier de l'Isle, pendant l'année 1783. Ce chevalier, véritable chargé d'affaires de Voltaire pour ce qui regardait ses oeuvres, est souvent cité dans sa correspondance et dans celle de Madame du Deffand dont il était le confident. (La Revue, 1er janvier 1907).

On voit au pied de Bourmont, dans un repli de la vallée de la Meuse, à Brainville, un antique et poétique manoir abandonné

Enseveli dans les feuillages

 comme le château des rêves de Hugo.

C'est là le berceau de la famille de l'Isle, vieux témoin de son opulence et d'une croissante fortune que n'arrêta point la chute de la maison de Lorraine, jusqu'au jour où la ruine et la Révolution vouèrent la vieille demeure à la profanation des ventes successives, et au caprice d'hôtes volages que sa tristesse recueillie a bannis.

La famille de l'Isle, originaire du Bassigny barrois, fut anoblie par lettres patentes du duc Charles III de Lorraine, datées du 8 juin 1572.

Armoiries de la famille de l'Isle

Alliés successivement à la famille de Nicolas Remy, le célèbre procureur général, aux Ravinel et à toute la noblesse de la contrée, les de l'Isle ont donné à la Lorraine, outre de vaillants officiers, le savant dom de l'Isle, prieur de Saint-Mihiel et son historien, né le 31 août 1688, mort le 24 janvier 1766.

Dom de l'Isle a laissé de nombreux ouvrages dont le plus célèbre est l'histoire de l'abbaye d'Agaune, depuis Saint-Maurice (dans le Valais). Avant de mener la vie studieuse du cloître, dom de l'Isle avait servi comme officier au régiment de Duras-Cavalerie, et pris part en cette qualité aux batailles d'Oudenarde et de Malplaquet (11 septembre 1709) dans lesquelles il reçut plusieurs blessures. Cette bataille de Malplaquet vit la rencontre des deux frères dont l'un servait la France et l'autre les Impériaux.

Un petit neveu de dom de l'Isle, Errard, émigré pendant la Révolution, composa plusieurs ouvrages sur la politique du temps. Par son mariage avec une Symon, il rattacha ses descendants aux Gournay et aux Baudoche (de Metz).

Le père de notre poète fut Joseph de l'Isle, descendant par sa mère de M. du Boys de Riocour, lieutenant-général au bailliage et historien de La Mothe, et naquit à Gonaincourt en 1693. Il servit en Hongrie en qualité de cornette au régiment de Montécuculli jusqu'à la paix de Passarovitz en 1718. Attaché ensuite au service du duc Léopold 1er, il épousa à Saint-Mihiel en 1722  Henriette-Françoise de Faillonnet, nièce du maréchal Fabert. De ce mariage naquit le 23 juin 1735, Jean-Baptiste-Nicolas, celui qui devait être notre chevalier de l'Isle.

Jean-Baptiste-Nicolas de l'Isle fit ses études chez les jésuites de Pont-à-Mousson, fut reçu en 1753 cadet-gentilhomme et entra ensuite au régiment de Champagne, fit la campagne du Hanovre, prit part à plusieurs batailles de la guerre de Sept ans en qualité de capitaine de dragons, puis ayant été fait prisonnier, dut promettre en rentrant en France de ne plus servir pendant quelques années. En 1768, il était de l'armée qui donna la Corse à la France.

Portrait du chevalier de l'Isle

Entre temps, « admis à la cour du roi Stanislas où régnait cette séduisante marquise de Boufflers qui, d'après son fils, était aux femmes ce que les séraphins sont aux anges et les cardinaux aux capucins, il se distingua par son goût pour la musique, la comédie et par ses premiers essais poétiques «  (V. du Bled).

Lorrain dépaysé à ce régiment de Champagne dont la devise était : « je me f. de l'ordre », il adressait un jour de la part des grenadiers au prince de Condé qui leur avait fait distribuer cent louis, les vers suivants :

De Condé nous reconnaissons
Avoir cent louis pour boire
A charge que nous lui rendrons
Par louis d'or une victoire.

(Fait à Metz ce 28 juin 1765- Signé : tous les officiers de la garnison.)

Un autre jour, à Metz également, un chant guerrier fut entonné dans une fête militaire en l'honneur du prince de Condé. Ce fut, d'après M. Roux de Rochelle (Histoire du régiment de Champagne, Paris, Dentu, 1839, in-8) un des hommages qui flattèrent le plus le prince. L'auteur des paroles était le chevalier de l'Isle.

Le poète ne bornait pas son talent à ces jolies passes d'armes, témoin ce duc de Fronsac à qui sa plume acérée fit plus d'une cuisante piqûre. Un jour ce fut à Choiseul lui-même que de l'Isle s'attaqua. Telle fut l'irritation du duc qu'il promit une récompense à qui lui dirait le nom de l'auteur. Il s'agissait alors de ces fameux et mordants noëls dont chaque couplet était une égratignure pour quelque personnage de la cour, et à qui de l'Isle dut bientôt son surnom de « de l'Isle-noëls ». Peu de temps après se présente à M. de Choiseul un jeune et fringant officier qui vient lui dénoncer l'imprudent poète.

Comment, Monsieur, s'écrie Choiseul, pouvez-vous être assez vil pour déshonorer ainsi l'uniforme que vous portez ? - je ne le déshonore point, réplique de l'Isle, car c'est moi-même que je viens dénoncer.

Ce fut l'origine d'une amitié qui dura des années.

Ainsi fut ouvert au chevalier de l'Isle ce brillant château de Chanteloup où fréquentaient, soit comme inamovibles, soit comme hôtes de six semaines, Boufflers, Lauzun, Buzenval, le prince de Bauffremont, le duc de Gantaut et quantité d'autres, parmi lesquels les prélats élégants de l'époque.

J'irai dans Chanteloup, retraite révérée,
Par l'amitié, les arts, les vertus consacrée.

(Ces vers ont été imprimés dans la correspondance de La Harpe.)

Introduit près de Voltaire par Mme du Deffand, le chevalier passa quinze jours à Ferney et devint si bien un des favoris du roi des encyclopédistes, qu'il put un jour se permettre d'écrire à cette irascible majesté une lettre débutant par ces mots : «  Il faut que vous soyiez bien bête, Monsieur, pour ... ». Il parait que Voltaire faillit en mourir de rire.

En un tel milieu, comment eût il pu ne pas s'adonner aux vers légers et ne pas chansonner les capucins ?

Ce qu'on est convenu d'appeler la pruderie était si rare à cette époque qu'on publia à Lyon en 1772 un recueil intitulé : Elite des poésies décentes. De l'Isle, lui aussi, composa des poésies décentes. Elles ne sont pas parmi les moins bonnes.

Un jour, à Chanteloup, Boufflers, le chevalier de Durfort, de la maison de Duras et le chevalier de l'Isle rivalisèrent de virtuosité dans l'art de composer des bouts-rimés. La palme échut à de l'Isle.

« Muse fermée sans doute aux grands horizons, a écrit V. du Bled, nullement lyrique, peu sentimentale, éprise du joli et du spirituel, selon le goût du temps, mais naturelle, faite de grâce et d'aisance ... C'est proprement le triomphe du gracieux. »

Quoi de plus gracieux, en effet, que ces quatre vers, à propos du serment d'amour d'un étourneau à une rose ?

Le petit Dieu, dans sa volée,
Entendit faire ce serment ;
Il retint son souffle un moment,
Et la nature fut glacée.

Cette grâce n'excluait pas une certaine raillerie incisive ; nos bons Lorrains, s'ils n'en ont pas le monopole, pourraient briguer le premier prix du genre.

Je relève ces mots dans les couplets sur la Dubarry :

Chacun sait que Vénus naquit
De l'écume de l'onde.

Et, dans une note plus familière, le quatrain qu'on va lire.

M. de l'Isle, raconte le marquis de Charron, répondit ainsi à un compliment au sujet d'une belle paire de culottes en velours reçues pour sa fête

« De ma douce campagne, ouvrière assez forte,
Les culottes sont un bienfait;
Oui, mon ami, c'est elle qui les fait;
Mais c'est elle aussi... qui les porte.  »

Le poème intitulé L'Oranger fut loué vivement par Voltaire.

D'autres fois, le chansonnier fait alterner les madrigaux aux belles dames et les couplets aux petits chiens.

C'est ainsi qu'après les vers charmants à Zerbin, chien de Mme la princesse de Poix, et frère d'Hermine, chienne de Mme la duchesse de Gramont, il compose en l'honneur de Mme de Poix, d'Ossun et de Fleury un poème intitulé Elles sont trois :

Du nombre trois
Tout bon chrétien est idolâtre
Du nombre trois;
Dieu lui-même s’est mis en trois;
Ici l'on se mettrait en quatre
Plutôt que de laisser rabattre
Du nombre trois.

Telles étaient les trois Grâces à cette époque du règne de Vénus. « Tous ces couplets courent Paris », écrit Mme du Deffand à l'abbé Barthélemy.

Un jour, ce joyeux vivant eut le don de prophétie. Mieux que Cazotte, qui, parait-il, annonça des événements depuis longtemps accomplis, le chevalier de l'Isle vaticina la Révolution de façon étonnamment précise, ainsi qu'en témoignent ces couplets composés à Chanteloup en 1774, sous le ministère de Turgot. Ce poème est intitulé La prophétie turgotine. Il eut un succès énorme

... On verra tous les Etats
Entre eux se confondre,
Les pauvres sur leurs grabats
Ne plus se morfondre;
Des biens on fera des lots
Qui rendront les gens égaux,
Le bel oeuf à pondre,
O gué !
Le bel oeuf à pondre !

Du même pas marcheront
Noblesse et roture;
Les Français retourneront
Au droit de nature;
Adieu, Parlement et lois,
Adieu, ducs, princes et rois.
La bonne aventure,
O gué !
La bonne aventure !

Puis, devenus vertueux
Par philosophie,
Les Français auront des dieux
A leur fantaisie;
Nous reverrons un oignon
A Jésus damer le pion.
Ah ! quelle harmonie,
O gué !
Ah ! quelle harmonie !

A qui devrons-nous le plus ?
C'est à notre maître,
Qui, se croyant un abus,
Ne voudrais plus l'être;
Ah ! qu'il faut aimer le bien
Pour de roi n'être plus rien...
etc., etc.

« Ce dernier trait rappelle un propos de S. M. à M. de Malesherbes. Ce ministre suppliant le roi de vouloir accepter sa démission : « Que vous êtes heureux ! Que ne puis-je en faire autant ! s'écria ce prince. »

Ainsi doué d'une mystérieuse divination, le chevalier de l'Isle voyait les premières lueurs de l'aurore sanglante ternir lugubrement l'éclat nocturne des petits soupers sans qu'il eut même l'idée d'interrompre la fête dissolue où l'aristocratie sombrait, et la monarchie française avec elle,

« Vous renoncez au monde, à tout joli péché », écrit-il à Mlle de …, religieuse bernardine à l'abbaye de Flines.

Le péché en est encore à sa période jolie. Rendre le péché joli, tout le dix huitième siècle n'est-il pas là ?

« J'observe ainsi que vous un parfait célibat », continue le bon apôtre.

Cependant M. d'Arbois de Jubainville, ancien conseiller à la Cour royale de Nancy, racontait que de l'Isle avait dû se marier en Flandre, lorsqu'il était au régiment de Champagne.  Il le savait par sa femme, fille du chevalier de Remoncour, qui était le frère de M. de Riocour.  Victor du Bled nous représente ainsi le chevalier :
« Son portrait, que j'ai sous les yeux, donne l'idée exacte de son talent, de son caractère : traits fins et décidés, physionomie sympathique, ouverte, avec une légère expression d'ironie; sur ses lèvres mi-closes semblent errer, prêts à prendre leur vol, l'épigramme hardie, le madrigal aimable, la chanson alerte qui vont avoir les honneurs de la soirée, que, le lendemain, la poste ou un messager porteront à Chanteloup, à Ferney; car en ce temps-là on avait la fureur de l'inédit; les absents voulaient, autant que possible, être présents, informés sur l'heure ».

M. Henry de l'Isle nous a communiqué une notice manuscrite de la main de Villenave, achetée en 1892 par M. de Cormenin, petit-fils de Timon, à la librairie Voisin. Le portrait moral du poète, quoique peu flatté, ne manque pas d'intérêt.

«... On ne pouvait aller chez une duchesse malade ou chez une marquise en couches sans l'y trouver établi auprès du lit ou de la chaise longue. »

Ce que Villenave ne dit pas, ne fait pas ressortir, c'est que le chevalier soignait avec un grand dévouement ses amis malades, comme cette princesse d'Hénin atteinte de la petite vérole et délaissée de tous. M. de l'Isle seul affronta le danger de la contagion, et resta ]'ami fidèle de la princesse défigurée. Il composa même pour la consoler la jolie fable de La rose et l'étourneau.

« Bon, sensible, reconnaissant, empressé à plaire, de l'esprit, de la gaieté à revendre, il soigne ses amis, les accompagne aux eaux, garde le duc d'Angoulême qui a été inoculé, et Mme de Polignac accouche dans ses bras ... Le chevalier, dans sa correspondance avec son cousin de Riocour, offre d'assurer une somme de 30.000 francs à Bébelle (Mlle de Riocour), pour faciliter au besoin son mariage à (V. du Bled, ibidem).

Les vers adressés par notre poète à cette jeune cousine sont parmi les plus gracieux qu'il ait composés.

Naguère, à Brainville, M. Emmanuel de l'Isle nous faisait lire une lettre du chevalier, datée de Versailles du 13 janvier 1779, et adressée à M. de l'Isle, « chevalier, seigneur de Brainville ». Le poète félicite son cousin de s'occuper de l'éducation de son fils et l'engage à adresser à M. Necker un ouvrage qu'il a composé récemment, disant ne pas vivre dans une société capable d'apprécier un livre aussi sérieux. Toute cette lettre respire la bonté la plus parfaite.

« Ses succès dans le monde, continue Villenave, l'y rendirent familier; souvent maussade et quelquefois impertinent, il était extrêmement susceptible et croyait sans cesse qu'on voulait lui manquer; mais il n'en était pas moins recherché, parce qu'il était de bon ton de l'avoir.

Sa conversation était ordinairement plus méchante qu'agréable, plus caustique que fine; mais nul ne contait mieux par écrit, et ses lettres étaient charmantes ...

Il vint une année à Spa, où il fut couru et fêté à son ordinaire, l'archiduchesse Marie-Christine, gouvernante des Pays-Bas, était la personne la plus marquante aux eaux; tous les seigneurs français lui faisaient leur cour. Lorsqu'on lui donnait à déjeuner à la Rotonde, tout le monde, les dames même, attendaient son arrivée pour commencer le déjeuner. M. de Lisle seul et trois ou quatre joueurs de l'enfer tombaient sans pitié sur le plus beau fruit. « L'archiduchesse n'est donc pas arrivée, disait M. de Lisle; pour moi qui ne mange que du fruit, je vais commencer. » L'archiduchesse arrivée, il s'approchait familièrement d'elle et lui disait quelques galanteries en prenant une prise de tabac dont la moitié volait sur l'assiette de la princesse. La comtesse du Nord vint cette année à Spa; et le lendemain de son arrivée, l'archiduchesse lui donna un déjeuner splendide à la Rotonde. Tous les buveurs étaient priés; les dames et les hommes s'y rendirent à midi; les princesses n'arrivèrent que une heure. Dans l'intervalle, toujours sous le prétexte qu'il ne mangeait que du fruit, il s'assied au milieu de la table en fer à cheval, et là, seul devant tout le monde, se met à faire une macédoine de fruits rouges; toute la compagnie, le voyant, s'étonne et rit de cette impertinence. Le duc de Fronsac arrive; il lui aurait fait une scène pour une bagatelle; mais l'action du poète lui parut si extraordinaire qu’il ne put s'empêcher d'éclater de rire.

... M. de Lisle ne pouvait manquer, avec son caractère et favorisé par les circonstances, d'aimer à passer pour un homme à bonnes fortunes; il s'était donné publiquement pour aimer la marquise de Coigny chez laquelle il avait un appartement.

Mais il eut trop tard l'occasion de faire de tristes réflexions sur le peu de solidité de l'amitié des grands. Le jour de son agonie, et lorsqu'il avait le râle de la mort, il se donna un bal superbe et très bruyant chez Madame de Coigny; l'ami, l'hôte de la maison se mourait au bruit des instruments, des pas et de la joie de cette même société dont il faisait les délices. Il fut enterré le lendemain. »

« Cette notice, m'a dit M. Henry de l’Isle, est faite surtout pour produire de l'effet; mais c'est, je crois, aux dépens de la vérité. Les historiettes sont du goût de l'époque. La dernière est invraisemblable. De l'Isle était l'ami intime de Madame de Coigny; il eut à son chevet d'agonisant le prince de Ligne, Madame de Viomesnil et d'autres amis; je ne crois pas au bal. »

Le chevalier de l'Isle légua tous ses manuscrits au comte d'Artois auquel il était attaché et dont il recevait une pension. Il mourut en mars 1784.

Les poésies du chevalier de l'Isle furent éditées à Bruxelles en 1782, imprimerie du prince Charles de Ligne, et tirées à cinq exemplaires, dont un a été acheté jadis cent francs par le duc d'Aumale.

M. Henry de l'Isle, malgré ses longues et savantes recherches, n'a pu réunir toutes les oeuvres de son cousin. Manquent bien des poésies, les mémoires, les contes contre la Du Barry, et presque toutes les lettres à madame du Deffand, Horace Walpole, Voltaire.  Néanmoins, ce qui nous en reste est un des plus précieux documents sur une des époques marquantes de la civilisation française.

S'en fut-il soucié, cet élégant commensal de Choiseul et son compatriote lorrain ?

Au banquet de l'Epiphanie, quand les joyeux compères disaient en choeur le refrain de la chanson voltairienne du Chevalier sur les Rois :

Le verre en main, chantons cent fois
Vivent les rois !
Vivent les rois quand ils sont trois !

ils sentaient parfois que la terre commençait à trembler sous la royauté, et n'en continuaient pas moins par les couplets irrévérencieux à saint Nicolas :

... Le peuple de Lorraine
Qui l'a pris pour parrain,
Le long de la semaine
Vit sans avoir du pain...

D'autres fois ils répétaient cette satire facile contre l'académie de Nancy, où le satellite de ce M. de Voltaire qui raille les Welches est dans la tradition de son maître en raillant les Lorrains. Lorrains mes frères, croyez-vous que nos pères en aient gardé rancune à de l'Isle ? Ce serait bien mal les connaître.

Pensons plutôt que de l'Isle fut oublié d'eux pour avoir manqué de respect saint Nicolas.

A.  MAROT.

Source : Pays Lorrain, 1912, 9ème année, pp 40-47.

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