Dimanche 15 janvier 1792, 6 heures et demie du soir.
Bonne mémère, bonne et excellente mère, combien votre lettre vient de me rendre heureux ! Je l'ai lue et relue. Quelle richesse nouvelle pour mon trésor si précieusement gardé : une lettre de huit pages !
Bonne mémère, bonne et excellente mère, combien votre lettre vient de me rendre heureux ! Je l'ai lue et relue. Quelle richesse nouvelle pour mon trésor si précieusement gardé : une lettre de huit pages !
Portrait de Mme Durival, dite "mémère", mère adoptive de Joseph-Louis-Gabriel NOEL
Tous nos volontaires sont persuadés maintenant que dans huit jours nous marcherons. Quoique la saison soit bien rude, ce serait pour nous tous .une grande joie (1)... Mais voici que votre lettre dit que tout est à la paix... je sens que vous la désirez. Sans doute, en général, elle est préférable aux fléaux de la guerre. C’est l'enseignement de la Raison ; mais pour notre cas particulier je redoute surtout qu'on nous fasse mourir à petit feu. Pourquoi donc attendre jusqu'au mois de mars ? Voici le 15 janvier. Si les émigrés sont encore rassemblés, il faut marcher. On nous fait une guerre cruelle à Coblentz et en attendant le mois de mars nous pourrions toujours y aller détruire la fabrique de faux assignats. Permettre là une fabrication aussi désastreuse pour nous, n'est-ce pas en fait nous déclarer la guerre? On dit que les assignats que l'on y fait sont de 500 livres. Prenez-y garde, mémère, quand vous en recevrez.
Je suis bien aise que vous aimiez les canonniers. J'ai été aujourd’hui avec des camarades de bonne volonté pour les aider à ôter la neige qui était autour des batteries. Nous avons bien travaillé. Tous les jours on attend des canons et il n'en arrive pas. Je n'ai donc pas encore appris la manœuvre du canon, mais j'espère que cela viendra. Pour tout cela il faudrait du beau temps et voilà au contraire un vilain dégel. En tout cas ne plaignez pas votre soldat d'être exposé au froid ; il ne le sent pas, il ne veut pas le sentir, c'est un dur soldat.
Je suis bien aise de savoir que ma bonne sœur déjeune chez mémère les dimanches et les vendredis. Vous vous entretenez du soldat dans votre petit ménage ; mais le soldat est seul et son ménage est dans son coeur : il y parle souvent de la famille. Comment passez-vous les soirées? Etes-vous seules? Avez-vous souvent la visite de Mme de Jobart (2) ?
L’almanach du père Gérard que vous m'avez envoyé est bien bon. Il est simple et clair et tel qu'il nous le faut. A la place du père Gérard nous avons dans notre chambrée un vieux sergent, le père Grimal. C'est un fort bon homme. Il est aimé des jeunes gens et sait, tout en étant familier avec eux, leur faire remplir leur devoir. C'est un Languedocien. Il a servi longtemps et a été à huit batailles dans la guerre de Hanovre. Il nous conte parfois ce que c’est que le métier de la guerre ; c'est un dur métier mais qui ne nous effraie pas.
Bonsoir, mémère et ma bonne sœur. Merci de votre lettre. Le soldat est heureux, il serait brave en ce moment s'il fallait marcher.
(1) Le grief principal du gouvernement constitutionnel de Louis XVI était la tolérance laissée aux rassemblements d'émigrés à portée de nos frontières.
(2) Mme Durival occupait un appartement personnel avec son service spécial dans la maison des Renault d'Ubexy, rue Neuve-Sainte-Catherine. Cette maison était également habitée par Mme de Jobart, née Renault, et Mlle de Juvincourt, sœur de Mme de Jobart. Charlotte d'Aubigny habitait, ou du moins logeait à Bon-Secours, dans l'appartement de M. de Vismes, son père, qui s'absentait d'ailleurs de plus en plus souvent et longtemps. Mais elle passait sa journée chez mémère.
Source : Au temps des volontaires - 1792, lettres d'un volontaire de 1792 (Joseph-Louis-Gabriel NOEL), par Gabriel NOEL, Plon-Nourrit, 1912
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