dimanche 7 octobre 2012

Gérard ROUSSELOT, enfant naturel de François II de LORRAINE ?

Plusieurs auteurs Lorrains du début du 18eme siècle avancent que Gérard Rousselot d'Hédival fut un fils naturel de François II, duc de Lorraine. 
 
 
Baleicourt (dit "le père Hugo", abbé prémontré d'Etival), dans son Traité sur l'origine de la Maison de Lorraine, publié en 1711, page 255, écrit que "François II eut, pendant qu'il étudiait à Pont-à-Mousson, deux fils naturels ; l'un appelé Charles, qui fut chevalier de Malthe, Commandeur de S. Jean de Nancy et comte de Briey; l'autre N. Rousselot d'Hédival".




Cette affirmation fut remise en cause en 1811 par Jean-Jacques Bouvier dans son Histoire des villes vieille et neuve de Nancy (p 423). Cependant, son argumentation, présentée ci-dessous, me semble peu concluante (voir mes commentaires en gras).


"C'est un préjugé presque général dans la Province, que ce Gérard Rousselot est un fils naturel de François II, Duc de Lorraine. Plusieurs erreurs dans lesquelles cet auteur est tombé, et qui lui ont été justement reprochées, auroient dû, ce me semble, rendre plus attentifs et plus circonspects, ceux qui depuis lui, ont travaillé sur l'histoire du pays, et les engager à ne pas hazarder, sur son seul témoignage, un fait qui est démenti non-seulement par les titres et les monumens les plus authentiques, mais encore par le silence de tous les auteurs contemporains sur une action, aussi éclatante d'un jeune Prince à qui son âge la rendoit moralement impossible. C'est ainsi que Terreur s'accrédite, et qu'on fait passer pour une vérité incontestable, ce qu'un peu de réflexion démontreroit invraisemblable. Quel moyen ensuite de révoquer en doute un fait consigne dans presque tous nos historiens modernes, et qui n'est contredit par aucun de nos écrivains !
 
 
D. Pelletier qui a parlé de cette famille, dans son nobiliaire de Lorraine, n'avoit garde de ne pas encore enchérir sur ceux qui avoient écrit avant lui, et de ne pas préférer les nobiliaires mensongers aux actes qui l'auroient préservé de l'erreur. "Gérard Rousselot, dit-il, Seigneur d'Hédival, de Frémery, du Val de Vaxy, et de Morville, fils naturel de François II du nom, Duc de Lorraine, et de Reine de Pompey, naquit à Pont-à-Mousson, lorsque ce Prince y faisoit ses études, sous le titre de Comte de Vaudémont.... Il obtint le 17 octobre 1639, la confirmation des titres de gentillesse qu'il avoit déjà obtenues en 1630 de l'empereur Maximilien".
 
 
Que d'erreurs dans ce court narré de cet auteur, qui prouvent avec quelle justice la Chambre des comptes a défendu de le citer en preuve à ses audiences !

1° Ecrivant sur la Noblesse, il devoit savoir que par une loi de l'Etat, on ne pouvoit en Lorraine obtenir de lettres de gentillesse, qu'en prouvant quatre degrés de noblesse du côté paternel et autant du côté maternel. Or, comment un fils naturel peut-il se donner des ayeux de son nom ? La lecture des Lettres-patentes, en en attribuant à ce Gérard Rousselot, lui aurait fait abandonner la fable de son auguste origine.


Commentaire : à cette époque, les enfants batards n'étaient pas tous reconnus ou légitimés. Et vraisemblablement, ce fils naturel de François II  de LORRAINE ne le fut pas. Or, Reine de POMPEY étant mariée à Gerard ROUSSELOT, capitaine de la baronnie de Viviers, l'enfant fut naturellement appelé Gérard ROUSSELOT, fils (adoptif ?) de Gérard ROUSSELOT et Reine de POMPEY. Et ses degrés de noblesse furent alors ceux de son père (adoptif ?) et de sa mère.


2° Il ne pouvoit aussi ignorer que si c'est le privilège des Gentilshommes de l'ancienne chevalerie, de pouvoir annoblir leurs bâtards, en leur communiquant leurs armes, à charge de barrer leurs signature et armoiries, le privilège des Ducs de Lorraine, étoit de faire Gentilshommes de l'ancienne Chevalerie, leurs fils naturels, en leur accordant leurs armoiries à condition de les barrer, comme les Bilistain et tant d'autres. La famille de Rousselot n'a jamais porté les armes de Lorraine, ni prétendu à l'honneur d'être de l'ancienne Chevalerie, dont les privilèges ont été abolis depuis l'obtention des Lettres-patentes de gentillesse.
 
 
Commentaire : Idem. Si l'enfant n'a pas été reconnu ou légitimé, tout ce raisonnement tombe à l'eau.
 
 
3° Comment l'Empereur Maximilien II auroit-il donné ces patentes de gentillesse en 1630, étant mort au mois d'octobre 1576, c'est à-dire, 51 ans auparavant ?
 
 
Commentaire : effectivement, il y a une erreur dans la date de Dom Pelletier, les lettres patentes avaient été données en 1517 par Maximilien 1er : "Le 17 Octobre 1639, lettres de gentillesse à Gérard Rousselot, seigneur d'Hédival, dont le bisaïeul avait obtenu, en 1517, de l'empereur Maximilien, des lettres de déclaration du titre de gentilhomme". (LEPAGE et GERMAIN, supplément au Nobiliaire de D. Pelletier, p. 352).
 
 
4° D. Pelletier ajoute que ce Gérard Rousselot mourut en 1662, âgé de 80 ans, ainsi que le rapporte le monument certain dont nous donnons la description :


D. O. M.
Hic etiam post mortem vivit vir nobilissimus D. Gerardus Rousselot, Dominus d'Hédival et Fremery, serenissimis Ducibus Francisco II et Carolo IV à consiliis et secretis intimis, ac illius Domui ac negotiis Prœpositus, quem religio in Deum , Fides in Principes, Pietas in Patriam procuratum ad hœreticorum conversionem Collegium Bockenhemio fecerunt immortalem. Pulsis è comitatu Salmensi Lutheranis et Sarwerdensi, cui hœresis à centum annis incubabat, summis in camera Spirensi laboribus exhaustis, Lotharingiœ Ducatui asserto, Aram hanc sui zeli trophœum Indiarum Aposlolo crexit. Obiit 8* octobris anno Domini 1662, Aetatis 80
Vixit in laudis et tumuli partem nob* fœmina et leclissima conjux D. Catharina Fournier fato functa 19 Aug. Ann. 1646, œtatis 52.
Perenne hoc monumentum parentibus optimis nolilissimus
D. Nicolaus Rousselot Dominus d'Hédival, serenissime Duci Carolo IV à consiliis intimis et Forensibus, et nobilissima D. Ursula Collignon de Silly ejus conjux posuerunt. Obierunt uterque, aller 13* Aprilis 1687, altera 2* Decembris 1688.
 
 
C'est ici que se manifeste plus sensiblement l'erreur que cet auteur a voulu transmettre à la postérité, et que la plus légère attention lui aurait fait éviter.

Ce Gérard Rousselot, de son aveu, est mort en 1662, âgé de 80 ans. (Son épitaphe marque de plus que ce fut le 8 octobre de cette année). Il devoit donc être né en 1582. Nous savons que le Duc François II naquit en 1572, dix ans seulement avant la naissance de ce Gérard, si on retranche les neuf mois de sa conception, il faut donc que ce jeune Prince l'ait conçu à l'âge de 9 ans. Quoique la chose ne soit pas physiquement impossible, la probabilité du contraire n'équivaut-elle pas à une certitude ?
 
 
Commentaire : mon retour d'expérience en tant que généalogiste est qu'il ne faut jamais accorder trop d'importance aux âges de décès : ils sont souvent faux ou approximatifs à cette époque ("âgé de 80 ans" signifie parfois "âgé d'environ 80 ans"). De plus, la puberté peut commencer de façon précoce chez certains enfants : concevoir un enfant à l'âge de 10 ans environ est physiquement possible.
 
 
1° Ce jeune Prince étoit élevé dans un bâtiment fait par ordre du Souverain dans l'intérieur du Collège confié aux Jésuites qui ne permettoient à aucune personne du sexe de pénétrer dans leur maison, y ayant un parloir à l'entrée pour ce sujet.
2° Les Jésuites nouvellement établis dans l'Université de Pont-à-Mousson, justement glorieux de la confiance du Souverain, qui les chargeoit non-seulement des études d'un jeune Prince, mais encore principalement de régler ses mœurs, auroient-ils été assez imprudents, pour s'exposer à l'indignation de leur fondateur, en négligeant à ce point de veiller avec le plus grand soin sur le dépôt si cher à ses yeux, qu'il leur avoit mis entre les mains?
3° Les Jésuites n'étoient pas seuls pour veiller sur la conduite de ce Prince. Il avoit une espèce de Cour, composée des personnes les plus sages et de la plus haute qualité qui ne l'abandonnoient point. Et si à cet âge si tendre, ce Prince se fût dérobé à leur vigilance, quels reproches, ou plutôt quelle punition n'auroit pas méritée ces Seigneurs, qui se seroient rendus indignes de la confiance de ce Souverain !
4° Dans les visites et les promenades que pouvoit faire ce Prince si jeune, personne ne croira qu'on lui ait permis de les faire seul, et de favoriser une passion dont les suites auroient attiré à tous ses gardiens une juste et grave punition. C'est donc une calomnie insigne qui a publié dans la suite des temps une précocité aussi extraordinaire, pour ne pas dire inouïe dans un si jeune Prince toujours veillé et accompagné par des personnes de la plus haute probité. Précocité qui auroit fait éclat dans le temps, et dont les historiens contemporains n'auroient pas manqué de faire mention ; n'y en ayant néanmoins aucun qui en ait parlé.
 
 
Commentaire : ces arguments n'ont pas grande valeur. Ce n'est que du blabla. Il parait peu probable que François II de LORRAINE puisse avoir été, dans sa jeunesse, constamment surveillé et éloigné des femmes.
 
 
Mais ce qui confirmera ce que nous venons d'avancer, c'est la filiation de cette famille appuyée de titres authentiques, reconnus par le Maréchal du Barrois et Héraut d'armes de Lorraine, vérifiés au Conseil du Souverain fils de François II, qui n'auroit pas ignoré cet acte si extraordinaire de son père, lorsque Gérard Rousselot fut confirmé Gentilhomme de race, en 1639, et vérifié en 1664, en la Chambre des comptes, lors de l'entérinement des lettres confirmatives.
 
 
Commentaire : ce qui a été vérifié, ce sont les filiations  et les titres authentiques de son père (adoptif ?) Gérard ROUSSELOT, capitaine de la baronnie de Viviers, et de sa mère, Reine de POMPEY.
 

 
 
En conclusion, il est difficile de prouver que Gérard ROUSSELOT D'HEDIVAL fut un fils naturel de François II de LORRAINE. Les faits qui me font cependant pencher vers cette hypothèse sont les suivants :
 
 
1/ Gérard ROUSSELOT eut une ascension sociale fulgurante : alors que son père (adoptif ?) ne possédait a priori aucun fief et avait une position sociale relativement modeste de capitaine de la baronnie de Viviers, Gérard ROUSSELOT D'HEDIVAL fut, pour sa part, grandement "gâté" par les ducs de Lorraine, à la fois du point de vue des fonctions (prévôt, gruyer et receveur de la baronnie de Viviers, maître des comptes de Lorraine, conseiller secrétaire d'État du duc Charles IV, président des comptes et domaines du duc François), du point de vue des fiefs (seigneur d'Hédival, de Frémery, du Val-de-Vaxi et de Morville. Tous ces fiefs appartenaient initialement à François II de LORRAINE de par son mariage avec Christine de SALM) et du point de vue des titres (lettres d'anoblissement du 27/04/1609, lettres de gentillesse du 17/10/1639). Etait-ce pour ses qualités intrinsèques ou pour sa naissance entourée de mystère ?
 
 
2/ Reine de POMPEY fût, elle aussi, "gâtée" par les ducs de Lorraine tout au long de sa vie. Tous ses maris ou enfants furent anoblis. D'abord son fils Gérard ROUSSELOT en 1609, puis son second mari Claude FLEUTOT en 1621 ("de ses services, et de ce qu'il est allié, par mariage, à damoiselle Reine de POMPEY").
 
 
3/ L'étude du père Hugo sur la généalogie de la Maison de Lorraine semble sérieuse. De plus, il savait très bien que son livre serait lu par la famille règnante de Lorraine et il semble peu probable qu'il ait pû mettre une telle information sans source fiable (l'existence d'un enfant naturel et non reconnu de François II de LORRAINE, ce n'est tout de même pas une information anodine !).

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