Mon grand-père, dans son ouvrage "Quelques souvenirs de famille", avait écrit :
« François I SEROT, né vers 1626, je ne sais pourquoi, fut incarcéré et torturé par les Espagnols alors qu'il était allé rendre visite à Tolède au duc de Lorraine Charles IV, arrêté en 1654 par les Espagnols à Bruxelles où il résidait. A son retour en Lorraine, Charles IV lui attribua, en reconnaissance de sa fidélité, des armoiries : une croix potencée d'or sur fond d'azur avec, aux quatre coins, une menotte rappelant sa captivité à Tolède. Il eut au moins deux fils dont l'un mourut en bas âge. »
Armoiries de la famille Sérot
Les informations fournies par mon grand-père comporte des erreurs. En effet, mon ascendant François SEROT, né en 1626 et décédé en 1716, ne peut être le François SEROT, greffier et receveur d’Amance, anobli en 1660 pour avoir tenter de libérer le duc de Lorraine Charles IV de sa prison de Tolède, car celui-ci est décédé le 28 février 1708 à Amance. Cependant, un lien de parenté est fort probable car la famille SEROT a porté les armes de ce François SEROT qui n'a pas eu de descendance masculine.
Pour quelle raison François SEROT a-t-il été incarcéré et torturé par les Espagnols lors de sa visite à Tolède ?
Si le règne de Charles IV fut troublé par de constantes agitations, attristé par des malheurs sans nombre, en grande partie dus à son imprévoyance, ce prince inconstant put toujours, du moins, compter sur l'amour de ses sujets.
La captivité de Charles en Espagne (1654-1659) fournit aux fidèles Lorrains plus d'une occasion de témoigner leur dévouement à la cause de la patrie dans la personne du souverain.
Parmi les nombreuses tentatives entreprises dans le but de rendre à la liberté l'illustre prisonnier, il en est une qui est racontée par Dom Calmet dans son histoire de Lorraine :
"Vers ce temps-là, un nommé Sureau, Lorrain de naissance, tailleur d'habit de profession, qui avait suivi le duc d'Epernon à son gouvernement de Toulouse, et qui servait une troupe de comédiens qui jouaient devant le duc pour leur faire des habits de théâtre, fit un voyage à Tolède où il vit Labbé, conseiller d'Etat, et Salé son oncle maternel, qui le connaissant homme d'intrigue et hardi. Ils l'employèrent à faire tenir secrètement des lettres à S.A. Ce prince était gardé à vue et n'allait jamais, même en promenade, qu'il n'eut dans le même carosse un exempt des gardes du roi d'Espagne.
On gagna le confesseur du duc qui lui procurait le temps de les lire et d'y faire des réponses en l'absence des gardes, pendant qu'il était seul avec lui, sous prétexte de confession. Mais comme Son Altesse n'avait ni plume ni encre, il taillait des pailles de son lit et se faisait une espèce d'encre avec de la paille brûlée et délayée dans son urine.
Cette manoeuvre ayant duré du temps, le confesseur craignit d'être découvert, et Sureau continua ses services en remettant des lettres immédiatement au duc. Mais il fut découvert, ou du moins il s'aperçu qu'il était observé de si près qu'il ne pouvait, sans un péril extrême, rendre service à son souverain. Il déclara son embarras à Labbé qui lui dit qu'il fallait encore hasarder encore une fois, les lettres qu'il portait étant d'une conséquence infinie. Sur cela, il prit une résolution des plus hardies. Il va trouver le gouverneur de Tolède et lui dit : "je suis porteur de lettres pour le duc de Lorraine mon souverain, il faut que je les lui rende aujourd'hui. Si vous m'en refusez la liberté, je vais vous accuser vous même de m'avoir engagé dans ce commerce". Le gouverneur étonné d'une telle fermeté le laissa aller. Sureau rend les lettres. Mais le gouverneur ayant averti la Cour de l'aventure, Sureau fut arrêté et mis en prison. On l'interroge, il avoue qu'il a fait tenir des lettres au duc Charles. On lui demande qui sont ses complices et de qui il a reçu ses lettres, il refuse de répondre. On lui donne la question ordinaire et extraordinaire, il ne découvre rien. On délibère dans le Conseil du roi sur ce que l'on doit en faire, quelques uns opinent à la mort, d'autres au bannissement. Ce dernier sentiment fut suivi parce, dit-on, qu'il est naturel à un sujet de servir son souverain. Mais on résolut de condamner à mort ceux qui avaient écrit au duc ou qui avaient voulu favoriser son évasion s'ils étaient espagnols.
Sureau n'était pas en état d'aller en son bannissement, la question lui avait disloqué tous les membres. On le mit dans un fumier chaud pendant plusieurs jours afin de le rétablir. Les espagnols admirant une telle constance l'allaient voir comme un prodige et se disaient l'un à l'autre : "allons voir l'homme", marquant par là son courage viril et sa générosité extraordinaire. Labbé, Salé et Diey, mère de l'épouse de Labbé, rachetèrent son bannissement par une grande somme de deniers. Il revint en Lorraine et y vécut encore plusieurs années. Charles IV l'anoblit et lui donna la prévôté et grüerie d'Amance. Il mourut à Amance, portant les marques glorieuses de son grand courage, par les incommodités qui l'ont accompagné au tombeau ".
Il apparait que Charles IV s'est soucié du sort des Lorrains ayant organisé des tentatives d'évasions. En effet, dans une lettre de 1656, Charles IV demande grâce à Philippe IV :
« Tolède, 27 novembre 1656.
Monseigneur,
La bonté de Votre Majesté me fait résoudre de lui supplier de vouloir pardonner là de mes domestiques et Lorrains qui sont prisonniers pour avoir voulu contribuer à ma liberté, la suppliant très humblement de considérer que, par naissance et autrement, ils sont obligés de m'assister. Néanmoins, ne pouvant, ni eux, ni moi, attendre cette grâce que de la piété de Votre Majesté, je me suis persuadé qu'elle ne me la refusera pas, puisque, dans l'état où je anise je ne puis en recevoir une plus obligeante, et si il est nécessaire pour se satisfaction et ma vie et mon sang, qu’elle ne l'épargne pas, s'il lui plaît, lui ayant voué dès si longtemps. C'est à ce coup, Monseigneur, que Votre Majesté peut nous faire justice et grâce, ne pouvant nier que, si ces pauvres valets sont coupables d'impertinence, je ne le suis d'impatience sur le même fait. Ainsi, Votre Majesté peut leur faire grâce, à tous ces pauvres Lorrains, comme je lui en supplie et faire telle justice de moi qu'il lui plaira. Que si Votre Majesté voulait user, par sa générosité ordinaire, de sa miséricorde, d'un pardon général, aussi bien à moi qu’à ces pauvres Lorrains, me donnant la liberté je la recevrai doublement et avec tant de ressentiment d’obligation que je passerais pour le plus infâme de la terre si, tout le reste de mes jours, je ne les employais à louer et bénir sa royale personne, donnant vie et biens pour mériter que Votre Majesté m'accorde le titre de,
Monseigneur,
votre très humble et très obéissant cousin et serviteur,
CH. LORRAINE »
Source : Archives Nationales, K 1688, n° 96. Original.
Un autre texte relate les hauts faits de François SEROT à Tolède :
"C'est dans les murs d'Amance qu'était né, c'est d'Amance que fut fait prévôt pour sa récompense, le fidèle François Seurot, ce courageux Lorrain dont les efforts multipliés, à Tolède, furent sur le point de délivrer Charles IV, — indignement devenu prisonnier des Espagnols, par la vengeance et la basse envie du comte de Fuensaldagne, auquel ce prince avait eu l'imprudence de trop faire sentir l'infériorité de ses vues et de ses talents militaires.—Seurot, à force de persévérance, allait faire évader le duc de Lorraine, lorsque, dénoncé au moment de la réussite, il eut à subir, Malgré Le Droit Des Cens, les supplices de la question, ordinaire et extraordinaire; mais, invincible dans les tortures, il ne prononça pas un mot qui pût révéler les compatissantes intentions de personne. Lorsque les conseillers royaux, reconnaissant enfin qu'il n'avait fait que remplir ses devoirs en servant son prince et son pays, décidèrent qu'on se bornerait à l'expulser d'Espagne, il fallut, pour le rendre à la vie, le coucher longtemps dans du fumier chaud. Alors seulement, l'honneur castillan se réveilla ; toutes les âmes généreuses vinrent témoigner au patriote lorrain leur sympathie ; et les seigneurs de la Cour de Madrid se disaient l'un à l'autre : « Allons voir L'homme » (l'homme par excellence). Et hombre, ce mot suffisait.
A la paix des Pyrénées, le duc Charles IV, mis en liberté, ne se montra point ingrat. Non seulement Seurot, investi de la prévôté d'Amance même, fut mis à la tête de sa ville natale, mais il obtint les plus nobles armoiries possibles :
Sur champ d'azur, ou fond céleste, quatre menottes d'argent, signe des chaînes qu'il avait portées; et au centre, la croix potencée d'or, dite croix de Jérusalem, héritage de la maison des René ; ce qui voulait dire à la fois Lorraine et Martyre ".
Source : Nancy: histoire et tableau, A. P. F. Guerrier de Dumast (baron) - 1847 - Page 179
De retour de Tolède, Charles IV récompense grandement François SEROT pour sa fidélité :
1/ François SERROT : pension à lui consentie par le duc de 1200 fr. et assignée sur sa recette (Paris, 6 mars 1660) :
Charles … les services à nous rendus par notre cher et bien aymé … François SERROT nous ayant porté à luy octroyé la charge de receveur de notre domaine d’Amance et luy en faire présentes lettres de provisions nous avons nous luy voulu luy donner les moyens de subsistance … et partant scavoir faisons … que de notre grâce spéciale, puissance et autorité souveraine nous avons donné et accordé, donnons et accordons à iceluy SEUROT une pension annuelle de douze cens frans barrois par chacune année laquelle il …, mandons … notre chambre des comptes de Lorraine et Barrois … quil appartiendra de luy payer et allouer par chacun an ladite somme à la … ses comptes, quoy faisant … vallablement déchargez. Car ainsy nous plait. En foy de quoy nous avons aux présentes signé de notre main et contresigné par … secrétaire destat … appliqué le grand seel de … fait a Paris le sixième mars mil six cens soixante.
2/ François SERROT : nommé receveur d’Amance (Paris, 8 mars 1660) :
Charles, … , notre cher et bien aymé sujet … François SERROT nous a rendu … la fidélité et affection, particulièrement dans nos prisons de Tolède où il sest grandement exposé à tous les risques, même de sa propre vie, quil y a justice à la récompense. Et partant sçavoir faisons questant bien informé de la probité conduitte et bonne …, nous luy avons de notre grâce spécialle, puissance et autorité souveraine, octroyé et confié, octroyons et confions par …. la charge et office de receveur de notre domaine damance, aux honneurs, privilèges, franchises, immunités, gages, … et émolumens dont les … en ladite charge ont jouy et … jouyr. Mandons …
3/ François SERROT : anoblissement (Paris, 9 mars 1660) :
Charles … noblesse … des hommes … esté acquise … par la vertu, la perfection … à satisfaire aux lois de la nature … naissance. C’est là le véritable objet … donne la gloire de la … aux belles actions de … notre fidèle et bien aymé François SERROT a porté toute la sienne à nous servir dans les … et inconstances des temps et de la …, sa fidélité a paru dans une prison, sa constance dans la tourmente et les tortures et à la vue du supplice pour notre liberté. Et partant voulant faire connaître ce qui … si fidèle … de la rendre glorieuse à toute la postérité.
Sçavoir faisons que de notre grâce spéciale, puissance et autorité souveraine , nous avons annobly et annoblissons par ces présentes SERROT et tous les enfants qui naîtront de luy en loyal mariage, ordonnons quilz jouyront … dont les personnes nobles jouyssent, prendre ou donner jouyr, … posséder tous offices qui regardent les personnes nobles … un champ d’azur, une croix d’or potencée accompagnée de quatre fers d’argent …
Source : ADMM, B 111.
CAPTIVITE DU DUC DE LORRAINE CHARLES IV A TOLEDE
« Charles IV, uni aux Espagnols contre la France, n'avait su gagner ni l'estime ni la confiance de ses alliés. Par sa légèreté, par sa mauvaise foi, par ses négociations sans cesse renouvelées avec la France, par ses excentricités, par son union irrégulière avec Béatrix de Cusance, veuve du prince L. E. de Cantecroix, le duc de Lorraine avait fini par lasser la patience et par s'attirer la défiance et l'antipathie des hommes d'État et des généraux espagnols. D'autre part, Charles s'était brouillé, à propos du Clermontois, avec le prince de Condé, entré lui aussi au service du roi catholique; ce désaccord acheva de le perdre dans l'esprit de ses alliés. Philippe IV ou plutôt ses conseillers décidèrent donc, au début de 1654 de se saisir de la personne du prince lorrain. Arrêté à Bruxelles le 25 février 1654, conduit le lendemain à la citadelle d'Anvers, il fut quelques mois plus tard transféré en Espagne, et interné à Tolède, où il passa un peu plus de cinq années. Quels qu’eussent été les torts de Charles IV, le gouvernement espagnol commettait une violation flagrante du droit des gens, en faisant emprisonner sans jugement un prince souverain, son allié, qui, malgré ses incartades, lui avait rendu bien des services. Aussi, le procédé arbitraire de la Cour de Madrid fut-il blâmé partout, en France comme dans le reste de l’Europe, et Mazarin lui-même, qui n’aurait peut-être pas agi autrement en pareil circonstance, condamna la conduite de l’Espagne envers le duc de Lorraine.
Portrait de Charles IV de Lorraine
Naturellement, Charles IV s’efforça par toutes sortes de moyens, tentatives d’évasion, ou négociations, de sortir de sa prison. Aucun d’ailleurs ne lui réussit, et le duc ne recouvra sa liberté qu'au mois d'octobre 1659, au moment où Mazarin et don Louis de Barn, réunis à la frontière de la France et de l'Espagne, s'apprêtaient à signer la paix des Pyrénées.
Pourtant, il y eut en 1655 un moment où le duc de Lorraine put croire que les portes de sa prison allaient s'ouvrir devant lui. Des négociations avec le gouvernement espagnol menées par MM. du Châtelet et Dubois de Riocour, envoyés à Madrid par Nicolas François, frère de Charles, semblaient devoir aboutir à un résultat satisfaisant. Charles avait signé, le 9 octobre 1655, un traité par lequel il abandonnait ses troupes à Philippe IV qui, en retour, s'engageait à lui rendre la liberté; c'est alors que la désertion des troupes lorraines, restées au service de l'Espagne, et leur passage en France vinrent amener la rupture du traité et condamner Charles IV à rester en prison.
Ce dénouement était la conséquence d'une série de fautes commises par le duc, par sa femme et par son frère. C'est du reste sur Charles IV que retombait la plus grosse part de responsabilité, c'est à lui-même - et non à d'autres - qu'il devait surtout s'en prendre de la ruine de ses espérances. Tout d'abord, nous n'oserions affirmer qu'il eut été de bonne foi en traitant avec le gouvernement espagnol; mais, s'il nous reste des doutes sur sa duplicité, nous n'hésitons pas à le taxer de maladresse. La défiance et l'aversion que lui inspirait son frère Nicolas-François l'ont entraîné à commettre de regrettables imprudences. Aussitôt après l'arrestation de Charles IV, l'Espagne, qui désirait garder l'armée lorraine à son service, et qui redoutait que celle-ci ne tentât d'une façon ou d'une autre de venger la captivité d'un chef qu'elle aimait, avait prié Nicolas-François, alors à Vienne, en Autriche, de venir dans les Pays-Bas et d'y prendre le commandement des troupes lorraines. Nicolas-François accepta les olives de l'Espagne. Les deux. frères étaient déjà depuis quelque temps en froid, l'ancien évêque de Toul ayant hautement blâmé l'union irrégulière que Charles avait conclue avec Béatrix. L'acceptation par Nicolas-François des propositions espagnoles acheva d'indisposer le duc de Lorraine, qui ne fut pas éloigné de voir une véritable trahison dans la conduite de son frère. Ajoutons à cela qu'il était insupportable à un souverain aussi jaloux de ses droits que l'était Charles IV, de penser qu'un autre disposait de son argent et de ses soldats, nommait des fonctionnaires et leur donnait des ordres.
L'animosité du prince lorrain à l'égard de Nicolas-François lui fit, nous l'avons dit, commettre de graves maladresses. Non content de se rapprocher de sa femme légitime Nicole, qui, oublieuse des torts de Charles, s'employait à lui faire recouvrer sa liberté, le duc lui envoya, le 28 février 1655, sa procuration : la duchesse recevait ainsi pleine et entière autorité sur les fonctionnaires, les officiers et les soldats lorrains aussi longtemps que durerait la captivité de son mari. Aveuglé par le ressentiment que lui inspirait la conduite de son frère, Charles ne vit pas qu'en opposant Nicole à Nicolas-François il allait provoquer des conflits qui ne pourraient avoir que des conséquences désastreuses pour la Lorraine et pour la famille ducale. Le ler avril, il commettait une faute plus grave, en signant uin ordre par lequel il enjoignait au comte de Ligniville, le véritable commandant de l’armée lorraine, de quitter le service de l’Espagne ; Nicole fut chargée de transmettre le document au destinataire.Comment le duc n’a-t-il pas compris qu’il allait pas là s’aliéner la Cour de Madrid, désireuse de garder les troupes lorraines, et s'enlever ainsi tout espoir de sortir jamais de sa prison ? Il finit par s'en rendre compte, mais trop tard, alors que MM. du Châtelet et Dubois dë Riocour, arrivés en Espagne, négociaient sa mise en liberté avec les ministres de Philippe IV.
Une femme intelligente, douée de clairvoyance et de sens politique, aurait prévu les dangers qu'entraînerait l'exécution des ordres imprudents de son mari. Par malheur, Nicole était d'esprit borné; de plus, les agents de Mazarin qui l'entouraient et la conseillaient la poussaient à suivre les instructions de Charles IV, qui faisaient en définitive le jeu de la France; la duchesse crut donc devoir s'y conformer, les dépasser même, et, avec les meilleures intentions du monde, elle travailla pour Louis XIV en croyant servir son mari. Si elle se montrait bien inspirée en sollicitant l'intervention du pape et de Venise, en envoyant Mengin à Madrid réclamer l'élargissement de Charles, elle allait au rebours des intérêts du prisonnier de Tolède en traitant le ler mai avec la France, en transmettant à Ligniville l'ordre que Charles avait signé le ler avril, en invitant, par son manifeste du 30 juin, le général lorrain, ses officiers et ses soldats à quitter les Pays-Bas. Était-ce à l'instigation de Nicole que, dès la fin de décembre 1654, deux régiments lorrains avaient déserté ? Nous n'avons aucun motif de le croire, mais, si le 8 novembre 1655, alors que les négociations de MM. du Châtelet et Dubois de Riocour venaient enfin d'aboutir au traité du 9 octobre, le marquis d'Hapaucourt et quatre autres régiments lorrains passèrent au service de Louis XIV, c'était la conséquence naturelle des ordres de Charles IV et de Nicole.
Jusqu’alors, Nicolas-François avait fait tous ses efforts pour prévenir les désertions. A la surprise générale, on le vit, le 19 novembre 1655, prendre à son tour, avec le reste de l'armée lorraine, le chemin de la France.
A quels mobiles le frère de Charles IV avait-il obéi en opérant cette brusque volte-face, que rien dans son attitude antérieure ne faisait prévoir ? De toute évidence, ce n'étaient ni l'ordre du ler avril, ni le manifeste du 30 juin qui l'avaient poussé à quitter les Pays-Bas. Craignait-il vraiment, comme il l'a déclaré, d'avoir le sort de Charles IV et d'être arrêté par les Espagnols ? Il semble en effet que ceux-ci aient prétendu le rendre responsable de la défection récente de quatre régiments lorrains. Mais d'autres motifs, moins avouables, ne pourraient-ils expliquer le revirement inattendu de Nicolas-François ? C'était, nous l'avons dit, sur l'ordre de ce prince, que le baron du Châtelet et la conseiller Dubois de Riocour étaient venus réclamer au gouvernement espagnol l'élargissement de Charles IV : seulement, désirait-il sincèrement le succès de la négociation ? Nous avons le droit d'en douter. La convention du 9 octobre devait déjà déplaire à NicolasFrançois, en ce qu'elle rendait à son frère la liberté. Si, naturellement, il ne pouvait le dire, il ne se gêna pas pour censurer amèrement les conditions auxquelles Charles avait traité avec l'Espagne; l'abandon à Philippe IV des troupes lorraines provoqua de sa part les plus vives critiques. Ne craignit-il pas de perdre le commandement de cette armée et de déchoir de la situation qu'il occupait depuis un an et demi ? Ne voulut-il pas, en passant au service de la France, conserver les avantages dont il jouissait, maintenir en prison un frère qu'il redoutait, l'empêcher de disposer de ses États en faveur du bâtard qu'il avait eu de madame de Cantecroix, assurer par contre à son fils aîné, le prince Ferdinand, la Lorraine et le Barrois ? Ce sont là des questions qu'il est permis de se poser, sans que toutefois l'on se trouve en mesure d'y répondre.
La convention que Charles IV avait signée le 9 octobre avec l'Espagne avait déplu, nous venons de le dire, à Nicolas-François, qui la déclarait aussi désavantageuse que peu honorable. Lui-même ne devait pas faire mieux. C'est en fugitif qu'il arriva dans les États de Louis XIV, et Mazarin, qui aurait peut-être payé assez cher la défection de Nicolas-François, si le frère de Charles IV avait pu faire ses conditions avant de quitter les Pays-Bas, n'avait aucun motif, une fois qu'il le vit à sa merci, de se montrer généreux à son égard. Le cardinal ministre, libre d'imposer ses volontés, ne permit donc pas à Nicolas-François de rien stipuler pour lui-même, ni pour son fils, ni pour les duchés.
Quant à Charles IV, il subit naturellement le contre-coup de ses propres fautes et de la défection de son frère. Les Espagnols se refusèrent à observer, en ce qui les concernait, un traité dont le duc ne pouvait pour sa part exécuter les clauses. En vain Charles réitéra-t-il les démarches auprès de Philippe IV, en vain la duchesse Nicole essaya-t-elle de renouer des négociations avec l'Espagne, en vain le pape, l'Empereur et les princes allemands intervinrent-ils en faveur du prisonnier auprès de la cour de Madrid; celle-ci demeura inflexible, et, comme nous l'avons dit plus haut, Charles ne fut remis en liberté qu'au moment où la France et l'Espagne allaient faire la paix.
Les plénipotentiaires des deux puissances, Mazarin et don Louis de Haro, avaient réglé la sort des États de Charles IV sans consulter ce prince, qui apprit avec autant de surprise que d'indignation qu'on le dépouillait du Barrois, pour ne lui laisser que la Lorraine. Ses protestations furent vaines, et, si Mazarin et don Louis de Haro consentirent à rouvrir les négociations, ce fut une satisfaction de pure forme donnée au prince lorrain. Les clauses concernant la Lorraine et le Barrois restèrent ce qu'elles étaient, sans recevoir aucune amélioration au profit de Charles IV. Le duc attendit encore quatorze mois pour que Mazarin, à l'article de la mort, se décidât à le remettre en possession du Barrois.
Vers la fin de 1659, un peu avant qu'il eût quitté l'Espagne, Charles, devenu veuf au mois de février 1657, avait ouvert d'autres négociations avec la cour de Rome, en vue d'obtenir d'elle l'autorisation d'épouser son ancienne maîtresse, Béatrix de Cusance, et de régulariser ainsi la situation du fils et de la fille que cette dame lui avait donnés. Mais on ne trouve pas dans les documents qui vont suivre la moindre allusion à ces pourparlers, qui, d'ailleurs, ne devaient aboutir à aucun résultat.
Les lettres publiées par MM-. F. et E. des Robert ne nous renseignent pas seulement sur les négociations qui avaient pour objet la mise en liberté de Charles IV; le duc lui-même nous y apparaît en pleine lumière avec sa nature primesautière, impulsive et d'une mobilité déconcertante. Il n'est assurément personne qui n'ait à un moment donné changé d'avis, modifié sa façon d'apprécier les événements ou les hommes. Mais les revirements de Charles IV sont d'une soudaineté, d'une fréquence qui dépasse la mesure; les qualifierons-nous d'imprévues ? Non, car avec le prince lorrain, il faut s'attendre à tout et ne s'étonner de rien.
Si les sentiments de Charles sont sujets à de brusques variations, sa politique n'est pas moins ondoyante. Aussi les contemporains et la postérité ne lui ont-ils pas ménagé les reproches d'inconstance et de duplicité. Sans nous inscrire en faux contre ces accusations, nous estimons qu'il convient de ne pas exagérer les choses, de ne pas voir le duc de Lorraine plus noir qu'il n'a été. Aurait-il eu vraiment, chaque fois qu'il prenait un engagement, l'intention bien arrêtée de ne pas en respecter les clauses ? Nous ne le pensons pas. Si Charles a été souvent de mauvaise foi, il y a eu aussi de la légèreté, de l'inconscience même dans son fait. En plus d'une circonstance où il a pu être, il a été sincère à l'instant où il signait un traité. Par malheur, au bout de quelques jours, de quelques semaines ou de quelques mois, le vent ayant tourné, la traité s'évanouissait en quelque sorte de la mémoire du prince lorrain; ou bien encore il perdait à ses yeux toute valeur, Charles s'étant imaginé que l'autre partie contractante l'avait trompé et lui avait ainsi donné le droit de ne pas tenir lui-même sa parole. »
Source : documents inédits sur la captivité de Charles IV à Tolède (1654-1659), Mémoires de la Société Archéologique Lorraine, 1910, Robert PARISOT, pp 333-417.
4 commentaires:
étudiant en l1 économie j'ai mr seurot en professeur de grand courant de la pensée économique, nous savions déjà qu'il avait une grande culture et une grande histoire mais apparemment sa famille s'est illustrée également
si vous avez la chance d'avoir ce monsieur en professeur profitez en, son savoir est grand
Bonjour,
Pourquoi vous interessez vous particulièrement à la famille Serot ?
J'appartiens à cette famille, et nous portons depuis plusieurs générations les armes avec la croix potencée entourée des 4 fers.
Merci pour cette passionnante recherche
Je m'intéresse à la famille SEROT parcequ'elle fait partie de ma généalogie ascendante (Louis-Maurice SEROT X Claire ALMERAS-LATOUR).
Je possède le livre de Dubois de Riaucourt et un jour j'envisage de m'en séparer.
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