Après ces durs moments, nous pensions aller au repos. Hélas, on nous fait embarquer à Longeaux pour débarquer à Ste Menehould et prendre position dans un verger au S.E. de Berzieux, village situé au sud de Ville-sur-Tourbe, près de deux monticules dits « les fesses de Virginie ».
Ce secteur calme comportait la « Main de Massiges » où, en 1915, avaient eu lieu les essais de ce que l'on appela la « guerre des mines ». Pour gagner quelques mètres de terrain, on faisait creuser par le Génie une sape partant de la tranchée française et aboutissant à une chambre sous la tranchée allemande. On remplissait cette chambre d'explosifs et on la faisait sauter. L'infanterie se précipitait alors pour occuper le trou. Les premières fois, l'effet de surprise joua. Mais par la suite, les fantassins eurent l'oreille exercée et évacuaient la tranchée avant l'explosion. Alors, c'était la rencontre au fond de l'entonnoir et il arrivait que celui-ci fût occupé par les deux parties.
Je suis allé dans l'un d'eux séparé par des sacs remplis de terre. On se glissait dans l'entonnoir en rampant sans faire le moindre bruit. Le soldat de garde vous passait son périscope et, par-dessus les sacs, on apercevait l'Allemand bien tranquille de l'autre côté. Car, évidemment, personne ne bougeait, celui qui aurait voulu lancer une grenade étant sûr de se faire descendre peu après. Ces entonnoirs étaient au contraire le siège d'une camaraderie entre combattants et le lieu d'échanges de pain français contre des cigares allemands.
C'est dans ce secteur, qu'étant de garde à l'observatoire, je vois arriver mon colonel accompagné de plusieurs soldats qui n'avaient rien de militaire et dont certains semblaient bien efféminés. Il s'agissait d'acteurs et d'actrices d'une tournée de théâtre aux armées parmi lesquels se trouvait madame Robine, de la comédie française, célèbre à l'époque.
A ce même observatoire, je fis, de loin, la connaissance d'Yves de Saint-Pierre, qui devint mon ami, et qui commandait alors une batterie d'obusiers de tranchée. Je le voyais de loin observer le tir de ses pièces, protégé seulement par un petit buisson. Etant grand, il dépassait du buste le buisson et ne tarda pas à se faire tirer dessus par l’artillerie allemande. Il gardait un calme olympien sous ce tir et ne se retira qu'une fois son réglage terminé. Mi-décembre, nous fûmes relevés pour aller nous entraîner au camp de Chalon en vue de l’attaque du 16 avril 1917 en Champagne.
Source : Quelques souvenirs de la guerre 14-18, par Joseph BERNARD-MICHEL
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