dimanche 7 décembre 2014

Joseph CHARMEIL, médecin et botaniste au 18ème siècle

Joseph CHARMEIL est un Dauphinois : il naquit a Tullins le 1er novembre 1742, et vécut plus de 40 ans à Grenoble, à Château-Queyras et à Mont-Dauphin, avant que sa carrière de médecin militaire (on disait alors : chirurgien) ne l'entrainât à Metz pour la deuxième partie de son existence. Mais c'est aussi un chercheur, un savant, qui a étudié de près les conditions dans lesquelles vivaient autour de lui les populations, et à qui ses travaux valurent le titre de membre correspondant de diverses sociétés savantes, parmi lesquelles figure l'Académie Delphinale. En ce XVIIIe siècle mûrissant où la Grande Encyclopédie a développé le goût du savoir, où la « science » est à la mode, Charmeil contribue efficacement, modestement, à développer la connaissance que l'on peut avoir de « cette partie isolée et reculée des Alpes ». Charmeil, comme il l'écrit lui-même, « reçut les premiers principes de son père, qui joignait à une probité épurée des talens distingués en médecine et en chirurgie ». Ces principes, il dut les acquérir bien jeune, puisqu'à 18 ans à peine, il est déjà élève en chirurgie à l'hôpital militaire de Grenoble ; il y reste du début de 1759 au printemps de 1764. Puis, désireux de se perfectionner, il gagne Paris et y fréquente les écoles de chirurgie et de médecine, tout en étant nommé, au concours, élève en chirurgie, — sans doute quelque chose comme interne — à l'hôpital de Bicêtre (août 1765).


A la fin de 1768, soit après dix ans d'études, il rentre dans son Dauphiné natal. Sur l'invitation, dit-il, de l'Intendant lui-même, il concourt pour « la place de chirurgien-major du Château de Queyras », qu'il obtient au début de janvier 1769. Sans doute, son service lui laisse-t-il des loisirs ; son esprit curieux lui permet de les consacrer à des oeuvres utiles. Depuis un an, il a quitté Chateau-Queyras pour Mont-Dauphin (début 1777), lorsque le 10 mars 1778, il est nommé « au concours » membre correspondant de la Société Royale de Médecine. A cette distinction n'ont pas peu contribué les deux ouvrages qu'il a rédigés au cours des années précédentes. Le premier est « un très long mémoire sur la manière de vivre, sur les habitudes, la constitution des habitons, et sur leurs maladies épidémiques et endémiques qui ont régné dans la vallée de Queyras en 1772, 1773, 1774 et 1775 »; il a mis à profit pour ce travail l'expérience qu'il a acquise après avoir été « chargé par le gouvernement des épidémies régnantes dans la vallée ». Le second, écrit dans des conditions identiques, traite « d'une affection catarrhale dans la même vallée, au commencement de 1776, et de la maladie d'écurie à laquelle ses habitans sont sujets ». Nous ignorons malheureusement si ces textes ont été imprimés ; nous n'en avons pas trouvé trace.

Voici Charmeil chirurgien-major de l'hôpital de Mont-Dauphin (début 1777-début 1789), hôpital qui, à l'entrée en fonctions du nouveau chirurgien-major, présente le sérieux défaut de ne pas exister : on y supplée en réservant pour le service des malades douze chambres de l'une des casernes. Une telle situation n'est pas sans inconvénient ; en particulier, elle crée un risque de contamination pour les « gens en santé » ; mais elle est encore aggravée par la circonstance qu'un mur de pignon est « corrompu par les latrines » et menace ruine. Deux projets sont en concurrence pour transporter promptement l'hôpital dans un autre emplacement ».

Le premier prévoit que l'hôpital de Mont-Dauphin ne doit point être adapté seulement aux besoins de la garnison ; en cas d'opérations dans les Alpes, la place constituerait ce que nous désignons maintenant par le terme de « base », et un plan de travaux, qui date de 1773 sinon même d'une époque plus reculée, avait envisagé la construction d'un vaste hôpital, pouvant contenir 2.000 lits, et dont le coût avait été évalué à 300.000 livres, somme fort considérable.

Le deuxième plan est beaucoup plus modeste. L'Intendant du Dauphiné, M. de la Bove, pense qu'en achetant une maison et en aménageant, on arriverait à une solution acceptable en attendant la réalisation (hypothétique) du grand projet. Le sieur Allemand consent à céder sa maison pour 13.000 livres ; les travaux sont évalués 32.000 livres. Présenté en 1784, ce projet est approuvé et l'immeuble acquis la même année. On s'aperçoit alors que « l'hôpital n'auroit pas une étendue suffisante à moins qu'on y joignit une autre maison, appartenant au sieur Calandre, qui n'est séparée de la première que par un mur mitoyen... moyennant cette acquisition, tous les officiers de santé se trouveront logés ». Le prix n'étant pas considérable (2700 livres), l'achat est autorisé.

Il reste à procéder à l'aménagement du nouveau hôpital (1). Il est réalisé en 1785 et 1786 par l'entrepreneur des fortifications de la place, un nommé Gauthier du Replat, sous la direction du capitaine du Génie de la Coche. Sur les plans, à côté de la signature de celui-ci, figure celle d'un « de Lisle » qui n'est autre que Rouget de Lisle, alors sous-lieutenant du génie à Mont Dauphin ; il y fera de telles frasques, que ses chefs demanderont à être débarrassés de lui.

Le nouvel établissement qui peut abriter, outre le personnel, deux cents malades, offre le grave inconvénient, pour une place qui risque d'être assiégée — mais qui, heureusement, ne le sera jamais — de « ne pas être à l'épreuve de la bombe ». Il est prévu qu'en cas de besoin on « blinderait » l'immeuble ; le premier étage serait alors inutilisable, et il faudrait y suppléer en logeant une partie des malades dans « les salles basses de l'arsenal ».

Médecin-chef d'un hôpital tout neuf, Charmeil ne semble pas avoir joué un rôle dans la décision prise, ni dans les aménagements réalisés. Tout au plus aura-t-il, verbalement, insisté auprès de l'Intendant sur la nécessité d'une installation plus rationnelle que les douze chambres prélevées sur l'une des casernes. La garnison ne dépasse pas un bataillon, soit, à l'époque, un effectif réduit.

Aussi Charmeil n'est-il pas accablé par le travail courant. Il herborise, en compagnie du « major » de la place, le chevalier d'Arbalestrier, et celui-ci voit la Société Royale de Médecine publier une lettre qu'il lui a adressée concernant les propriétés médécinales d'une plante, un « phiteuma » (sorte de campanule), signalant que le chirurgien l'a employée avec succès dans le traitement de soldats atteints de maladies vénériennes. Si variés et nombreux que puissent être les maux qui accablent tant la population que la garnison, les soins consciencieux que Charmeil y apporte lui laissent le loisir de les décrire. C'est ainsi que prend naissance cette « Topographie médicale de Mont-Dauphin » que nous reproduisons ci-après (2). Le lecteur actuel qui ne connaît pas la région pourrait être horrifié par cette longue énumération de maladies et découragé à jamais de venir à Mont-Dauphin. Aussi croyons-nous nécessaire de le rassurer : grâce aux progrès de l'hygiène et particulièrement de l'alimentation, la situation n'est plus de nos jours aussi mauvaise que la dépeignait Charmeil. Par contre, le visiteur trouvera les vents réguliers et violents que signale le texte : Il admirera, sur les pentes, la riche flore à laquelle il est fait une trop courte allusion ; il verra les eaux du Plan de Phazy ruisseler au bord de la grand'route, parmi les « tufs ocreux » et il entendra la population faire l'éloge de leurs vertus curatives.


Il semble que Charmeil soit le premier à avoir procédé à une analyse précise de ces eaux, et à en avoir publié les résultats. On sait qu'après un essai malheureux sous la Restauration, il est question actuellement d'en reprendre l'exploitation (3).

Un travail de cette importance valut des félicitations à son auteur. La Société Royale de Médecine aurait été disposée à couronner cette oeuvre de son membre correspondant si celui-ci, pour des raisons qui nous échappent, n'avait jugé préférable d'en réserver la primeur au « Journal de Médecine militaire » ; du moins la cite-t-elle « avec éloge » (4). Il faut constater que le plan de la « Topographie », et ce titre même, correspondent exactement a l'objectif que la Société Royale proposait aux érudits de l'époque : « Il serait important, écrit-elle en tête du premier tome de son histoire (5), d'avoir un plan topographique et médical de la France, dans lequel le tempérament, la constitution et les maladies des habitans de chaque province ou canton seroient considérés relativement à la nature et à l'exposition du sol ». Et elle insistait, entr'autres points, sur l'analyse des eaux minérales, « l'une des recherches chimiques qui exige le plus de ressources dans l'esprit de celui qui s'y applique ». Dans ses premiers volumes de Mémoires, la Société Royale de Médecine publie ou mentionne plusieurs « Topographies » du même ordre, dont l'une, concernant le Champsaur, est de ce Villars dont nous reparlerons plus loin.

Dans cette même année 1784 qui voit la publication de la « Topographie », Charmeil est nommé membre de l'Académie des sciences de Turin ; l'origine de cette distinction semble avoir été la « Description d'une maladie pestilentielle à la suite d'épizooties dans la commune de Vars », maladie que le gouvernement, inquiet de ses progrès, avait invité Charmeil à traiter et à enrayer.

Très peu après, le ministre avise l'Intendant du Dauphiné que Sa Majesté a accordé au chirurgien-major de Mont-Dauphin une gratification extraordinaire de 400 livres, tant en considération de ses services pour le traitement des soldats malades, que comme marque de satisfaction pour le mémoire qu'il vient de publier. D'autres gratifications suivent, et même la promesse de « la première place vacante dans les grands hôpitaux ». Promesse qui n'est pas suivie d'un effet immédiat. Aussi Charmeil décide-t-il, lui qui ne s'est pas montré quémandeur jusque là, de la rappeler en haut lieu : « Depuis 25 ans et plus qu'il a l'honneur d'être ait service des hôpitaux militaires. il n'a traité que des pauvres qui lui ont été onéreux, il n'a pu ramasser du bien, ce qui joint aux maladies graves et fréquentes qu'il a essuyé par l'intempérie du climat, il se trouve réduit pour le substanter et sa famille aux simples appointemens qu'on lui a accordé. Il ose espérer qu'on y aura égard et qu'il ne sera pas oublié dans ces changemens ».

Au début de 1789, il est envoyé à l'hôpital militaire de Metz, où, d'abord second chirurgien-major, il devient rapidement premier chirurgien-major, puis professeur, enfin chirurgien-major honoraire (septembre 1805) ; à cette dernière nomination correspond une diminution alarmante du traitement perçu. La liste de ses travaux continue à s'allonger, sur des sujets spécifiquement médicaux : observations sur un coup de baïonnette pénétrant dans la capacité abdominale, sur des plaies du cerveau, sur une « fièvre rémittente ataxique », diverses études sur les maladies vénériennes, et nous en passons. Certaines sont publiées dans le « Journal de Médecine militaire », les autres, après que ce Journal ait cessé de paraître, sont insérées dans les cours qu'il professe a Metz.

Il semble avoir été admis à la retraite en 1811, comptant alors 52 ans de service, dont 42 en qualité de chirurgien-major ou en chef. Il serait décédé à Metz en 1816 ou 1817.

En avril 1804, le Préfet des Hautes-Alpes, Ladoucette, avait eu l'attention délicate d'envoyer à Charmeil copie de ce qu'écrivait sur lui M. Villars, membre de l'Institut, dans un mémoire sur la statistique des Hautes-Alpes. Après avoir rappelé les travaux publiés, Villars écrivait : « ...Un monument plus flatteur, et qui se soutiendra pendant plusieurs générations, c'est l'éloge sans cesse répété que font de ses talents et de ses services généreux tous les habitants. Heureux ceux qui, comme M. Charmeil dans le Briançonnais, ont su mériter de semblables éloges. Les échos répétés de père en fils, par des habitants qui ont des moeurs et de la sensibilité, pour des absents, pour des hommes dont ils ignorent actuellement l'existence et les occupations, sont plus précieux que la renommée empreinte et gravée sur le marbre ». La doucette avait ajouté le commentaire suivant dans le style fleuri de l'époque : « Ces expressions de reconnaissance, sorties de la bouche de l'ami de la vérité vous pénétreront sans doute, Monsieur, d'une satisfaction moins vive que celle que j'ai ressentie en vous les transmettant ».

Nous savons peu de choses sur la famille de Charmeil sinon qu'elle fut nombreuse (4 enfants, semble-t-il) et que lors de son décès « il ne lui laissa autre chose qu'une honorable réputation ».

Il épouse en 1779 demoiselle Thérèse Piolle de Champflorin, native et habitante de la ville de Seyne en Provence, fille d'un avocat et subdélégué de ladite ville. Elle lui donne d'abord un fils, Pierre Marie Joseph, né à Mont-Dauphin le 6 août 1781 (6), puis deux filles: Françoise Thérèse, née le 25 décembre 1782 et décédée le 28 février 1784; et Roze Marie Sophie, née le 10 février 1786 ; elle meurt à Mont-Dauphin, le 17 avril 1787, âgée de 28 ans.

Blason de la famille Piolle (Hozier Provence, 1696, gallica.bnf.fr)

Charmeil se remarie dans des circonstances que nous ignorons : lorsqu'un autre fils, Jean Baptiste Marguerite Suzanne, vient au monde à Metz, le 6 septembre 1796, l'acte de naissance désigne la mère comme étant Marguerite Boulanger. Ces deux fils, les seuls que nous connaissons, deviennent l'un et l'autre chirurgiens miitaires, et ont l'un et l'autre une triste fin.

Pierre commence ses études bien jeune : le relevé de ses services le mentionne « chirurgien élève non appointé à l'hôpital militaire de Metz » — sous la direction de son père évidemment - en juin 1792 ; il n'a même pas onze ans ; et dès le mois d'août, il devient « appointé ». Après avoir servi longtemps à l'hôpital de Metz, il va participer un peu sous tous les cieux aux campagnes de Napoléon, avant de revenir à Metz comme démonstrateur (1816), puis comme professeur (1825). Mais, à la fin de 1829, il est mis en congé, et bientôt ce congé est transformé en retraite : atteint d'encéphalite chronique, il a dû être transporté à Charenton où il meurt peu après. D'après la « Nouvelle Biographie générale » de Firmin-Didot, ce dérangement cérébral serait dû au « vif chagrin qui s'était emparé de Charmeil lorsqu'il avait vu sa carrière brisée par le retour des Bourbons ; pour se consoler il se livra avec emportement à l'étude, mais ses facultés l'abandonnèrent... ».

Deux très longues lettres adressées par lui au ministre à cette époque (juillet et août 1830) sont à peu près indéchiffrables. Il y fait état de divers travaux scientifiques qu'il a rédigés, ayant « la détermination de marcher sur les traces de son père ». Il a été publié de lui (Metz, 1821) des « Recherches sur les métastases suivies de nouvelles expériences sur la régénération des os » dont on a dit que c'était la un « ouvrage remarquable par la bizarrerie prétentieuse du style » (7). On y trouve inséré, au milieu de diverses observations médicales, un panégyrique du jeune frère de l'auteur, décédé prématurément (8).

Né 15 ans après Pierre, Jean-Baptiste entre également dans la carrière comme surnuméraire à l'hôpital militaire de Metz. Nous sommes en 1813 ; la France fait appel à tous ses enfants. Malgré son jeune âge, Charmeil est proposé par le baron Larrey pour recevoir une commission provisoire de chirurgien sous-aide major, et il est désigné pour servir à la Grande Armée. Celle-ci dissoute. il revient à l'hôpital de Metz, mais sa santé a été atteinte par des fatigues trop grandes pour son âge. Muté à l'hôpital militaire de la Garde Royale (fin 1816), il n'y fait à peu près aucun service, car il est atteint de « catarrhe pulmonaire chronique » ; il succombe à la tuberculose, en 1817, à 21 ans. Le nom de son père a visiblement joué en sa faveur auprès des bureaux chargés de régler son cas sur le plan administratif, mais n'a pu le faire bénéficier de soins qui n'existaient pas à l'époque.


(1) Cet hôpital a été démoli en 1938, et sur son emplacement a été construite la caserne dite « de la Garde mobile », qui est, à l'heure où nous écrivons (1962) occupée par des familles de militaires.
(2) Nous en avons respecté l'orthographe et la ponctuation, telles qu'elles figurent dans le « Journal de Médecine Militaire » ; en ce qui concerne cette dernière, elle semble bien, à deux ou trois reprises, ne pas correspondre à l'intention de l'auteur.
(3) Voir Général Guillaume, « Guillestre mon pays » (Grenoble, 1962. p. 115).
(4) Histoire et Mémoires de la Société Royale de médecine, Années 1780 et 1781, page 19.
(5) Ibidem, Année 1776, pages XIV et XX.
(6) Le relevé des services militaires de Pierre Charmeil, et, copiant sans doute sur celui-ci, les biographies ou encyclopédies qui le mentionnent, le font naitre en août 1782. C'est là une erreur — fréquente à l'époque — que permet de rectifier le registre paroissial de Mont-Dauphin ; né le 6 août 1781, l'enfant fut baptisé le 12 du même mois.
(7) Biographie universelle de Michaud, article Charmeil (1844).
(8) On peut observer que dans son « Grand dictionnaire universel » Larousse commet une erreur en parlant de l'éloge du fils de Pierre, alors qu'il s'agit bien de son frère, comme le texte l'établit sans ambiguïté : « ...notre malheureux frère » (p. 248).

Source : Bulletin de la Société d'études des Hautes-Alpes - 1964 (N56,A1964), Société d'études des Hautes-Alpes, Edité en 1964

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