dimanche 18 mai 2014

Au temps des volontaires - 1792 : lettre n°18

Sierck, lundi 23 janvier 1792, 10h15 du matin. 

Après le repas dans la chambre du capitaine, si je ne vous dis bonjour qu'après le dîner, bonne mère, c'est que j'ai eu ce matin des devoirs à remplir qui m'ont empêché d'écrire plutôt.

Mais je n'ai pas attendu jusqu'à ce moment pour penser à vous, car penser à vous est toujours la première chose que je fais en me réveillant. Je me rappelle votre dernière lettre ; je la repasse dans ma mémoire. Je me réjouis de vous écrire ; j'espère votre lettre suivante. Que je serais heureux si je pouvais apercevoir, au travers le brouillard de l'avenir, l'époque où je pourrais aller revoir un instant de bonne famille ! Mais je commence à m'apercevoir que notre bon capitaine est un homme terriblement sévère sur l'article des congés, même des plus petits, et toutes les fois que j'y pense, cela me glace. 

Portrait de Mme Durival, dite "mémère", mère adoptive de Joseph-Louis-Gabriel NOEL

N'achetez aucun bien, mémère, puisqu'ils sont si chers. Les prix que vous me dites sont effrayants. Tant mieux pour la patrie ; les biens nationaux, si cela dure, feront sûrement face a la dette.

Vous avez donc été toutes deux à Heillecourt tandis que j'étais à Apach. Cela me fait plaisir. Promenez-vous souvent, mémère, vous vous en porterez mieux. Vous trouverez bien des imperfections dans mes lettres et encore m'en passez vous beaucoup. Mais il est vrai que je ne vous écris pas souvent sans entendre du bruit. C'est toujours dans la chambre du bon capitaine. Le sous-lieutenant y loge. Les sergents et beaucoup de volontaires reviennent sans cesse. On parle, on chante, on joue, on se dispute autour de moi et bien que je sois entièrement à vous en vous écrivant, le bruit gêne toujours un peu. Je n'en suis pas fâché cependant ; il faut s'accoutumer à être seule au milieu d'une foule et j'espère qu'un jour je vous écrirais sur le champ de bataille, non pas pendant le combat, mais au milieu tumultes qui le suit ; car pendant le combat il faut se battre et y aller bon jeu bon argent.

Le Capitaine vient de me dire en s'approchant qu'après ma lettre écrite il aurait quelque chose à me dire. Je n'ai pas fini, mais ce serait le faire attendre trop que de continuer. Voyons ce qu'il me veut. J'y vais.

Source :  Au temps des volontaires - 1792, lettres d'un volontaire de 1792 (Joseph-Louis-Gabriel NOEL), par Gabriel NOEL, Plon-Nourrit, 1912

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