Sierck, lundi 23 janvier 1792, 10h15 du matin.
Après le
repas dans la chambre du capitaine, si je ne vous dis bonjour qu'après le dîner,
bonne mère, c'est que j'ai eu ce matin des devoirs à remplir qui m'ont empêché
d'écrire plutôt.
Mais je n'ai pas attendu jusqu'à ce moment pour penser à
vous, car penser à vous est toujours la première chose que je fais en me
réveillant. Je me rappelle votre dernière lettre ; je la repasse dans ma
mémoire. Je me réjouis de vous écrire ; j'espère votre lettre suivante. Que je
serais heureux si je pouvais apercevoir, au travers le brouillard de l'avenir, l'époque où je pourrais aller revoir un instant de bonne famille !
Mais je commence à m'apercevoir que notre bon capitaine est un homme
terriblement sévère sur l'article des congés, même des plus petits, et toutes
les fois que j'y pense, cela me glace.
Portrait de Mme Durival, dite "mémère", mère adoptive de Joseph-Louis-Gabriel NOEL
N'achetez aucun bien, mémère, puisqu'ils
sont si chers. Les prix que vous me dites sont effrayants. Tant mieux pour la
patrie ; les biens nationaux, si cela dure, feront sûrement face a la dette.
Vous avez donc été toutes deux à Heillecourt tandis que
j'étais à Apach. Cela me fait plaisir. Promenez-vous souvent, mémère, vous
vous en porterez mieux. Vous trouverez bien des imperfections dans mes lettres et encore
m'en passez vous beaucoup. Mais il est vrai que je ne vous écris pas souvent
sans entendre du bruit. C'est toujours dans la chambre du bon capitaine. Le
sous-lieutenant y loge. Les sergents et beaucoup de volontaires reviennent sans
cesse. On parle, on chante, on joue, on se dispute autour de moi et bien que je
sois entièrement à vous en vous écrivant, le bruit gêne toujours un peu. Je
n'en suis pas fâché cependant ; il faut s'accoutumer à être seule au milieu d'une
foule et j'espère qu'un jour je vous écrirais sur le champ de bataille, non pas
pendant le combat, mais au milieu tumultes qui le suit ; car pendant le combat
il faut se battre et y aller bon jeu bon argent.
Le Capitaine vient de me dire en s'approchant qu'après ma
lettre écrite il aurait quelque chose à me dire. Je n'ai pas fini, mais ce
serait le faire attendre trop que de continuer. Voyons ce qu'il me veut. J'y
vais.
Source : Au temps des volontaires - 1792, lettres d'un volontaire de 1792 (Joseph-Louis-Gabriel NOEL), par Gabriel NOEL, Plon-Nourrit, 1912
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