ARTICLE 3 : SECOND DEGRE D'ASCENDANCE DE CHARLES DU LYS
Comme présenté dans mon premier article (L’ASCENSION FULGURANTE DE CHARLES DU LYS), après avoir été pendant des siècles le généalogiste de référence de la descendance d’ARC du LYS, Charles du LYS fut très décrié à partir de la fin du 19ème siècle, passant pour un généalogiste approximatif, voire un faussaire notoire, aux yeux de nombreux érudits.
Ascendance plausible selon Olivier Bouzy |
Ascendance présentée par Charles du LYS |
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Charles du LYS |
Charles du LYS |
Michel de BRUNET dit du LYS |
Michel du LYS |
Jean de BRUNET dit du LYS, époux de Catherine de THIVILLE |
Jean du LYS dit LE PICARD |
Antoine de BRUNET, époux de Marguerite du LYS |
Jean du LYS le jeune |
Jean d’ARC, frère de la Pucelle |
Pierre d’ARC, frère de la Pucelle |
Ascendance plausible de Charles du LYS selon Olivier Bouzy
Continuons maintenant à retranscrire la suite du raisonnement d’Olivier BOUZY, mais cette fois-ci, au sujet du grand-père de Charles du LYS, Jean du LYS dit LE PICARD :
« De la même façon, ce que nous raconte Charles du LYS, cette fois sur son grand-père, pourra passer, au choix du lecteur, pour une affabulation supplémentaire d’un faussaire mal renseigné, ou pour une imprécision normale de la part d’un homme visiblement fâché avec la famille de son père pour une affaire de détournement d’héritage : non seulement son père n’était plus là pour l’instruire des méandres familiaux, mais il n’avait sans doute pas à espérer trouver de renseignements ailleurs. D’autre part, la fréquence du prénom Jean, porté par une grande partie des descendants des frères de Jeanne d’ARC – comme par une bonne part de la population française, peut expliquer ses imprécisions : en fait, dans la généalogie des frères de Jeanne d’ARC, il y a 4 personnes que l’on peut appeler Jean du LYS, et Charles du LYS, lui, en a inventé un autre. Pour Charles du LYS, son grand-père s’appelait Jean du LYS, dit « LE PICARD », et il s’était marié à Paris « après la mort de Louis XII », c’est-à-dire, après 1515. Nous savons que le père de Michel de BRUNET, Jean, se maria en 1519. Charles du LYS fait de ce Jean du LYS-LE PICARD le fils d’un Jean du LYS, dit « le jeune », frère d’un autre Jean du LYS dit « LA PUCELLE », qui, lui, a réellement existé. Le vrai Jean de BRUNET était seulement un petit-cousin de Jean « LA PUCELLE », mais il en fut aussi, effectivement, l’héritier par sa mère Marguerite du LYS, cousine germaine dudit Jean. Marguerite était décédée peu après la mort de Jean « LA PUCELLE » en 1501, et c’est son mari Antoine de BRUNET qui racheta aux descendants de Jacquemin les parts de l’héritage qui leur revenaient, intercalant ainsi entre Jean « LA PUCELLE » et Jean de BRUNET (« LE PICARD » pour Charles du LYS) un degré intermédiaire, que Charles du LYS a appelé Jean « le jeune ». Pour ce surnom de « PICARD », Charles du LYS s’est peut-être inspiré de l’origine géographique du supposé père de Jean « LE PICARD », dont il avait fait un échevin d’Arras, ou il a peut-être simplement mal lu le surnom de « LA PUCELLE » que portait le fils de Pierre du LYS, le transformant en « LE PICARD » ; ce ne serait pas la seule erreur de lecture qu’il aurait commise. Les usages du temps faisaient que la conjecture la plus probable était que l’héritier de Jean du LYS devait être un frère plus jeune, et non un cousin éloigné, aussi Charles du LYS ne comprit-il pas que l’héritage était passé à une autre branche de la famille, tout simplement parce que, dans cette famille, un homme sur deux s’appelait Jean du LYS.
C’est là que nous pouvons toucher du doigt une autre cause probable des errements de Charles du LYS : pour faciliter la compréhension de la généalogie des frères de Jeanne, nous distinguons soigneusement les personnages, mais selon un système qui n’était pas celui de leurs contemporains ; ainsi, celle que nous appelons Marguerite de BRUNET (fille de Jean d’ARC, dit du LYS, et épouse d’Antoine de BRUNET) était appelée, de son temps, Marguerite du LYS. Il n’est pas impossible que le fils de Marguerite, Jean de BRUNET, ait été communément appelé Jean du LYS ; son cousin Claude, un siècle auparavant, avait lui aussi été appelé du LYS, parce qu’il était le fils de Jeanne du LYS (fille de Jacquemin) dont le mari, Jean, était lui aussi surnommé du LYS, à tel point que ses petits-enfants ne se souvenaient plus de son vrai nom en 1476. C’était la famille du LYS qui était célèbre dans l’affaire, pas les BRUNET, et encore moins la famille du mari de Jeanne du LYS ».
Là encore, pour ma part, contrairement à Olivier Bouzy, j’ai choisi de globalement croire, en première approche, aux informations données par Charles du LYS.
Plusieurs généalogies, présentes dans les dossiers bleus de la BNF, permettent de trouver qu’une certaine damoiselle Marie BREBANT aurait épousé un sieur du LYS, dont serait issu Michel du LYS, père de Charles du LIS. Cette Marie BREBANT est dite fille d’Andry BREBANT et de damoiselle Jeanne du VIVIER. Or, les patronymes DEBREBAN (ou de BREBAN) et DUVIVIER (ou du VIVIER) sont bien indiqués par Charles du LYS dans ses ouvrages.
La famille BREBAN ou de BREBAN est d’origine parisienne. Elle a même
comporté des personnages notables au 15ème siècle, notamment Pierre
de BREBAN, curé de Saint Eustache, célèbre avocat au parlement. Certaines
branches de cette famille ne semblent pas nobles. C’est ainsi que l’on retrouve
Andry BREBANT en tant que marchand mercier, bourgeois de Paris, présentant en
1505 un apprenti, Pierre LAISNE, à un marchand, Girard FOUQUET. Il semble être
le fils de Me Jehan de BREBAN, avocat au châtelet, et de Marguerite de RUEIL.
La famille du VIVIER est aussi d'origine parisienne. La demoiselle Jeanne du VIVIER dont il est parlé ci-dessus, était la fille de Jean du VIVIER, conseiller au Trésor, et de Jeanne MALINGRE, elle-même fille de Nicolas MALINGRE, huissier de la Chambre des Comptes, et de Pérette MARIETTE.
Tous les patronymes fournis par Charles du LYS sont donc bien présents dans sa généalogie ascendante. Cela nous démontre que Charles du LYS est loin de ne raconter que des mensonges et qu’il est possible d’exploiter ses informations, ce que personne n'avait daigné faire jusqu'à présent...
Bref, maintenant que la grand-mère de Charles du LYS est identifiée, intéressons-nous à son grand-père, qui, selon ses dires de 1610, aurait été un certain « Jean du LIS, avocat au parlement de Paris, [qui] eut pareillement plusieurs enfants, entre lesquels Michel du LIS ». Plusieurs ouvrages présentent des listes d’avocats parisiens au XVIème siècle :
- « Les avocats à la Chambre ou Cour des aides de Paris au XVème siècle », G. Dupont-Ferrier, Persée, 1932. Ces avocats étaient par surcroît avocats au Parlement et aux requêtes de l’Hôtel. Ces 3 tribunaux supérieurs étaient, dans l’enceinte du Palais de la Cité, assez voisins les uns des autres pour que les praticiens pussent aller, dans une même journée, d’une juridiction à l’autre.
- « Les avocats à la Cour du Trésor de 1401 à 1515 », G. Dupont-Ferrier, Persée, 1936. La plupart de ces avocats plaidaient également dans les autres Cours du Palais ou dans les divers tribunaux parisiens.
- « Histoire du barreau de Paris depuis son origine jusqu’à 1830 », J.A.J. Gaudry, 1864.
- « Histoire des avocats au parlement et du barreau de Paris », M. Fournel, 1813.
Aucun Jean du LYS ou LE PICARD n’y figure vers 1500.
En 1612, Charles du LYS modifia quelque peu ses propos en présentant un Jean du LYS « quelque temps entretenu au barreau du parlement de Paris en sa première jeunesse ». La nuance est importante car Charles du LYS n’utilise plus le terme d’avocat. Peut-être Jean du LYS avait-il une autre fonction au sein du parlement de Paris… Là encore, des listes (premiers présidents, présidents à mortier, conseillers d’honneur, avocats et procureurs généraux, substitut et greffiers en chef) existent ("Aperçu historique sur le parlement de Paris", E. Fayard, 1876).
Là encore, aucun Jean du LYS ou LE PICARD n’y figure vers 1500. Son passage au parlement parisien fut donc probablement très furtif !
Cependant, Charles du LYS nous donne des informations fort intéressantes dans sa version de 1612 et ses notes manuscrites. En effet, il nous explique :
- que son grand-père se débaucha dans la profession des armes et participa aux guerres de Milan, Naples et d’Italie,
- qu’il fut surnommé Jean LE PICARD,
- qu’il se maria "assez aagé" à Paris en 1523 et qu’il eut plusieurs enfants, tous décédés sans hoirs sinon Michel du LYS, le plus jeune de tous.
Des descendants de Charles du LYS ajoutèrent encore quelques informations complémentaires en précisant que Jean du LYS était écuyer, qu’il portait le surnom de « capitaine Grand-Jehan », et qu’il fut un compagnon d’armes du célèbre chevalier BAYARD.
Comme d’habitude, il me fallait vérifier ces informations, les approfondir, bref, faire le tri entre les parts de mythe et de réalité. Cette fois-ci, la recherche fut simple, prolifique et passionnante car elle me permit d’approfondir tout un pan de l’histoire de France.
Il s’avère que le capitaine Grandjean dit LE PICARD a bel et bien existé. Il resta discret lors des trois premières guerres d’Italie mais fut largement remarqué lors des trois dernières. En effet, les premières campagnes permirent à Jean LE PICARD d’acquérir une expérience militaire. Il devint alors rapidement l’un des capitaines des aventuriers, ces engagés volontaires connus sous des noms divers tels que « francs-taupins », « écorcheurs », « ribauds », « mille-diables », ... Ces mercenaires, ramassis de diverses nations, tous « gens de pied », formaient des troupes indisciplinées et vagabondes qui s’occupaient à piller quand elles ne guerroyaient pas. Elles se rangeaient du côté du souverain qui les payait le plus. Ces compagnies s’étaient établies en France depuis la fin du 12ème siècle et constituaient un complément indispensable à l’infanterie féodale et communale.
En 1509, Jean LE PICARD se trouvait aux côtés du célèbre chevalier BAYARD lors de la glorieuse bataille de Padoue, attaque menée de front par le Saint Empire (Maximilien 1er) et la France (Louis XII) contre les Vénitiens ("Histoire du chevalier Bayard sans peur et sans reproche", Guillaume François Guyard de Berville, 1850) :
« Le premier campement de l'empereur fut à huit milles de Padoue … Il y arriva un autre renfort de mille ou douze cents aventuriers français, tous gens d'élite et d'escarmouche, sous la conduite de Jacques d'ALEGRE, seigneur de Millaut, bien digne de les commander. Ce fut là que l'empereur proposa le siège de Padoue, et tint un conseil de guerre pour en régler les opérations. Il y fut décidé que les gens d'armes français avec les lansquenets du prince d'ANHALT, comme la plus belle troupe allemande de l'armée, feraient la pointe ; mais qu'avant tout, il fallait s'emparer de Montselles, petite place sur le chemin de Padoue, avec un fort château, dont la garnison vénitienne aurait pu incommoder la marche des troupes et encore plus les convois de vivres et de munitions.
Le lendemain matin, l'armée délogea et vint à demi-mille de Montselles, qui se rendit d'abord, n'étant d'aucune défense ; mais le château, qui était bon et capable de tenir fort longtemps, inquiétait les généraux ; cependant, par la lâcheté de ceux qui étaient dedans, on en fut bientôt maitre. On commença à le battre, et à peine y eut-on fait une fort petite brèche, qu'on sonna l'alarme pour aller à l'assaut. Il y avait un bon jet d'arc à monter ; mais les aventuriers français du capitaine d'Alègre y furent dans un moment et semblaient voler. La garnison, qui n'était composée que de gens peu aguerris, fit quelque résistance ; mais dans un quart d'heure la place fut emportée et ils furent tous mis en pièces. Les aventuriers y firent beaucoup de butin, entre autres cent cinquante chevaux de prix … L'empereur Maximilien … marcha alors droit à Padoue et s'en approcha à un mille. Ce n'était pas une petite entreprise que de l'avoir par un siège, la place était bonne et bien fortifiée ; et outre cela défendue par un habile homme (le comte de PETILIANE), qui avait avec lui mille hommes d'armes, douze mille de pied et deux cents pièces de canon.
L'empereur, campé à un mille des murs, tint conseil de guerre pour délibérer de quel côté il formerait le siège, et y appela ceux d'entre les Français qu'il honorait de son estime et de sa confiance. Le résultat fut que le quartier de l'empereur serait vers la porte qui va à Vicence, et qu'il aurait les Français avec lui ; qu'on dirigerait les gens d'armes de Bourgogne et de Hainaut et dix mille lansquenets à une autre porte plus haut, et que les lansquenets du prince d'ANHALT garderaient la porte qui est au-dessous du quartier de l'empereur, afin qu'en cas de besoin ces divisions fussent secourues par le gros de l'armée. Les opérations ainsi réglées, il n'y eut plus qu'à marcher.
BAYARD, à qui l'on réservait toujours les bonnes occasions, ou plutôt les plus périlleuses, fut chargé de faire les premières approches, où il fut accompagné du jeune BUSSY d'Amboise, de la CROPTE-DAILLON, de la CLAYETE, etc. Or, il y avait un grand chemin tiré au cordeau, allant droit à la porte de Vicence, sur lequel, de deux cents en deux cents pas, on avait construit quatre fortes barrières garnies d'hommes et d'armes à feu ; et de chaque côté, ce grand chemin était bordé de fossés larges et profonds, suivant l'usage d'Italie, en sorte qu'on ne pouvait les attaquer que par-devant. Les murailles de la ville étaient garnies d'une nombreuse artillerie qui dominait sur ce chemin, et qui, par-dessus les barrières, et sans incommoder ceux qui les gardaient, pleuvait sur les Français comme la grêle. Cependant BAYARD et ses compagnons attaquèrent la première barrière, qui fut vivement défendue ; néanmoins, à travers les arquebusades, ils la forcèrent et chassèrent les ennemis jusqu'à la seconde. Si l'affaire avait été chaude à la première barrière, elle le fut bien autrement à celle-ci. Le jeune BUSSY y eut le bras percé d'un coup de feu, et son cheval fut tué sous lui ; mais pour cela, il ne quitta pas la partie ; au contraire, il n'en devint que plus furieux. Il vint à leur secours, à cette seconde attaque, le capitaine d'ALEGRE avec cent vingt de ses aventuriers de son choix, qui étaient plutôt des lions que des hommes. Ces opérations se faisaient à midi ; ainsi il était aisé de voir qui faisait bien son devoir et qui le faisait mal.
Après une demi-heure de combat, la seconde barrière fut forcée et prise, et les ennemis chassés et poursuivis de si près, qu'ils n'eurent pas le temps de se loger à la troisième, et que même ils furent heureux de gagner la quatrième. Celle-ci était à un jet de pierre des remparts de la ville, et gardée par mille ou douze cents hommes, avec trois ou quatre fauconneaux, qui faisaient un feu terrible sur le grand chemin, mais qui ne firent (chose incroyable) que tuer deux chevaux. Les fuyards, réunis à cette barrière avec ceux qui la gardaient, reprirent courage à l'abri des murs de la place ; et l'attaque ayant duré une heure, au milieu des coups de piques et d'arquebuses, BAYARD s'ennuya d'une si longue résistance, et cria aux siens : « Compagnons, ceci dure trop ; mettons pied à terre et forçons la barrière. ». Ce qu'ils firent au nombre de trente ou quarante, et, la visière levée et la lance basse, donnèrent dans la garde vénitienne. Auprès de lui combattaient le prince d'ANHALT, Jean LE PICARD et le capitaine MAULEVRIER, qui firent rage. Mais BAYARD, voyant que les ennemis se relevaient de moment à autre, et qu'il avait continuellement affaire à des gens frais, s'écria une seconde fois : « Compagnons, ils nous tiendront ici tant qu'ils voudront ; donnons-leur l'assaut, et que chacun fasse comme moi et sonne trompette ». Ce qui fut fait avec une force et une fureur de lion de sa part.
Ses compagnons le secondèrent si bien, que les ennemis reculèrent de la longueur d'une pique ; alors BAYARD, sans balancer, franchit la barrière, en criant encore : « Amis, ils sont à nous ! Avançons ! ». Les mêmes qui avaient mis pied à terre sautèrent après lui et trouvèrent à qui parler. Ceux qui étaient restés à cheval, voyant le danger où leurs camarades s'étaient mis, les imitèrent en criant : « France ! France ! Empire ! Empire ! ». Alors la charge redoubla et fut telle que les ennemis quittèrent la place et s'enfuirent en désordre dans la ville. Ainsi, les quatre barrières furent emportées en plein midi, à la grande gloire des Français, et surtout de notre héros, à qui tous unanimement en donnèrent l'honneur ».
En 1512, lors de la bataille de Ravenne contre l’armée papale et espagnole, il était cité parmi les meilleurs capitaines de l’infanterie française ("Louis XII et Anne de Bretagne", Paul Lacroix, 1882) :
« Les gens de pied de l’armée française, qui avaient l’avantage du nombre, représentaient l’élite de l’infanterie picarde, gasconne, allemande et même italienne, commandée par 40 capitaines les plus fameux et les plus intrépides, tels que le sire de MOLART, capitaine général des Aventuriers, le seigneur de BONNET-MAUGIRON, Georges de RICHEBOURG, et le capitaine Grand-Jehan LE PICARD, et le capitaine FEREMUI et le capitaine FABIAN, qu’on appelait le GRAND-FABIAN, le plus grand et le plus puissant homme de l’armée. Ces capitaines se placèrent au premier rang de leurs compagnies et attaquèrent résolument le fort de Pedro de Navarre, soutenus qu’ils étaient par une bonne artillerie. La bataille fut particulièrement rude : il y eut plus de 30.000 morts sur le champ de bataille… Au final, la victoire fut française. Les habitants de Ravenne durent alors se soumettre aux vainqueurs et acceptèrent de payer une contribution de guerre. Cependant, un capitaine des aventuriers, nommé JACQUIN, sergent du sire de MOLART, qui avait été tué dans la bataille, s’approcha de Ravenne avec quelques-uns de ses soldats, et reconnut que la brèche n’était pas réparée à l’endroit où l’on avait donné l’assaut peu de jours auparavant. Il appela sur l’heure les aventuriers et pénétra avec eux dans la ville, par la brèche, sans rencontrer le moindre obstacle. Après eux, les lansquenets et la gendarmerie entrèrent aussi par le même chemin. La malheureuse ville fut pillée et mise à sac. LA PALICE, indigné de cet odieux attentat contre le droit des gens, voulut en connaître l’auteur. Il fit saisir le capitaine JACQUIN, au milieu des lansquenets et des aventuriers qui se mutinaient, et ordonna de le pendre, en présence de toute l’armée, quoique ce fût un des meilleurs et des plus braves capitaines de l’infanterie. Le sac de Ravenne produisit dans le pays une telle impression d’effroi, que la plupart des villes de la Romagne, Imola, Forli, Cesena, Rimini, demandèrent à se soumettre au roi de France ».
En 1515, il participa également à la célèbre et glorieuse campagne de François 1er, son nouveau roi, qui prit successivement les villes de Novare, Vigevano, Pavie et Marignan. Cependant, fait de grande importance et qui décida probablement Charles du LYS à taire la carrière militaire de son grand-père dans son premier ouvrage de 1610 : le capitaine Grandjean LE PICARD changea de camp entre la cinquième et la sixième guerre d’Italie (soit entre 1516 et 1520). Bien sûr, Charles du LYS se garda bien de raconter cette anecdote dans ses ouvrages ! Finalement, dans son opuscule de 1612, il prit le parti de ne parler que très succinctement des faits d’armes de son grand-père… Et on ne peut que le comprendre ! En effet, Jeanne d’ARC sacrifia sa vie pour libérer la France du joug de ses ennemis, il fallait absolument dissimuler le fait que l’un de ses petits neveux, Jean du LYS LE PICARD, devint un traitre à la nation, participant à la tentative d’invasion de la France par le Saint-Empire germanique de Charles Quint !
En 1521, on retrouve le capitaine Grandjean LE PICARD aux côtés de Charles QUINT lors du siège de Mézières, et, cette fois-ci, contre son ancien compagnon d’arme, le chevalier BAYARD ("Histoire de Pierre Terrail, seigneur de Bayart, dit le bon chevalier sans peur et sans reproche", Alfred de Terrebasse, 1828) :
« De retour au camp, le héraut rendit aux seigneurs de NASSAU et de SICKINGHEN cette réponse peu satisfaisante [de refus de capitulation], en présence d'un vieux capitaine nommé Grand-Jehan LE PICARD, qui avait autrefois servi avec BAYART dans les armées du roi de France :
- « Messeigneurs », leur dit-il, « ne vous attendez pas à entrer dans Mézières tant que vivra monseigneur de BAYART ; je le connais, j'ai combattu sous ses ordres, et il est conditionné de façon à donner du cœur aux plus couards gens du monde. Sachez que tous ceux qui sont avec lui, mourront à la brèche, et lui le premier, avant que nous mettions le pied dans la ville. Quant à moi, je préférerais qu'il y ait dans la place deux mille hommes de plus, et lui seul de moins ».
- « Capitaine Grand-Jehan », répliqua le comte de NASSAU, « votre seigneur de BAYART n'est de fer ni d'acier, pas plus qu'un autre. S'il est si brave, qu'il le montre, car d'ici à quatre jours, je lui enverrai tant de coups de canon, qu'il ne saura de quel côté se tourner ».
- « On verra ce qui adviendra », dit le capitaine Grand-Jehan, « mais vous ne l'aurez pas ainsi que vous le croyez ».
Là-dessus, les deux capitaines retournèrent chacun à leur poste et donnèrent le signal aux batteries. A la première décharge, les gens du baron de MONTMOREAU furent, comme à Mouton, saisis d'une telle frayeur, qu'en dépit de leur capitaine, ils s'enfuirent les uns par les portes, les autres en se jetant par-dessus les murailles. BAYART, sans s'émouvoir, fit entendre au reste de la garnison qu'il était ravi d'être débarrassé de ce tas de bélîtres indignes de partager l'honneur d'une aussi glorieuse défense. L'artillerie allemande était si bien servie, qu'en moins de quatre jours, il fut tiré sur la ville plus de cinq mille coups, bombes et boulets. Les assiégés ripostaient de leur mieux ; mais leur artillerie était trop faible pour rendre aux ennemis le mal qu'ils en éprouvaient. En revanche, le Bon Chevalier les tourmentait par des sorties continuelles, dans la plupart desquelles il remportait honneur et profit. Les comtes de NASSAU et SICKINGHEN reconnurent qu'ils avaient affaire à d'autres gens qu'à ceux de Mouzon, et maintes fois se rappelèrent les paroles du capitaine Grand-Jehan.
… Les Impériaux cherchèrent encore à s'assurer si le convoi [de vivres qui avait ravitaillé Mézières] avait été aussi considérable que BAYART le publiait à dessein. Le capitaine Grand-Jehan LE PICARD envoya un tambour demander de sa part une bouteille de vin à son ancienne connaissance le seigneur de LORGES. Celui-ci fit mener le tambour dans un vaste cellier, garni d'un grand nombre de tonneaux, mais dont la plupart n'étaient remplis que d'eau, et renvoya le messager avec deux bouteilles, l'une de vin vieux, l'autre de vin nouveau. Il n'était réellement entré dans la ville que trois chariots de provisions, qui ne pouvaient alimenter une longue consommation. Une tradition du pays ajoute à l'histoire, que BAYART fit échapper de la ville quelques bœufs, après les avoir rassasiés de blé. Les Allemands s'en emparèrent, et furent convaincus, en les dépeçant, que Mézières regorgeait d'une denrée aussi précieuse, puisqu'on en nourrissait même les animaux. En effet, les Impériaux, perdant tout espoir d'affamer la ville, plièrent bagages et se retirèrent après cinq semaines d'un siège, où quarante mille hommes n'avaient osé donner aucun assaut à une place presque démantelée et défendue par quatre à cinq mille soldats. NASSAU et SICKINGHEN n'attendirent point l'armée qu'une résistance aussi opiniâtre avait donné le temps au roi d'assembler et s'acheminèrent ensemble … Ils firent leur retraite à travers la Picardie, ravageant, brûlant tout sur leur passage, et se vengeant sur les paysans, les femmes et les enfants, du mauvais succès de leurs armes.
La levée du siège de Mézières produisit une allégresse universelle en France ; le roi annonça cette heureuse nouvelle à sa mère, la duchesse d'Angoulême, par une lettre dans laquelle il disait qu'en cette occasion Dieu avait montré qu'il était bon Français ; il eût pu ajouter que le meilleur Français après Dieu avait été BAYART. L'opinion générale attribua au Bon Chevalier le salut du royaume ».
Mais qu’a-t-il donc bien pu se passer ? Pourquoi ce soudain changement de camp de la part du capitaine Jean du LYS ?
En fait, la capitulation de Trecas (en 1515) permet de donner un début d’explication. En effet, l’anecdote suivante est rapportée dans la littérature (Histoire de France depuis l'établissement de la Monarchie, Volume 12, Paul-François Velly, 1774, p 28) : « François 1er, de son côté, mettoit tous les instans à profit : s'étant approché de Novarre, dont il trouva les portes ouvertes, il fit battre le château qui passoit pour une des plus fortes places du Milanès : le maréchal de LAUTREC, Pierre NAVARRE & Galiot de GENOUILLAC, grand-maître de l'artillerie, dressèrent si bien leurs batteries, que le commandant effrayé demanda à capituler, & se rendit prisonnier de guerre avec sa garnison. François eut occasion de s'appercevoir dans cette place combien il est dangereux & difficile de commander une armée dont la principale force consiste en soldats étrangers : on vint l'avertir qu'au mépris de ses ordres, des compagnies de Lansquenets avoient trouvé moyen de s'introduire dans la ville, & y mettoient tout au pillage. Il y courut avec ses deux cens gentilhommes & les archers de sa garde : en entrant, il fit fermer les portes de la ville, & se répandit dans les rues pour châtier exemplairement les pillards. Les Lansquenets s’attroupèrent & marchèrent à sa rencontre la pique haute, & bien déterminés à se défendre si on les attaquoit. La vie du roi étoit en danger si les capitaines de sa garde n'eussent eu assez de présence d'esprit pour sentir la faute qu'on avoit faite, & assez d'autorité pour la réparer. Ils continrent leur troupe, firent promptement ouvrir les portes, & laissèrent aux Lansquenets la liberté de se retirer dans leur quartier où ils étoient assurés de trouver l'impunité.
L'armée avançant toujours, entra sans résistance dans Pavie, Vigevano & Trecas. Une scène presque pareille à celle qui s'étoit passée à Novarre se renouvella dans cette derniere place. Le capitaine de l'ISLE & Grandjean LE PICARD y étant entrés avec leurs compagnies d'avanturiers, enfonçoient les portes, violoient les femmes & massacroient ceux qui vouloient leur résister. Le roi, sur le premier avis, y courut avec sa garde ordinaire. A son approche, les avanturiers ne songèrent qu'à s'enfuir ; ceux qu'on put atteindre furent assommés sans miséricorde. Tandis le roi, écarté de ses gardes, en poursuivoit quelques-uns dans la campagne, son cheval s'abattit & se renversa sur lui. Un de ceux à qui il étoit près de donner la mort s'oubliant lui-même pour ne plus voir que le péril de son roi, retourne sur ses pas, le dégage & s'enfuit avec précipitation. Le roi, qui lui avoit inutilement demandé son nom, fit publier dans le camp qu'il donneroit une récompense à ce sujet fidèle : personne ne se présenta pour la recevoir.
En défendant, au péril de sa vie, de timides bourgeois du pillage des gens de guerre, il fit désirer ardemment sa domination aux Italiens qui prévenoient la marche de ses troupes & lui apportoient de toutes parts les clefs de leurs villes. L'armée, avançant toujours, vint asseoir son camp près de Marignan … ».
Sachant qu’à la bataille de Ravenne de 1512, le capitaine JACQUIN fut pendu pour des faits similaires, quel sort attendait donc le capitaine Grandjean LE PICARD ? Il risquait, au mieux, une disgrâce de la part de François 1er et, au pire, une condamnation à mort. Bref, il paraît maintenant logique qu’il ait alors rapidement proposé ses services à l’ennemi.
Cependant, ce n’est pas la seule explication à ce revirement soudain. En effet, une information capitale est donnée par Martin du BELLAY (1495-1559) dans ses mémoires (livre 1er, année 1521) : « Grand-Jehan LE PICARD [estoit] un vieil soldat, nourry de tout temps au service vice du Roi, aux guerres d'Italie, sous la charge de MOLARD, mais natif de la Franche-Comté, lequel s'estoit retiré au service de l'Empereur depuis peu de temps ».
Or, la Franche-Comté (Comté de Bourgogne) était sous l’influence du Saint-Empire Germanique depuis fort longtemps si l’on excepte la courte occupation française de 1477 à 1493, date à partir de laquelle elle fut de nouveau rattachée aux HABSBOURG. A cette époque, la population franc-comtoise était divisée. En effet, une très large majorité des Comtois était en faveur du Saint-Empire Germanique, et combattait pour lui, alors qu’une minorité était en faveur de la France, et combattait pour elle. Le rapport de forces était inverse en ce qui concerne les Duchois. Ces désaccords engendrèrent, pendant des dizaines d’années, de fortes tensions internes en Bourgogne et en Franche-Comté. Pour y mettre fin, Marguerite d’AUTRICHE élabora, en 1522, un traité de neutralité entre les deux Bourgogne. Parmi les conditions imposées de part et d'autre ne figurait pas l'obligation de ne point servir dans les armées françaises et impériales. Tout au contraire, la teneur d'un des articles du traité était la suivante : « les Comtois pourroient servir l'Empereur comme au pareil les Duchois pourroient aller à la guerre avec le Roy sans encourir en aucune deschute de fief respectivement moïennant que ce ne fut pour guerroïer dedans les païs comprinz en la neutralité ». Ainsi, des chevaliers franc-comtois, tels que Jean d'ANDELOT et Etienne de GROSPAIN, combattaient au service de l’Empire, pendant que d’autres, tels que Hugues MARMIER, Simon de QUINGEY, Antoine de SALINS et Guillaume de BOISSET, combattaient au service de la France.
Fait important, le capitaine Grand-Jehan resta toujours très attaché à la Franche-Comté, y compris lorsqu’il combattait pour la France (c’est-à-dire avant l’épisode malheureux de Trecas). Une lettre de Mercurin de GATTINARE, président du Comté de Bourgogne, à Marguerite d’AUTRICHE prouve, qu’en 1513, il racheta même une maison à Philibert de CHAUVIREY qui avait décidé de quitter la Franche-Comté et la Suisse pour aller s’installer définitivement dans son fief de Châteauvillain : « et depuis ay entendu que ledit sr de COLOMBIER a vendu sa maison au capitaine Grand Jehan Probi [Probi = Bon] qui est capitaine des avanturiers de France ».
Bref, le capitaine Grand-Jehan LE PICARD, probablement en disgrâce en France après la bataille de Trecas de 1515, n’aurait-il pas été également influencé par une partie de sa famille proche (qui semble être franc-comtoise d’après son lieu de naissance) pour changer de camp ? Je laisse pour l’instant cette question en suspens. Je tenterai d’y répondre dans un article ultérieur.
Enfin, pour terminer, il n’était pas possible de passer sous silence une dernière anecdote concernant le capitaine Grandjean LE PICARD. Son portrait fut sévèrement brossé par Rabelais. En effet, dans Gargantua, il le traita de poltron et de niais : « Et quelqu’ung d’eulx, nommé Bon Joan, capitaine des francs topins, tira ses heures de sa braguette, et cria assez hault : « Hagios ho theos ». Si tu es de Dieu, sy parle : si tu es de l’aultre, sy t’en va. Et pas ne s’en alloyt : ce qu’entendirent plusieurs de la bande, et departoyent de la compaignie ».
Le jugement semble sévère vis-à-vis du capitaine des francs-taupins et de ses acolytes. Cependant, ces aventuriers étaient très mal vus de la population, traités d’ivrognes et de vilains. Leur mauvaise réputation était telle qu’ils ne cessèrent de faire l’objet de railleries acerbes de la part de leurs contemporains. Une chanson leur fut même spécialement dédiée :
Borgne et boiteux, pour mieux prendre visée,
Et si avoit un fourreau sans espée,
Mais il avoit les mulles au talon.
Deriron, vignette sur vignon.
Un franc-taupin
un arc de fresne avoit
Tout vermoulu, sa corde renouée,
Sa flesche estoit de papier empennée,
Ferrée au bout d'un argot de chapon.
Etc.
Bref, pour conclure, il ressort de mes recherches que le capitaine Grand-Jehan LE PICARD, grand-père de Charles du LYS, n’est absolument pas « une affabulation supplémentaire d’un faussaire mal renseigné ». Il a bel et bien existé : il représentait d’ailleurs un ascendant plutôt embarrassant (sachant qu’il changea de camp et combattit contre la France). Charles du LYS dissimula, dans un premier temps (ouvrage de 1610 et lettres patentes de 1612), son surnom de « LE PICARD » et sa profession de militaire, probablement afin que sa traitrise de fin de carrière ne soit pas découverte. Puis, dans son ouvrage de 1612, il décida finalement de ne pas effacer complètement cet ascendant, de ne plus façonner un autre grand-père plus digne de considération. Cela prouve une fois de plus que certaines informations données par Charles du LYS peuvent être fiables et dignes d’être exploitées.
Toutes mes recherches m'ont permis d’aboutir aux informations
suivantes :
- Jean du LYS dit le capitaine Grand-Jehan LE PICARD naquit en Franche-Comté à la fin du 15ème siècle. Puis, il passa probablement une partie de sa jeunesse en Picardie avec son père (à Lihons), d’où son surnom « LE PICARD ».
- Il resta toujours attaché à la Franche-Comté. Il y acheta d’ailleurs une maison en 1513.
- Il se maria vers 1520 avec Marie BREBANT, fille d’André de BREBANT et de damoiselle Jeanne du VIVIER, elle-même fille de Jean du VIVIER, conseiller au Trésor, et de Jeanne MALINGRE, elle-même fille de Nicolas MALINGRE, huissier de la Chambre des Comptes, et de Pérette MARIETTE. Tous les patronymes donnés par Charles du LYS sont donc bien présents dans son ascendance.
- Il eut plusieurs enfants mais seul Michel du LYS semble avoir eu une postérité.
L’information cruciale de ce paragraphe, c’est le lien que semble avoir la famille du LYS avec la Franche-Comté. Elle constitue une piste sérieuse pour élucider le mystère de la généalogie ascendante de Charles du LYS. Je l’explorerai en détail dans un prochain article.
Suite au prochain épisode dans lequel nous parlerons de son troisième degré d'ascendance...
Toutes les informations récoltées au cours de mes recherches sur la famille d'ARC du LYS se trouvent dans la rubrique Preuves de mon site dédié arc-du-lys.blogspot.com.
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