ARTICLE 2 : PREMIER DEGRE D’ASCENDANCE DE CHARLES DU LYS
Comme présenté dans mon précédent article (L’ASCENSION FULGURANTE DE CHARLES DU LYS), après avoir été pendant des siècles le généalogiste de référence de la descendance d’ARC du LYS, Charles du LYS fut très décrié à partir de la fin du 19ème siècle, passant pour un généalogiste approximatif, voire un faussaire notoire, aux yeux de nombreux érudits.
Sa propre ascendance johannique fut alors complètement remise en cause, certains auteurs actuels, comme Olivier Bouzy (spécialiste de Jeanne d’Arc), allant même jusqu’à élaborer des hypothèses rocambolesques que je ne peux m’empêcher de reproduire :
« Malgré toutes ces invraisemblances, et même tous ces tripatouillages (qui ne sont d’ailleurs pas tous le fait de Charles du LYS, loin de là), il reste une chance infime qu’il ait été effectivement un membre de la famille de Jeanne d’ARC. Non pas un descendant de Pierre, frère de Jeanne, comme il le croyait en ayant tout compris de travers, mais d’un autre frère, Jean. Charles du LYS avait, il est vrai, des excuses à son ignorance des histoires de sa famille, au premier rang desquelles on placera son très jeune âge au moment de la mort de son père. Il avait alors 3 ans et il paraît évident que la tradition familiale s’est arrêtée là … les relations familiales semblent avoir été exécrables, et cela très tôt : Jacquemin, le fils aîné, semble même avoir chassé de Domrémy toute sa famille, mère comprise, et ses petits-enfants ne vinrent à Orléans que pour tenter d’hériter des biens de son neveu, au détriment donc, de Jean de BRUNET, qui serait le grand-père supposé de Charles du LYS… »
« De son père, nous ne savons donc que ce qu’en dit Charles : il s’appelait Michel du LYS, il était chirurgien et valet de chambre du roi Henri II, et il mourut en 1562, 3 ans par conséquent après la fameuse joute qui vit la lance de MONTGOMERY crever l’œil du roi et causer sa mort. Toutefois, si on cherche dans la généalogie restituée par Henri MOREL, on ne trouvera pas de Michel du LYS : le nom des « du LYS » disparait d’ailleurs dès la seconde génération. Les 3 frères de Jeanne - Jacquemin, Jean et Pierre - n’avaient eu chacun qu’un enfant connu : Jeanne du LYS, fille de Jacquemin, avait épousé un Jean dont le patronyme n’est pas connu ; Marguerite du LYS, la fille de Jean, avait épousé Antoine de BRUNET ; et Jean du LYS, dit « la Pucelle », fils de Pierre, mourut sans héritier direct. Marguerite du LYS et Antoine de BRUNET eurent 3 enfants dont Jean, seul survivant, qui lui-même se maria en 1519 à Catherine de THIVILLE et eut un fils, Michel de BRUNET. On peut admettre qu’il existe une possibilité que ce Michel de BRUNET mentionné en 1539 et le Michel du LYS mort en 1562 ne soient qu’une seule et même personne ».
« De Michel de BRUNET, nous ne savons pas non plus grand-chose : parce que sa famille était pratiquement ruinée (ou du moins le prétendait), il obtint que sa mère lui versât, en 1539, un pécule de 400 livres. L’acte est visé par François CORBERY, praticien demeurant à Sandillon, qui était le curateur de Michel de BRUNET, et prévoit que le jeune homme entrera dans les ordres. Sa mère, remariée à Abel de MIROE, et son oncle maternel, Louis de THIVILLE, huissier de la chambre du roi, rachetaient, en échange de ces 400 livres, ses droits sur la seigneurie de Baigneaux, seule épave de la fortune relative qu’avaient amassée les « du LYS » un siècle plus tôt ».
« Il y a des points communs entre les 2 Michel. Michel du LYS fut chirurgien, comme l’était le tuteur de Michel de BRUNET ; et l’oncle de celui-ci, officier subalterne de la Chambre du Roi, aurait pu introduire son neveu dans l’office également subalterne qu’occupa Michel du LYS à la Cour. Toutefois, il ne s’agit que de conjectures. Entre temps, un arrêt de la Cour des Aides et Finances de Normandie du 23 avril 1556 expliquerait pourquoi Michel de BRUNET a pu changer de nom : Henri II avait fait une déclaration établissant que « ceux qui se disent de la race de ladite Pucelle jouiront du privilège de noblesse, pourvu qu’ils en portent le nom ». Cette déclaration revenait sur un édit promulgué un mois plus tôt, et restreignant la noblesse de la famille d’ARC aux seuls descendants en ligne masculine des frères de Jeanne. A cette date, il n’y en avait plus qu’un seul. Mais Michel de BRUNET, s’il était effectivement devenu chirurgien du roi, était bien placé pour demander la modification du premier édit, afin d’étendre le privilège aux descendants en ligne féminine, quitte à changer de nom. La pratique en était largement répandue dès lors qu’il fallait rétablir le nom d’un lignage tombé en quenouille, et nous en avons de nombreux exemples ; or, c’était justement le cas du lignage de Jeanne, dont il ne subsistait plus d’héritier en ligne masculine. Toutefois, à cette hypothèse, il manque une preuve, qui pourrait, par exemple, être la signature de Michel du LYS apposée sur le récit qu’Ambroise PARE fit de la mort d’Henri II. Je n’ai pas trouvé cette preuve, c’est tout ce que j’en peux dire, et pour autant que je le sache, la liste des chirurgiens d’Henri II ne nous est pas parvenue. Je n’assurerai donc pas que Charles du LYS était le fils de Michel de BRUNET, destiné à la bure, mais à qui on avait laissé une chance de changer d’avis ; c’est une simple « conjecture probable ». Ce que nous savons de Michel du LYS, de son métier et de son emploi, ne vient que de son fils Charles, et celui-ci a commis beaucoup d’erreurs ».
Ascendance plausible selon Olivier Bouzy |
Ascendance présentée par Charles du LYS |
Charles du LYS |
Charles du LYS |
Michel de BRUNET dit du LYS |
Michel du LYS |
Jean de BRUNET dit du LYS, époux de Catherine de THIVILLE |
Jean du LYS dit LE PICARD |
Antoine de BRUNET, époux de Marguerite du LYS |
Jean du LYS le jeune |
Jean d’ARC, frère de la Pucelle |
Pierre d’ARC, frère de la Pucelle |
Ascendance plausible de Charles du LYS selon Olivier Bouzy
Olivier BOUZY, d’habitude si sérieux, méticuleux et pertinent, aurait mieux fait de ne pas se lancer si imprudemment dans ces hypothèses peu vraisemblables… Et éviter d’ajouter plus encore de confusion à la confusion ambiante sur la descendance johannique… Outre un raisonnement basé sur une imagination débordante, plusieurs de ses propos peuvent être attaqués :
- Il fait de François CORBERY, désigné comme praticien dans un acte, un chirurgien. Or, rien n'est moins sûr. En effet, la plupart du temps, dans les documents de cette époque, les personnes désignés comme « praticiens » étaient des hommes de loi non gradués en droit et qui ne possédaient pas d’office. Pour les uns, il s’agissait d’un véritable métier, pour beaucoup, ce n’est qu’un état transitoire, une sorte d’apprentissage. Dans le monde judiciaire, en effet, l’état de praticien n’était pas un aboutissement, mais plutôt un point de départ. Pour être reçu dans un modeste office ministériel de procureur ou de notaire, il fallait avoir étudié pendant plusieurs années ce qu’on appelle la pratique judiciaire » (« Les praticiens à Besançon au dernier siècle de l’Ancien Régime », Maurice Gresset, Annales de démographie historique, 1971, p 231-236).
- Il avance que, pour autant qu’il le sache, la liste des chirurgiens d’Henri II ne nous est pas parvenue. Pourtant, des listes des chirurgiens des rois de France successifs, et notamment d’Henri II, existent bel et bien.
Bref, tout cela m’a poussé à faire des recherches plus poussées sur Charles du LYS.
Pour ma part, je suis parti sur une tout autre stratégie. Même s’il est évident que Charles du LYS, beaucoup trop évasif sur son ascendance, a cherché à enjoliver certains pans de sa généalogie et à en cacher d’autres moins reluisants, je décidais, en première approche, de croire globalement en ses propos. En effet, tout généalogiste pugnace sait bien qu’il y a toujours quelques vérités à extraire de légendes, mensonges ou inexactitudes, pour peu que l’on se donne la peine de les chercher…
Pour cela, il me suffisait de suivre, vérifier et approfondir tous les indices laissés par Charles du LYS quant à son ascendance. Et, bizarrement, pendant plus de 3 siècles, aucun érudit ne s’est véritablement intéressé à ses ancêtres. En effet, par exemple, aucune publication ne donne le nom de sa mère, ni celui de sa grand-mère. Incroyable, tout de même ! Les femmes ont-elles si peu d’importance ?
Et pourtant, Charles du LYS, malgré son avarice notoire en détails et en sources, a tout de même fourni quelques indices essentiels, 5 patronymes : « MARIETTE, MALINGRE, DEBREBAN (de BREBAN), DUVIVIER (du VIVIER) et PINGUET, tant à Paris qu’en Picardie ».
Intéressons-nous tout d’abord à la famille PINGUET. Charles du LYS s’intéressait fortement à la généalogie de cette famille (recherchant probablement quelques ascendants notables), ce qui transparait lors d’échanges avec Jean HORDAL du LYS qui lui donna quelques informations sur les PINGUET de Lorraine : « Semblablement, au dit lieu de Metz, m’informant de feu Monsr PINGUET, dont m’avez écrit, je trouvais sa tombe tout proche de la porte du cœur de l’église Saint-Etienne, qui est de cuivre et bien gravée avec 4 vers … vous verrez merveilles du dit PINGUET, qui est dit être Poitevin ». BOUTEILLER et BRAUX furent intrigués par ces propos mais ne parvinrent pas à les éclaircir : « Il existait un lien de parenté que nous ne saurions définir, entre la famille du LYS et les PINGUET ».
Il ressort de mes recherches que la mère de Charles du LYS fut une demoiselle PINGUET. En revanche, il m’a été impossible de retrouver son prénom. En effet, cette famille ne semble vraisemblablement pas originaire de Paris (les PINGUET sont très rares en cette ville à la fin du 16ème siècle). Une piste pourrait être la ville de Beauvais, où une famille bourgeoise PINGUET était présente depuis le 15ème siècle (une Michelle PINGUET, épouse de Martin POCQUELIN est citée dans la généalogie de Molière). Cependant, les armoiries ne sont pas concordantes.
Seul un oncle de cette demoiselle PINGUET résidait à Paris à cette époque : Estienne PINGUET, procureur au Châtelet de Paris, demeurant rue du Four, paroisse Saint-Eustache. Il décéda le 12 juillet 1592. Il eut de Marie YSAMBERT, entre autres enfants :
- Marie (+23/12/1626), mariée le 23/07/1592 avec Pierre LE MOYNE (+17/12/1627), procureur au Châtelet de Paris.
- Etienne, greffier, marié le 01/10/1602 avec Jeanne COUVROT.
- Michel, commissaire examinateur, marié à X. LE SAGE puis à X. SUE.
Les armoiries des LE MOYNE étaient « D’azur au pélican d’or accompagné de 5 étoiles du même, posées 3 et 2 » et celles des PINGUET de Paris « d’azur au lion d’argent accompagné de 2 pommes de pin et surmonté de 3 étoiles du même ».
Bref, maintenant que la mère de Charles du LYS est identifiée, intéressons-nous à son père, qui, selon ses dires de 1610, aurait été un certain Michel du LYS, né en 1523 et décédé en 1562, « valet de chambre et chirurgien ordinaire du roi Henry second ». Avait-il réellement existé ? Etait-il possible d’en retrouver des traces ?
Pour le vérifier, il me fallait tout d’abord suivre la piste des chirurgiens du roi Henri II. Contrairement aux dires d’Olivier Bouzy, quelques listes existent dans les archives nationales (1547, 1549, 1550 et 1559) : il me fut donc possible d’identifier les équipes successives, avec, parmi elles, le célèbre Ambroise PARE qui débutait sa carrière auprès du roi à cette époque. A noter que ces officiers avaient le statut de « chirurgien valet de chambre du roi ». Malheureusement, aucune trace d’un Michel du LYS durant le règne d’Henri II n'est présente. En effet, en 1559 (mort d’Henri II), les chirurgiens du roi sont très bien identifiés et au nombre de 14 :
Nicole LAVERNOT (premier chirurgien), Pierre AUBERT, Jehan THOREAU, renoueur (et Jehan Thoreau, son fils, l’un en l’absence de l’autre), Race DESNEUX, Lois POCHART, Ambroise PARE, Estienne de LA RIVIERE, Laurens COLLOT, Jehan d’AMBOISE, Nicole LAMBERT, Jacques GUILLEMEAU, Pierre LE VERRIER, Jehan LAVERNOT, Jacques LE ROY.
Parmi les nombreux ouvrages racontant l’épopée chirurgicale du 16ème siècle, un seul m’a permis de trouver un très maigre indice reliant la famille du LYS avec le milieu de la chirurgie. Cet ouvrage relate que l’oncle maternel de Charles du LYS, Etienne PINGUET, fut un proche de la famille PARE. En effet, il apparait comme témoin et ami d’une des filles d’Ambroise PARE, Catherine, lors de son mariage, le 28 mars 1581, avec François ROUSSELET, trésorier de l'argenterie de Monseigneur, frère unique du Roi, et secrétaire ordinaire de sa Maison.
Bref, avec si peu de traces tangibles, je commençai à sérieusement douter des informations fournies par Charles du LYS à l’égard de son père qui, soi-disant, aurait été au service de la santé du roi Henri II. Cependant, je remarquai que, dans son ouvrage de 1612, Charles du LYS avait quelque peu modifié sa version en affirmant que son père, Michel du LYS, avait « été quelques temps entre ses officiers domestiques et commensaux, en qualité de valet de chambre ». Peut-être n’avait-il donc finalement pas été l’un de ses chirurgiens mais plutôt l’un de ses nombreux valets de chambre… Cette fois-ci, il me fallait donc le chercher dans la liste chronologique des valets de chambre, minutieusement et exhaustivement établie durant le règne du roi Henri II. Là encore, aucun Michel du LYS n’y figurait.
Commençant à désespérer de trouver une preuve de l’existence et qualité de ce fameux Michel du LYS, je tentai de me raccrocher à d’autres sources. Or, au milieu du 17ème siècle, des descendants d’ARC du LYS affirmèrent que Michel du LYS était « écuyer, gentilhomme ordinaire de la Chambre du roi Henri II ». Là encore, les listes chronologiques de ces officiers du roi sont parfaitement établies mais, malheureusement, aucun Michel du LYS n’y était présent.
Proche de l’abandon, je tentai une dernière exploration documentaire, me disant que, ce Michel n’avait peut-être pas porté le patronyme « du LYS », mais plutôt, comme son père Jean, le surnom de « GRAND-JEAN » ou « LE PICARD ». Mais, là encore, le parcours des diverses listes des officiers du roi Henri II fut vain. En désespoir de cause, j'explorai une dernière piste : l'hypothèse farfelue, proposée par Olivier Bouzy, d'un "Michel de BRUNET". Mais, là encore, sans aucun succès.
Après de nombreuses semaines de recherches infructueuses, je commençai, moi aussi, à me résigner et à ne considérer Charles du LYS que sous l’angle d’un faussaire généalogique invétéré… Jusqu’au jour où, coup de théâtre ! Mes efforts furent récompensés et je trouvai enfin la trace d’un Michel du LYS dans des registres paroissiaux parisiens. En effet, en 1576, une certaine « Jacqueline DULY, fille de feu maistre Mychel DULY, en son vivant maistre chirurgien, demeurant rue du petit champ », fut la marraine d’une petite Jacqueline TROCHE. Or, on sait que Jacqueline du LYS était la sœur de Charles du LYS.
Bref, pour conclure, Charles du LYS et ses descendants semblent donc avoir quelque peu enjolivé le niveau social de ce très discret Michel du LYS alors qu’il ne fut vraisemblablement qu’un simple chirurgien juré de Paris (avec, peut-être, des assistances ou remplacements ponctuels de chirurgiens du roi … faits notables qui furent probablement à l’origine de la création de la légende d’un chirurgien très proche « d’Henri II, son maître »).
Il n’empêche que Michel du LYS a bel et bien existé, qu’il exerçait bien le métier de chirurgien et qu’il avait épousé une demoiselle PINGUET (dont je n’ai pu retrouver le prénom). Le mystère de la première génération ascendante de Charles du LYS est donc enfin levé ! Mais, que d’énergie dépensée pour y parvenir !
Suite au prochain épisode dans lequel nous parlerons de son deuxième degré d'ascendance...
Toutes les informations récoltées au cours de mes recherches sur la famille d'ARC du LYS se trouvent dans la rubrique : Famille de Jeanne d'ARC.
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