Mi-octobre, nous repartons en ligne. Première position au Bois Bourru où il ne reste plus que les souches des arbres. Nous y arrivons en fin de journée et, dès le lendemain, le commandant me convoque pour m'annoncer que chacune des trois batteries allait me confier une pièce avec ses servants et, qu’avec ces trois pièces, j’allais constituer une batterie avancée à installer à l’est de Montzéville.
J'en étais le seul officier. Seuls, quelques anciens abris d'infanterie pouvaient servir à loger le personnel mais il fallait installer les pièces et faire d'assez gros travaux de terrassement qui faisaient quelque peu maugréer les hommes. Je ne connaissais pas les deux tiers des sous-officiers et des hommes, et c'était une tâche difficile de les tenir bien en main, surtout que je devais m'absenter fréquemment pour aller à l'observatoire. De plus, durant la troisième nuit passée en ce charmant endroit, une pluie diluvienne se déclencha et, lorsque je me levais au matin, j'eus la surprise de mettre mes pieds dans l'eau boueuse qui avait envahi ma cagna. Les autres abris n'étaient pas mieux partagés. Le moral des hommes, déjà bas, fut encore affecté par la boue gluante qui imprégnait tout : chaussures, vêtements, ustensiles de cuisine...
A peine commencions-nous à être sortis du pétrin qu'un ordre nous renvoie à nos batteries respectives et le groupe va prendre position sur les pentes du Mort Homme, au sud de Chattencourt. Là, nous trouvons des positions organisées pour tout le groupe, soit pour les 12 pièces alignées. Coin plus calme que la rive droite de la Meuse que l'on domine et où, la nuit tombée, on voit d'innombrables petites langues de feu qui se détachent et sont autant de départs d'obus. Leur nombre impressionnant donne une idée de la concentration incroyable de batteries dans ce petit coin de France et de l'importance de la consommation de munitions à laquelle il faut faire face. Nous commençons l'hiver sur cette position. Les seuls ennuis sont qu'on ne peut faire de feu dans la journée de peur de se faire repérer… et les rats. Ceux-ci sont nombreux et souvent gros comme des chats. De plus, ils sont méchants et si l'on marche sur l'un d'eux, ce qui n’est pas rare la nuit, ils sautent pour vous attaquer et on ne peut sortir qu'avec une matraque pour se défendre. Un matin, à mon grand étonnement, je me réveille en constatant qu'une partie du soufflet de ma sacoche d'officier, pendue au mur à quelques centimètres de la tête de ma couche, a été dévorée par un rat.
Source : Quelques souvenirs de la guerre 14-18, par Joseph BERNARD-MICHEL
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