vendredi 18 décembre 2009

Joseph-Gabriel ALMERAS-LATOUR, un jurisconsulte dauphinois du 19ème S.


Vie de Joseph-Gabriel ALMERAS-LATOUR, par Roger Dufroid

Jurisconsulte au moment de son mariage avec Marie-Antoinette Sophie SAIN, Joseph-Gabriel ALMERAS-LATOUR fut ensuite, pendant quarante ans, un avocat distingué du barreau de Vienne (il fut élu batonnier en 1835 et 1838, et fut membre du conseil de discipline de 1839 à sa mort). « Sa haute intelligence, son éloquence, la solidité de son jugement et un rare talent de discussion » le prédisposent naturellement aux fonctions pubiques. C’est ainsi qu’il fut sous-préfet de l’arrondissement de Vienne, par interim, du 17 juin au 2 août 1815, date de la nomination de Annibal-Marie ANGLES. Puis il est nommé conseiller municipal par ordonnance du roi Louis XVIII le 30 décembre 1814, mais il ne sera officiellement installé dans ses fonctions qu’après les Cent Jours (27 septembre 1815) et occupera ce poste jusqu’en 1830. Après une éclipse de 11 ans, il revient au conseil municipal sous la monarchie de juillet (2 mars 1841) et le restera jusqu’à sa mort.


En 1820, Joseph-Gabriel se présente sans succès à la députation (sous l’étiquette « libéral ») et publie sa profession de foi : « A messieurs les électeurs du département de l’Isère ». Quelques années plus tard, il est accusé d’être l’auteur d’un mémoire injurieux pour la magistrature (ce mémoire, signé Peyrard, a été imprimé à Lyon en novembre 1827. Alméras-Latour a simplement laissé dire à son client ce qu’il pensait lui-même de certains magistrats de cette époque) et appelé par le procureur du roi à se présenter devant le conseil de discipline pour s’expliquer et donner ses moyens de défense sur l’imputation qui lui est faite. Joseph-Gabriel, qui est un avocat habile, ne tombe pas dans le piège qui lui est tendu par ses adversaires politiques et préfère présenter sa défense par écrit (29 juillet 1828). Le 26 août suivant, après délibération, le conseil de discipline le déclare convaincu d’infraction aux devoirs de sa profession, et pour réparation, lui faisant application de l’article 18 de l’ordonnance royale du 20 novembre 1822, prononce contre lui la peine de l’avertissement. Lorsqu’on lui remit la notification du procureur du roi Badin, Alméras-Latour, qui participait à un banquet où se trouvaient réunis plus de trente personne, déclara à haute voix : « je vois ce que c’est ». Puis, rompant le cachet et se donnant à peine le temps de lire les premières lignes, il répéta de nouveau d’un ton fort irrité : « oui, je vois ce que c’est, et voilà le cas que j’en fais », et en même temps, il déchira la dépêche en plusieurs morceaux et en jeta avec dédain les débris derrière sa chaise.

Cet homme de caractère fut aussi poète et composa des vers de circonstance. Le 7 juin 1816, l’ancien doyenné fut habité par Mme la duchesse de Berry. Après son entrée en grande pompe dans la ville de vienne, la princesse fut reçue dans ce petit palais par les officiers de sa maison, et trouva, sur son passage, dans la première salle, les demoiselles de la ville qui avaient obtenu la faveur de la complimenter. C’est Alméras-Latour, alors conseiller municipal, qui fut chargé de composer la harangue d’usage. Dix jours plus tard, le 17 juin, il chante des couplets de sa composition au banquet offert par la ville de Vienne au détachement de la garde royale, qui était allé au devant de la princesse, et obtint un certain succès.

Joseph-Gabriel est décédé à Vienne, dans son domicile de la place Saint-Paul, le 26 février 1846, dans sa 64ème année, dix jours après avoir été frappé d’une attaque d’apoplexie. Il était le père de Louis-Michel ALMERAS-LATOUR et le cousin germain du général Louis ALMERAS, baron de l’empire.

Source : Une famille Viennoise au XVIIème et XIXème siècles : les Alméras et leurs alliances, par Roger DUFROID.

Blason de la famille Alméras-Latour

Eloge funèbre de Joseph-Gabriel ALMERAS-LATOUR

Aujourd’hui, samedi, ont eu lieu les obsèques de M. ALMERAS-LATOUR, doyen des avocats de Vienne, membre du conseil municipal, de l’administration des hospices et du bureau du collège, mort jeudi dernier, à 8H du soir, des suites d’une attaque d’apoplexie dont il avait été frappé 10 jours auparavant.

Discours de M. SAINT-PIERRE, bâtonnier de l’ordre des avocats de Vienne :

« Messieurs et chers confrères,

avant d’abandonner à cette tombe la dépouille mortelle de notre cher doyen, de ce confrère qui fut si longtemps la lumière et la gloire de notre ordre, payons à sa mémoire un juste et dernier tribut, en nous retraçant, à grands traits, le tableau de sa carrière si bien remplie. Fils d’un avocat distingué du barreau de Vienne, M. Alméras-Latour descendit, bien jeune encore, dans l’arène des luttes judiciaires. Les occupations de son état, cependant, ne l’absorbaient pas tout entier. Grâce à sa prodigieuse activité, il trouvait encore des moments à consacrer à sa famille et à son pays. Un grand nombre ont été témoins de l’affection qu’il portait aux siens, des soins personnels qu’il donnait à l’éducation de ses enfants, ses plus douces comme ses plus chères espérances. Dans l’administration municipale et dans celle des hospices, ses concitoyens ont pu le voir payant sa dette à la patrie.

La lucidité de son esprit, la clarté de sa dialectique portaient la lumière dans les causes les plus difficiles et les plus embrouillées. Pendant sa longue carrière, s’il fut donné à certains de ses confrères de marcher à côté de lui, aucun d’eux ne le devança … C’était surtout depuis quelques années qu’il s’occupait de manière plus particulière des affaires publiques. Voulant enfin prendre quelques repos, il refusait les affaires d’audience, et c’était à grand’peine qu’on pouvait obtenir qu’il se chargeat de quelques-unes. Il ne faisait plus que de rares apparitions à la barre, et, à chaque fois, il se présentait le même, sans avoir rien perdu de son beau talent. Il y a quelques jours encore, nous admirions la verve, pleine de jeunesse, avec laquelle il plaidait, la netteté de sa parole, la force de ses raisonnements : hélas, c’était le dernier éclat du flambeau qui va s’éteindre.

Signature de Joseph-Gabriel Alméras-Latour

Le loisir volontaire qu’il s’était procuré lui étant souvent opportun, son activité avait pris une autre direction : les travaux administratifs étaient devenus ses délassements. Déjà, dans cette voie, on apercevait pour lui une carrière nouvelle et pleine d’avenir, lorsqu’une maladie, à laquelle une organisation forte résiste difficilement, est venue inopinément le frapper, et l’a enlevé, en peu de jours, à sa famille, à ses amis et à son ordre auquel il avait toujours porté une vive et sincère affection, et dans lequel il avait voulu que son fils entrat et fit ses premières armes, avant d’aller enrichir la magistrature d’un nom et de talents qui appartenaient au barreau.

Dès les premiers instants, les atteintes du mal ont été profondes mais son intelligence est restée intacte jusqu’à la fin. De suite, il a jugé sa position ; sa mort lui a paru certaine, il l’a envisagée avec calme et sans crainte, et toutes ses actions se sont dirigées vers ce but. Dans ces moments suprêmes, rien ne lui a échappé ; il a voulu donner à ses confrères un dernier gage de son estime et de son affection, et il a désigné les quatre plus anciens avocats plaidants pour accompagner son cercueil à sa dernière demeure. A sa femme et à ses enfants, il n’a cessé de donner des consolations, adressant aux uns et aux autres des mots doux et affectueux, faisant à tous des recommandations pressantes de veiller au bonheur de chacun d’eux.

Enfin, cette âme forte ne pouvait être étrangère aux idées religieuses : de son propre mouvement, il a réclamé les secours de la religion, et, après les avoir reçus, il disait à ses enfants qui lui apportaient quelques paroles d’espoir, et en leur serrant les mains : « maintenant, que je vive ou que je meure, je ne serai jamais aussi heureux que je le suis en ce moment ». Quelques heures plus tard, il rendait le dernier soupir dans les bras de ceux qui, pendant sa vie, avaient été l’objet de ses plus tendres affections. Disons un dernier adieu à ce cher doyen, à cet excellent confrère, et que sa mémoire reste toujours dans nos cœurs ».

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