dimanche 4 mai 2014

Au temps des volontaires - 1792 : lettre n°17

Sierck, dimanche 22 janvier 1792, à six heures du soir.

Votre lettre, bonne mémère, vient de rendre heureux le soldat. Une phrase cependant ôte à Lisette (1) un peu de sa douce sérénité. Vous n'avez pu m'écrire plus d'une feuille, dites-vous, et vous m'envoyez deux assignats qui tiennent lieu de la seconde. Mais, bonne mémère, ne savez-vous point que des assignats ne remplaceront jamais pour mon cœur un mot de votre main. C'est une profanation que de comparer deux choses qui se ressemblent si peu. Je vous remercie bien de votre lettre. Mais ne vous êtes-vous point fait mal aux yeux pour l'écrire ? Ne vous fatiguez pas ; des lettres qui vous coûterait de la peine m'en feraient aussi beaucoup.

Portrait de Mme Durival, dite "mémère", mère adoptive de Joseph-Louis-Gabriel NOEL

Vive l'Assemblée nationale ! Que son décret est beau ! Il a fait du bien du plaisir à votre soldat qui vous remercie de lui en avoir envoyé le texte. Il l'adopte et fait le serment que tous les bons Français viennent de faire en ce moment. Nous serons libres. La constitution s'affermira. Tous les pouvoirs auront la force et l'autorité qu'elle leur a déléguées. Nous combattrons nos ennemis et ce bon combat fera trembler tous les despotes de la terre ! L'attitude de l'assemblée vis-à-vis de l'empereur est bien imposante. L'accord entre la Nation et son chef, la promptitude avec laquelle le décret a été rendu et sanctionné ne doivent laisser aucun doute sur les sentiments du roi.

Les nouvelles que vous m'avez apprises remplissent de contentement votre soldat. Il voudrait bien que l'empereur fut déjà notre ennemi. Avec quelle ardeur nous irions au combat ! En nous battant pour la cause de notre patrie nous nous battrions en même temps pour celle de tous les peuples. Je suis bien heureux d'avoir en ce moment 22 ans, de la force, une mère et une sœur si tendres qui soutiennent et dirigent si bien mon courage. Je serais bien malheureux si j'étais en ce moment incapable de porter les armes et je vous dois la santé comme je dois la vie morale.

Il faut vous quitter ; c'est avec bien du regret. Mais vous m'avez appris qu'il faut toujours remplir ses devoirs avec exactitude et simplicité : je vais aller chez le maître d'allemand. Les assignats que vous m'avez envoyés pour me servir à lui donner de quoi se faire du feu ; je vous remercie pour lui. Mais je vous en prie, ne m'en envoyez plus. J'en ai plus qu'il ne m'en faut.

(1) Lisette, dans la psychologie de la bonne famille, c'est l'âme.

Source :  Au temps des volontaires - 1792, lettres d'un volontaire de 1792 (Joseph-Louis-Gabriel NOEL), par Gabriel NOEL, Plon-Nourrit, 1912

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