vendredi 27 août 2010

Jacques-Joseph MOMY, un magistrat strabourgeois du 18ème siècle

NOTICE NÉCROLOGIQUE

M. MOMY, PÈRE
DOYEN DES AVOCATS DE STRASBOURG,
ANCIEN ADJOINT AU MAIRE DE STRASBOURG.

STRASBOURG,
IMPRIMERIE HUDER, RUE DES VEAUX
1856


Toute la ville de Strasbourg a connu cet aimable et spirituel vieillard, si élégant dans sa mise, si vif dans sa démarche, si piquant dans ses réparties, qui se faisait remarquer, il y a peu d'années, par sa belle et verte vieillesse, par la rare et charmante fraîcheur de son esprit.

La tombe s'est ouverte pour lui ; et avant de la fermer pour toujours, nous devons à cette vie si active, à cet esprit si distingué par son érudition, par sa vivacité et son entrain, à l'homme de bien qui a traversé des temps si difficiles et si orageux, au chef vénéré d'une des familles de Strasbourg les plus estimées, les plus considérables, nous lui devons le dernier hommage d'une amitié déjà ancienne.

Essayons d'esquisser les diverses phases de cette existence, où le noble tribut des fonctions publiques exercées gratuitement vient se mêler aux consultations du légiste, aux luttes de l'avocat, aux sollicitudes et aux devoirs de la famille, si dignement remplis par M. Momy.

Qu'il nous soit permis de faire ici une remarque. Le public sait-il apprécier les hommes généreux qui se dévouent aux fonctions exercées gratuitement dans un intérêt général ?

Il est à Strasbourg des hommes nombreux parmi lesquels on remarque des esprits d'élite, qui font de l'accomplissement des charges publiques non rémunérées l'objet de toute leur sollicitude. Y a-t-il rien de plus estimable que ces citoyens généreux qui mettent au service soit de la commune, soit des institutions de charité, de bienfaisance ou d'instruction, des trésors de savoir et d'expérience ?

Honneur à ces hommes respectables ! M. Momy a figuré au premier rang de cette phalange. Quelle fut sa vie?

M. Jacques-Joseph Momy, doyen de la corporation des avocats de Strasbourg, naquit en cette ville le 10 octobre 1767, fils d'un honnête industriel. Après de solides études faites au Collège de sa ville natale, qui était dirigé par de savants ecclésiastiques, il fut reçu, en 1784, maître ès-arts en l'ancienne Université épiscopale.

Trois ans plus tard, il obtint le diplôme de licencié ès lois à l'Université de Strasbourg après avoir soutenu deux thèses en droit, conformément au privilegium odiosum, introduit en faveur des Strasbourgeois.

La même année (1787) il fut reçu avocat au conseil souverain d'Alsace. L'année suivante, nous le voyons figurer comme surnuméraire à la chancellerie du magistrat de Strasbourg et employé aux archives de la ville. En même temps, il entra en qualité de commis dans les bureaux de la commission intermédiaire provinciale d'Alsace, d'où il passa plus tard dans ceux de l'administration départementale du Bas-Rhin.

Nommé, la même année, avocat au directoire de la noblesse immédiate de la Basse-Alsace, il exerça près de ce tribunal jusqu'au moment de sa suppression.

M. Momy se livra depuis 1788 jusque dans le courant de 1791 à ses fonctions d'avocat et aux devoirs que lui imposa son emploi près de l'administration départementale.

On connaît les changements survenus en 1791. M. Momy se fit recevoir en qualité d'avoué plaidant près le tribunal du district de Strasbourg, et fonctionna comme tel jusqu'au moment de la suppression des avoués. Depuis cette époque jusqu'à celle du rétablissement de cette corporation , il ne cessa d'exercer les fonctions de défenseur officieux près le tribunal civil et criminel, et près le tribunal de commerce.

En 1799, le procureur de la commune se trouvant empêché, par les fonctions qu'il avait à remplir près le corps municipal, de vaquer à ses devoirs de ministère public près le tribunal de police correctionnelle, M. Momy fut délégué par la municipalité, conformément à l'art. 44 de la loi du 22 juillet 1791, pour l'accomplissement des devoirs de cette charge.

1795, l'année de la Terreur, trouva M. Momy occupant le siége du ministère public près le tribunal correctionnel, vu l'incapacité du titulaire fabricant de bas tissés, qui n'entendait rien aux formes de la procédure. Il continua ces fonctions jusqu'au moment où la police correctionnelle cessa d'appartenir aux juges de paix.

Avons-nous besoin de faire remarquer que l'honorable M. Momy profita de cette position pour rendre d'importants services à une foule d'honnêtes gens traqués par les terroristes ? Le fait nous a été certifié par le plus ancien de ses amis, le respectable M. Funck, ci-devant vice-président de la commission des prisons, mort en 1856 à l'âge de 86 ans.

En l'an VIII, M. Momy fut breveté avoué plaidant concurremment avec les avocats. Dès 1802 nous le voyons entrer au conseil municipal, jusqu'au moment où il en sortit par la voie du sort. Par décret du 95 avril 1806, il est appelé au conseil de discipline de l'École de droit de Strasbourg. Depuis 1815 jusqu'en 1833 nous le voyons partager successivement les travaux du conseil d'arrondissement, comme membre d'abord, puis comme président, et prendre part aux opérations du conseil de révision.

Une ordonnance royale datée de 1891 le ramène de nouveau au sein du conseil de la cité, et une autre ordonnance de 1896 le nomme membre du comité d'instruction primaire.

Au mois de juillet 1826, M. Momy se démit de sa charge d'avoué pour se consacrer exclusivement à sa profession d'avocat.

Initié, dans une mesure exceptionnelle, à l'histoire, aux us et coutumes, aux traditions de sa ville natale, M. Momy est nommé en 1827 adjoint au maire de Strasbourg, chargé de l'état civil et du contentieux, et associé aux travaux de l'honorable M. de Kentzinger, dont les brillants services et la digne administration occupent une si belle page dans les annales de la cité strasbourgeoise.

Ici nous devons à la mémoire de M. Momy de rappeler un service important qu'il rendit à sa ville natale. A partir de 1821, étant membre du conseil municipal, et pendant tout le temps que dura le procès gigantesque que Strasbourg eut à soutenir contre la ville de Barr, concernant le droit de propriété sur la forét du Hohwald, M. Momy ne cessa de prêter à l'illustre défenseur de la ville de Strasbourg, au savant M. Raspieler, son concours le plus actif, pour retrouver dans les archives tous les documents capables d'établir devant les tribunaux le droit de propriété de Strasbourg sur cette magnifique et immense forêt.

On sait le retentissement qu'eut cette affaire, et le beau succès qui couronna les doctes efforts de l'éminent M. Raspieler.

1830 amena à Strasbourg, comme dans la plupart des villes de France, un revirement dans l'administration municipale. M. Momy dut céder ses fonctions d'adjoint à un homme nouveau. Les hommes nouveaux sont de mise au moment des révolutions. M. Momy était sexagénaire. Nous avons des motifs de supposer qu'à cet âge il ne tenait pas plus que de raison à la part des fonctions publiques qu'il avait gérées jusque-là avec tant d'honneur et de délicatesse.

Toutefois, dès 1833, une décision ministérielle l'appelle au comité supérieur de l'instruction primaire. En 1834, il est appelé à siéger en qualité de juge suppléant au sein d'un jury, chargé de décider du résultat d'un concours ouvert pour une chaire de professeur à l'École de droit.

Depuis 1854 jusqu'en 1852, M. Momy continue, malgré son âge avancé, à exercer les fonctions d'avocat consultant dans les affaires judiciaires et administratives, jusqu'au moment suprème où ses facultés physiques et intellectuelles lui refusent leurs services.

Nous l'avons entendu, ce noble et beau vieillard, narrer, discuter et discourir à l'âge de plus de 80 ans, avec une lucidité d'esprit, une fraîcheur de mémoire, une fermeté de jugement et un enjouement de langage qui ne sont pas d'ordinaire le privilége de la vieillesse, et qui n'appartiennent qu'aux esprits distingués arrivés à la force de l'âge.

Sobre, laborieux, bien portant, rien en lui n'annonçait l'homme caduc, il y a peu d'années. Tout révélait au contraire l'homme actif, l'esprit érudit, le mâle et ferme caractère du jurisconsulte, la spirituelle et piquante verve de l'avocat. Nul ne savait mieux que lui l'histoire de la cité, de son ancienne constitution, de ses corporations, de ses anciens priviléges et de leur origine. Nul ne savait narrer comme lui les transformations du vieux Strasbourg allemand en Strasbourg moderne. Esprit pénétrant, plein de sagacité, ayant à son service une prodigieuse mémoire, M. Momy était l'avocat-né de toutes les causes dans lesquelles l'histoire de notre province ou de notre ville jouait un rôle. Aucun détail de ce passé si compliqué n'avait échappé à cette tête qui était une chronique vivante.

Un trait caractéristique du vénérable doyen du barreau de Strasbourg, c'est l'amour qu'il avait pour sa profession d'avocat. Les affaires étaient son élément : il les aimait passionnément. Que de fois nous l’avons vu, arrivé aux dernières limites de la vie, s'occupant d'affaires dans cet intéressant cabinet, garni de mille objets curieux, où il !passait une grande partie de ses laborieuses journées. Dès cinq heures du matin, en hiver comme en été, il était là à son poste de travailleur infatigable.

Parmi les nombreuses fonctions se rattachant à un intérêt public dont M. Morny était revêtu, nous ne devons pas oublier celles de membre et plus tard de président de la fabrique de l'église catholique de St-Pierre-le-Jeune, sa paroisse, qu'il a gérées pendant 30 années consécutives.

Mais tout ici-bas doit avoir un terme. Cette belle organisation, qui avait résisté si longtemps à la sape de l'âge, devait se briser à un moment donné. La longue maladie et la mort prématurée d'un fils adoré, M. Eugène Momy , qui arriva au mois de septembre 1853, fut pour cet excellent père une secousse électrique ajoutée à ses 85 ans. Depuis cette catastrophe, les forces de M. Momy déclinèrent sensiblement.

Entouré de tout ce que la piété filiale la plus ingénieuse peut imaginer de soins délicats, de précautions minutieuses, soutenu par les conseils de l'art les plus dévoués et les plus vigilants, M. Momy coulait les jours paisibles de sa haute et heureuse vieillesse, au milieu de sa belle et nombreuse famille, quand l'affaiblissement successif de sa vigoureuse constitution est venu lui rappeler l'approche de son heure suprême.

Plein de foi et fortifiant son âme par d'incessantes prières, soutenu par les bénédictions de ses enfants et de ses petits-enfants jusqu'à la troisième génération, M. Momy s'est doucement éteint le 28 janvier 1857, muni des sacrements de l'Église, entre les bras de deux anges qui n'avaient cessé d'embellir et de charmer ses vieux jour, et dont Dieu bénira la douce piété et les soin affectueux.

L'abbé GUERBER
Aumônier des prisons civiles de Strasbourg.

Source : bibliothèque nationale de France, notice n° FRBNF36423307 (Tolbiac LN27-14430).

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