samedi 3 juillet 2010

Eugène BERNARD-MICHEL, président de la Société Lorraine Industrielle à la fin du 19ème siècle


A la mort de son père, Nicolas Eugène Bernard MICHEL (dit BERNARD-MICHEL) reprit la direction de la négoce de bois familiale en même temps qu'il gérait ses terres avec l'aide d'un chef de culture. Les bâtiments de culture et les écuries étant en face de la maison familiale, cela facilitait sa tâche. C'était d'ailleurs un homme ayant une grande autorité, un caractère froid et réfléchi qui après avoir mûrement pesé ses décisions, ne revenait jamais sur celles-ci.

Il régnait, tel un patriarche, sur les LOIZILLON, BECKER, WATRIN, JANIN. On lui demandait conseil et on suivait ses avis. D'une taille moyenne, svelte, les traits fins, toujours extrêmement soigné, il menait une vie dont chaque instant était minuté. Jusqu'à la guerre de 1870, qui bouleversa son existence, bon cavalier, il faisait chaque matin, à cheval, l'inspection des travaux ruraux à faire ou en cours. En revenant, il allait à sa scierie voir sur place l'exécution des commandes. L'après-midi, il s'occupait de la partie commerciale de l'affaire.

Portrait d'Eugène Bernard MICHEL, président de la Société Lorraine Industrielle, maire d'Uckange de 1865 à 1868

Marié à 32 ans à Elisabeth PONCELET, d'une vieille famille lorraine possédant une propriété à Semécourt, ils eurent, en 1857, une fille Emmanuelle qui resta célibataire et mourut de la grippe lors d'une épidémie en 1896, puis en 1860, un fils Auguste.

Ayant une femme de 14 ans plus jeune que lui et qui l’avait épousé à 17 ans, Eugène exerçait sur elle une autorité quasi paternelle, s'en remettant par contre complètement à elle pour la direction de la maison et du jardin.

La guerre de 1870 vint bouleverser complètement cette belle ordonnance de vie. Uckange étant contre la frontière, Eugène voulut mettre sa femme et ses enfants à l'abri et les envoya à Metz, chez son beau-père, dès le début des hostilités. Lui-même resta seul à Uckange où, dès la fin août, il se trouva coupé de sa famille restée dans Metz assiégée, tandis qu'à Uckange, il avait à loger le général allemand assiégeant Thionville et qui avait établi son état-major dans la maison familiale.

Photo de la maison Bernard-Michel à Uckange

Eugène BERNARD-MICHEL étant un homme à se faire respecter et le dit général allemand étant correct et bien élevé, les rapports qu'entretinrent les deux hommes, s'ils ne furent pas cordiaux, furent néanmoins empreints d'une estime réciproque et, de ce fait, Eugène put venir en aide à des habitants de la région.

C'est ainsi que Monsieur Henri de WENDEL, qui dirigeait les forges d'Hayange et de Moyeuvre, ayant besoin de s'entretenir avec son frère Robert de WENDEL, alors mobilisé comme officier de la garde nationale dans Thionville assiégé, était venu trouver Eugène BERNARD-MICHEL pour obtenir une audience du général allemand que celui-ci logeait. Monsieur Henri de Wendel ayant obtenu ce qu'il désirait, c'est une nappe d'Uckange qui servit de drapeau blanc aux parlementaires.

Dans ses notes, hélas perdues, Eugène racontait qu'il vit un jour passer à Uckange, à sa grande stupéfaction, une voiture de maraîchers venant de Metz assiégée. Il en fit la remarque au général allemand qui lui dit qu'il serait bien étonné s'il lui donnait le nom de la personnalité qui se trouvait dans la voiture. De fait, il s'agissait du Général CANROBERT auquel les Allemands avaient donné l'autorisation de quitter Metz assiégé pour aller remettre à l'Impératrice Eugénie, régente de l'Empire, un message du général BAZAINE, commandant l'armée de Metz. Ce message d'un général tout dévoué à l'Impératrice qui avait fait sa carrière, était destiné à lui faire savoir qu'en échange de la reddition de Metz, marquant la fin des hostilités, les Allemands seraient disposés à maintenir le régime impérial en France.

Eugène avait joint à ses notes deux lettres datées de fin 1871. L'une provenait du général allemand qui avait cantonné chez lui. Il lui rappelait que si celui-ci lui avait témoigné une froideur compréhensible pendant son séjour chez lui, il avait gardé de lui le souvenir d'un homme droit et estimable et que, devant passer en Lorraine, il aimerait le revoir. L'autre lettre contenait la réponse d’Eugène. Il exposait au général que, s'il l'avait connu dans de pénibles circonstances, il lui était resté l'impression d'un officier correct et d'un homme compréhensif de la situation où il se trouvait. Il lui faisait cependant comprendre qu'il préférait ne pas le revoir car, le retrouvant après l'annexion inique de l'Alsace et de la Lorraine à l'Allemagne, il ne pourrait le considérer que sous le jour d'un occupant ayant arraché sa province à la France et qu'il préférait en rester au souvenir de l'officier accomplissant son devoir, tel qu'il l'avait connu à l'époque.
 
D'ailleurs, à cette époque, s'imposait aux Lorrains l'obligation de choisir entre rester sur place et alors prendre la nationalité allemande, ou opter pour la France et ne plus pouvoir séjourner en Lorraine plus de six mois par an, chaque séjour étant contrôlé par une déclaration d'entrée et de sortie à la mairie, sous peine de sanctions graves. Le choix était déchirant pour les familles alsaciennes et lorraines. Le patriotisme d'Eugène l'emporta sur toute autre considération. Ne pouvant admettre de prendre la nationalité allemande, il opta pour la France et alla se fixer à Nancy, comme le firent beaucoup d'autres lorrains et alsaciens à l'époque. Il conservait cependant ses biens en Lorraine et pensa même un moment qu'en affermant ses terres et qu'en confiant la gérance de la scierie à Monsieur HERGAT - dont la fille aînée devait épouser Monsieur KRIER - il pourrait conserver l'exploitation de son affaire. Il lui fallut très vite déchanter. Il conserva la propriété du sol, des immeubles et des machines et abandonna l'exploitation à Monsieur HERGAT.

De ce fait, les ressources financières de la famille BERNARD-MICHEL se trouvaient très diminuées et, actif comme il l'était, Eugène ne pouvait se résoudre à ne rien faire. Lors il advint que l'ingénieur en chef des mines de Nancy, Monsieur BRACONNIER, père du futur général qui fut à l'Elysée chef de la maison militaire du président LEBRUN, était préoccupé par la situation financière de la société lorraine industrielle dont le siège était à Hussigny près de Longwy. Cette société possédait deux hauts fourneaux ainsi que d'importantes concessions minières dont une à ciel ouvert à Hussigny, très rentable, et une autre souterraine à Errouville dont l'exploitation n'était pas commencée.

Photo du haut-fourneau d'Hussigny

Personne ne sait comment Monsieur BRACONNIER avait entendu parler d’Eugène BERNARD-MICHEL. Toujours est-il que ce fut certainement en termes très élogieux puisqu'il lui demanda de prendre la présidence de la société pour la renflouer, ce que Eugène accepta. Il forma son conseil d'administration avec Monsieur de SAINTIGNON qui possédait une usine de hauts-fourneaux à Longwy, Monsieur d'HUART de Luxembourg, Monsieur de TRICORNOT, Monsieur THOMAS, banquier à Longwy, Monsieur REVEMONT de Villers-la-Montagne, et un représentant de la famille LOIZILLON.

Le domaine minier de la société était hors de proportion avec l'importance de ses deux hauts-fourneaux. Pour sauver la société, il fallait jeter du lest en cédant une partie de ce domaine minier. C'est ce que fit Eugène BERNARD-MICHEL en cédant la concession minière d'Errouville à la maison de WENDEL.

Eugène remit rapidement l'affaire sur pied et en fit une société dont les titres étaient fort bien cotés sur le marché. Sa réussite à Hussigny, son sens des affaires l'avaient mis en vedette et il fut coopté par le conseil d'administration de la Société Nancéenne de Crédit où il fut administrateur jusqu'à sa mort aux côtés de Messieurs de VIENNE, de METZ et de RAVINEL notamment.

Photo de la cité Michel à Hussigny

Jusqu'à sa mort à 83 ans, Eugène BERNARD-MICHEL a conservé intactes toutes ses facultés physiques et intellectuelles. Deux heures avant sa mort il dictait encore une lettre d'affaire à son fils Auguste. Chose curieuse : pour un homme aussi intelligent, personne ne l’a jamais vu lire un livre ou une revue autre qu'économique ou financière.

Décédé à Nancy le 22 février 1907, après une courte maladie, il fut enterré à Uckange, après un service funèbre à Nancy où plusieurs discours furent prononcés.

Source : Quelques souvenirs de famille, par Joseph BERNARD-MICHEL

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