Portrait du baron Louis Alméras (source : gallica.bnf.fr)
Hommage au baron Alméras
Nous avons annoncé la mort du lieutenant-général Alméras et les honneurs rendus à sa dépouille mortelle. L’un de ses pères d’armes les plus distingués et son intime ami, M. le lieutenant-général Lamarque, vient d’adresser au Mémorial Bordelais la lettre suivante :
Monsieur le rédacteur,
Un militaire distingué vient de succomber dans vos murs et aucun discours ne s’est fait entendre sur sa tombe. Il y est descendu comme si aucun exploit n’avait marqué sa carrière ; comme s’il n’eut rendu aucun service à sa patrie, comme si sa perte n’était pas une perte pour l’Etat !
Permettez-moi de le venger d’un oubli qui ressemble à de l’ingratitude. Comme les héros d’Ossian, les braves qui ne vécurent que pour la gloire, attendent de leurs amis « la pierre de souvenir ». C’est un ami du général Alméras, c’est un de ses compagnons d’armes qui vient payer ce tribut à sa mémoire.
Dès le premier moment de la révolution, Alméras s’élança du foyer paternel pour défendre son pays. Né aux pieds des Alpes, c’est sur les Alpes qu’il livra ses premiers combats.
A la tête seulement de deux cents hommes, il est enveloppé, en 1794, par quinze cents Piémontais. C’était l’époque des miracles. Le jeune capitaine dispersa les quinze cents Piémontais et demeura maître du champs de bataille.
Plusieurs autres actions brillantes marquèrent le début de sa carrière et il devint adjudant général dans ces immortelles campagnes d’Italie, où tous les combattants se montraient des héros.
Quand, après la paix de Campo-formio, Bonaparte emmena en Orient l’élite des nos armées, Alméras fit partie de cette glorieuse expédition et il s’attacha à Klébert ?
Il semble qu’il ne pouvait avoir aucune analogie entre ce « Kléber », qui au milieu de nos bataillons « levait sa tête comme un drapeau », et Alméras, à qui la nature avait à peine donné les cinq pieds un pouce d’un voltigeur ; mais l’energie ne se mesure pas à la taille. Leurs âmes avaient la même hauteur.
Le petit Alméras tenait tête au grand Klébert, il ne lui cédait jamais quand il croyait avoir raison, et plus d’une fois, l’Etat-Major fut témoin de discussions qui, dans une circonstance moins douloureuse, pourraient amuser vos lecteurs. Tout ce qui approchait Klébert était grave comme lui.
Alméras se distingua à l’assaut d’Alexandrie, à Aboukir, à Boulac, où il fut grièvement blessé, à cette fameuse bataille d’Héliopolis, où cent mille Osmanlis furent dispersés par moins de dix mille français. On évacua l’Egypte.
Le chef du gouvernement, qui croyait avoir des raisons de se plaindre de Klébert, laissa pendant quatre ans Alméras commandant de l’île d’Elbe, de cette île où il ne prévoyait pas alors qu’il vint pour chercher un asile.
L’empereur ne brisait jamais les instruments de sa gloire ; seulement il les mettait quelquefois « sous la remise » (c’est son expression ). En 1809, Alméras quitta le commandement de l’île d’Elbe, pour venir commander une brigade dans l’armée d’Italie. C’est alors qu’il fut attaché à la brave division qui marchait sous mes ordres ; c’est alors que l’estime et l’amitié nous réunirent d’un lien que la mort n’a pu rompre. Franc, loyal, exécutant ponctuellement les ordres, Alméras se faisait aimé de ses chefs et de ses subordonnés. Son humeur tour à tour morose et gaie, ses … brusques et piquantes rompaient la monotonie des bivouacs et amenaient la joie sur le champ de bataille.
Lettres patentes du titre de baron
Au combat de Villamova, sur les bords de cet … jadis témoin des sanglantes journées d’Arcole, il eut deux chevaux tués sous lui. Embarrassé dans ses étriers, il nous faisait rire par ses efforts et le désordre de sa toilette.
« Ah ! mon prince, cela vous amuse, dit-il au vice-roi ; Ah ! bien cela m’ennuie beaucoup ! ».
Il se distingua sur les nombreux combats qui nous amenèrent des bords de l’Adige sur les bords du Danube, aux batailles de Piave, d’Enzensdorfs, de Wagram, où il reçut une blessure grave. A peine guéri, il courut escalader les rochers du Tyrol, où une insurrection venait d’éclater.
La guerre succédait à la guerre. Comme la Briarée de la fable, la redoutable France, avec ses cents bras frappait à la fois au nord et au midi. Celui qui naguère foulait les sables d’Afrique, qui avait longtemps bivaqué sur les bords du Nil, alla combattre dans les contrées .. du pâle, et traverser les gloires du Boristhène et de la Bérésina.
Alméras cueillit de nouveaux lauriers dans cette campagne qui laissera de longs souvenirs. C’est lui qui commandait la brigade qui attaqua la seconde fois la fameuse … de Borodino, où tant de sang fut répandu, où périrent Caulaincourt et l’intrépide Montbrun. Il y fut grièvement blessé, et l’Empereur l’éleva enfin au grade de général de division qu’il avait mérité par tant de travaux, conquis par tant de services.
Armoiries du baron Louis Alméras
Fait prisonnier dans la retraite, confiné dans un village voisin de la Crimée, il ne prit point part aux funestes campagnes qui amenèrent nos ennemis dans le sein de notre patrie ; son cœur éminemment français n’en éprouva pas moins toutes les émotions. Il ne pouvait lire que les bulletins des alliés, mais il étudiait les figures des seigneurs russes qui exerçaient envers les prisonniers la plus généreuse hospitalité, et plus d’une fois il espéra que la victoire briserait ses fers.
C’est à la restauration qu’il dut de revoir sa patrie. Il avait besoin de repos, il rentra au sein de ses foyers domestiques qu’il n’avait pas revus depuis son enfance. Il y passa les jours d’orage de 1815, de 1816, et dut à monseigneur le Dauphin, qui l’accueillit à Lyon avec une extrême bonté, d’être remis en activité. Le général Alméras voulait le suivre en Espagne mais le prince lui confia le commandement alors si important de Bordeaux, de Bordeaux qui devait habiter l’objet de ses plus … affections.
Personne n’était moins courtisan que le commandant de la 11ème division ; mais sans âpreté, sa rudesse, cachaient un esprit fin et cultivé, une érudition vaste et profonde, un cœur plein de sentiments nobles et généreux. Ces belles qualités se faisaient jour à travers l’écorce épaisse qui les dérobait aux yeux du vulgaire.
Une fois, devant son Altesse Royale, il s’emportait avec véhémence contre un fonctionnaire civil qui se faisait l’écho d’accusations calomnieuses contre un des frères d’armes : « c’est bien général », furent sa récompense.
Le général Alméras s’était beaucoup attaché à Bordeaux. Il voyait avec joie les embellissements de cette cité ; il aimait le caractère indépendant de ses habitants, et se plaisait à leur rendre justice auprès de l’autorité suprême. S’il se montrait quelquefois difficile, exigent, méticuleux, ce n’était que lorsqu’il s’agissait … de son rang ; car dans les relations privées personne n’était plus simple que lui. Il est mort jeune encore ; c’est le 23ème lieutenant général que perd la France dans le courant d’une année ! La guerre nous était moins funeste que la paix. Bientôt il ne restera plus de cette génération de braves qui conservèrent l’intégrité de notre belle France, qui vainquirent l’Europe et étonnèrent le monde. Puisse leur mémoire leur survivre et leurs exemples ne pas être perdu.
J’ai l’honneur, M. le rédacteur, de vous saluer avec la plus parfaite considération.
Le lieutenant Max Lamarque,
Saint-Sever, la 14 janvier 1828.
Saint-Sever, la 14 janvier 1828.
Source : le moniteur universel, n°21, lundi 21 janvier 1828, p 83 et 84, lettre du lieutenant-général Lamarque.
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