samedi 24 avril 2010

Lettre n°1 de Jean I Hordal à Charles du Lys, 1609


Lettre de Jean Hordal à Charles du Lys, du 19 juillet 1609.

Monsieur,

Je me réputerois trop mesconnoissant et peu mémoratif de la bonne affection dont il vous plaist m’honorer, si, ayant receu vos lettres avec plusieurs mémoires singuliers concernant l’histoire de la vertueuse Pucelle d’Orléans, notre bonne parente, je retardois à correspondre à vostre amytié, vous priant de croire que les ay receu de bon coeur et m’ont esté d’autant plus aggréables que par iceulx ay cogneu qu’aviez receu quelque contentement de ce que vous avois escry. Quant au nom de l’imprimeur d’Orléans que désirés sçavoir touchant le livre contenant la justification de la dicte Pucelle, c’est Eloy Gibier, imprimeur juré de l’université d’Orléans, et le titre du livre est : Joannœ Darciae obsidionis Aurelianae liberatricis res gestae, imago et judicium, 1583. II y a un autre livre plus ample, imprimé au dict Orléans chez Olyvier Boynard et Jean Nion, libraires, demeurant au Cloistre de Sainte-Croix, 1606, le titre duquel est : l’Histoire et discours au vray du siège, qui fut mis devant la ville d'Orléans par les Anglois, etc., et à la fin se trouvent le jugement et la justification de la dicte Pucelle. J’ay tous les livres et autheurs suscités avec plusieurs autres, exceptée l’histoire en françois de Monsieur Trippault, Conseiller d’Orléans, imprimée l’an 1576, que tascheray d’avoir avec le temps, et si Dieu me fait la grace de vivre encore quelques années et ayant plus de loysir que n’ay à présent, je pourray faire paroistre de la curieuse recherche qu’ay faicte touchant la vérité de l’histoire de la vertueuse Pucelle.

Quant au doute que faictes de la fille de Pierre nommée Hauvy qui espousa Estienne Hordal (que Dieu absolve), duquel suis descendu, c’est chose du tout vérifiée par le tesmoignage de ceux qui l'ont veue, il y a proche de 8o ans, aynsi qu’ils l'ont déposé après avoir presté le serment en tel cas requis. Et quand il n’y auroit que le tesmoignage de Monsieur le grand doyen de Toul, encor vivant, qui est irréfragable et omni exceptione majus, je ne pourrois estre induict à croire le contraire, iceluy disant et assurant se souvenir très-bien de la dicte Hauvy, son ayeulle pour avoir esté porté par elle entre ses bras souventefois, et avoir receu d’elle plusieurs pièces d’argent, et qu’elle estoit fille de Pierre, troisième frère de la dicte Pucelle, et par conséquent sa niepce, ce que feu Monsieur le grand doyen et mon ayeul, son frère, et fils de la dicte Hauvy, ont tousjours maintenu avec plusieurs autres. Et ne sert de dire que la dicte Pucelle ayant eu une soeur que la dicte Hauvy la pourrait avoir esté, car il s’ensuyvroit que ceux qui ont assuré et déposé avoir veu la dicte Hauvy se seraient trompés et abusés, et auroient soustenu chose fauce, ce qui ne peut estre (soub corrections). Et faire se pouroit que la déposition du comte de Dunois se devroit entendre de la femme de quelques-uns des frères de la dicte Pucelle, laquelle, parlant d’une soeur, entendoit parler d’une belle-soeur et femme d’un de ses frères. Car il ne se lit ailleurs la dicte Pucelle avoir eu une soeur germaine.

Quant à l’arbre de généalogie qu’avois dressé, je le trouve fort pertinent et me persuade du tout, le dict Pierre, après avoir eu Hauvy de sa première femme espousée en Lorraine, elle estant morte, avoir eu en France convolé en secondes nopces, et avoir par grâce et concession du Roy pris le surnom du Lis, considéré qu’il portait le lis en ses armes, et que de ce second mariage Messieurs du Lis sont descendus : et de cest advis sont plusieurs qui ont cognoissance de la dicte histoire. Quant à Jean, prévost de Vaucouleurs, je suis à present du mesme advis que vous, suyvant les authorités contenues en vos mémoires et par autrefois ay esté de mesme, et ce néantmoins quelque personnage d’authorité et digne de foy m’en avoit faict croire le contraire. Ainsy il n’y aura eu que Jacquemin et Pierre qui aient faict leur résidence en France.

Au surplus, quelqu’un de mes amys m’a envoyé depuis peu un livre intitulé : Puellae Aureliensis causa adversariis orationibus disceptata, authore Jacobo Jolio : Pansus, apud Julianum Bertaut, in monte divi Hilarii prope collegium de la Mercy, 1609. Lequel livre m'a merveilleusement despleu, attendu les impostures, faucetés et calomnies que l'on objecte à nostre bonne et saincte parente, et déclamations faictes au collège de Navarre contenues au dict livre, joincte la sentence qui est en ces mots : Video placere senatui ut publice in hac civitate ultimo supplicio puniatur et viva flammis ultric ibus absumatur. Je m’estonne grandement qu’en France et en une ville si célèbre et fameuse et remplie de doctes personnages et bons François, qu’on tolère que publiquement déclamations se fassent contre l'honneur de la France, du Roy Charles et de son conseil, et contre la réputation d’une saincte fille envoyée de Dieu pour délivrer la France de la tyrannie des Anglois, comme tesmoignent infinis auteurs, et entre autres Guydopap, in decisionibus senatus gratianopolitani, in dec. 84. C’est en cela un grand déshonneur des Francois approuver et ratifier (au lieu de détester et execrer) l’injustice des Anglois qui en ont esté punis divinement (prout exitus acta proba vit), pour avoir esté chassés et exterminés de la France avec leur confusion et grand préjudice de leurs biens et perte de leurs fauteurs, adhérents et satellites. C’est aussy en cela soustenir les anciens ennemis de la France perfides et desloyaux, comme il appert par ces deux versets que Philippe de Valois composa en taxant Edouard, Roy d’Angleterre, qui, contre sa foy et promesse, avoit assailly et invadé le Royaume de France.

Anglicus angelus est cui nunquam credere fas est :
Dum tibi dicit ave, sicut ab hoste cave.

Quod si Anglici vocantur angeli, il faut dire que c’est par antiphrase, quod minime sunt angeli, quod si sint angeli, oportet intelligere esse infernates et diabolicos et eos minime amabiles Deo. Comme il est dict au canon : Si gens Anglorum, 56 dist. Lequel canon faict grandement contre les Anglois, les taxant de plusieurs abominations.

Communément aussy la trahyson leur est objectée, tesmoing le poëte Bellay, et comme ordinairement l’on dict en France :

Recipe, si vous le trouvés,
Deux Bourguignons de conscience,
Deux Périgordins de science
(N.B.) Et, sans trahisons, deux Anglois, etc.

Voylà pourquoy il ne s'y faut pas fier, veu mesmement qu’ils ont une queue sur le derière (sauf vostre honneur), comme l’on tient assurément, et quidem credere animali bisforato est committere se diabolo, comme disoit un ancien, ita et homini bis caudato. Et si en bonne compagnie j’ay ouy objecter aux Anglois que Judas, le prototipe des traistres, estoit Anglois, et que les Anglois représentoient les traistres et desloyaux et injustes, comme ils monstrèrent en la sentence de nostre divine Pucelle, laquelle ils condamnèrent au feu contre toute équité divine et humaine, et contre le droit des gens, sans vouloir déférer à l’appel interjecté par ladicte Pucelle à Sa Saincteté. En quoy ils se sont montrés pires que les payens : Juxta illud ad Caesarem appellasti, ad Caesarem ibis : actor. cap. 25. Et quant à la sentence de mort si cruelle, et contre une prisonnière de guerre, la plus excellente amazone, la plus illustre fille qui ayt esté et qui sera jamais sans évident miracle, les payens aussy se sont monstrés autant pitoyables et gratieux que les Anglois détestables et inhumains, veu que les payens pardonnoient aux femmes dignes de peine, teste Tira quello in tractatu de Paenis, causa 9 ; quo pertinet illud Virgilii, 2 AEneidos

….. nullum memorabile nom en
Faeminea in paena est, nec habet victoria laudem.

Et que les Anglois avec toute injustice et cruauté ont fait mourir une vierge innocente, la vie de la quelle a esté miraculeuse, et tous ses faicts miraculeux, et qui a esté choisie de Dieu pour le restablissement et confirmation du Royaume de France, de la quelle on chante ces beaux versés p rins d’un poëte nommé Humbertus Moremontana, qui a descry la vie de la glorieuse Pucelle d’Orléans en 7 beaux livres intitulés Bellorum Britannicorum, et au livre 6 lui donne ces titres :

Virgo pudiciciae specimen gratissima mundo,
Grata polo, quam blanda Venus mollisque Cupido
Flectere non potuit.


Nous rapporte F. Crespet, célestin de Paris, au livre intitulé le Jardin de playsir et recréation spirituelle, parlant de la virginité, fol. 498 :

« Pour mon resgard j’ay ceste foy et confiance qu’elle s’eslevera au jour du jugement contre ses juges mesmes et leurs partisants et contre les mesdisants et calumniateurs de sa vie qui, à vray dire, a esté irrepréhensible selon la plus saine opinion de tous ceux qui en ont escry, pour les faire punir esternellement de leurs injustices, calumnies, faucetés et tyrannie. Comme aussy je m’assure qu’elle assistera en la vie et en la mort ceux qui l’honorent et qui désirent estre assurés de ses intercessions. »

En après, l’autheur des dictes déclamations et les acteurs mesmes répugnent diamétralement au St-Siége apostolique, contredisant à la sentence des delegués d’icelle par laquelle est dict : que le tout meurement consideré et comme il appartenoit que la sentence de condamnation donnée contre la dicte Pucelle est desclarée abusive et tortionnaire par sages et droicturiers juges, 1456, le de juillet, et que la présente sentence sera notifiée aux villes et lieux plus notables du royaume de France ; en quoy les dicts autheurs et acteurs sont repréhensibles, ne se monstrant fils obéissants du Saint-Siége, comme ils disoient, ny recognoissants des biens et services que la dicte Pucelle a faits à la France, sans le ministère de laquelle ils seroient à présent peutestre Anglois, non François. Et bien que le dit autheur promette une apologie, si ne devoit-il mettre en lumière les fauces raysons et injuste condamnation des Anglois qu’il n’apportât l’entière justification de la dicte Pucelle. Vous excuserés, s’il vous plaist, l’honneste liberté dont j’use en vous escrivant de la dicte histoire, pour le soustenement de la verité et pour l’intérest que nous y avons, y estant porté d’affection et poussé de zèle, comme il appartient à un bon et entier parent.....

Si à l’advenir je peux descouvrir autre chose, ne faudray à vous en advertir, attendant que quelque bonne commodité se présente pour vous aller visiter, pour de bouche vous faire offre des services que par lettres vous voue, m’estimant heureux et grandement honoré de votre cognoissance, amytié et alliance, à rayson des quelles vous chériray et honoreray à jamais et tous ceux qui vous appartiendront. Que si estiez d’avis que Monsieur vostre fils vienne estudier en droict en nostre université, où sans doute il y pourroit plus profiter qu’en plusieurs autres, moyennant qu’il suyve les bons conseils qu’on luy despartiroit, je m’asseure qu’en auriés contentement, et àceste occasion vous fais offre de tous les bons offices que pourriés souhaiter de moy, et d’aussy bon coeur qu’après vous avoir baizé les mains bien humblement et à mademoizelle vostre femme, et à ceux qui vous appartiennent, je prierai Dieu,
Monsieur, vous octroyer ce que sçavés trop mieux desirer.

Vostre très humble et très assuré serviteur et parent,

Hordal.
De notre maison de Pont-à-Mousson, ce 19 de juillet 1609.

P.S. : Monsieur, je vous envoye et à Monsieur vostre fils, qui a parachevé ses estudes en philosophie comme j’ay entendu, deux copies des thèses que mon fils aisné a dédiées à Monsieur nostre Evesque, son parrain, et qu’il soustint publiquement avant-hier à son honneur et au contentement de ceux qui l’ont ouy, en une très belle assemblée, dont je loue Dieu. Je desire d’en faire un jurisconsulte, mais il a plus d’inclination à la théologie ou à la médecine. Je tascheray, Dieu aydant, de le rendre capable, et trois frères qu’il a, de vous faire service et à tous les vostres.

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