Biographie de Guillaume d'Alméras, par Marcel SOULIER
Vouloir évoquer en quelques pages la vie et la carrière, que tous les historiens ignorent et que la Marine elle-même paraît avoir oublié, constitue une gageure. Un court mémoire manuscrit anonyme conservé à la Société Archéologique de Montpellier, une brève allusion dans "l'histoire de Montpellier" de d'Aigrefeuille, une notice dans le dictionnaire de biographie française et des mentions éparses dans quelques ouvrages d'histoire maritime ne suffisent pas à étayer une telle entreprise. Les documents d'archives, eux-même trop fragmentaires ou parfois inaccessibles, n'y contribuent que médiocrement. Aussi est ce avec le sentiment de n'avoir réalisé qu'une première ébauche, très imparfaite et susceptible de bien des corrections, que nous voudrions dédier cette étude à M. Fabre qui en avait encouragé la genèse et suivi les premiers développements.
Auguste JAL, le biographe de DUQUESNE, fait de Guillaume d'Alméras, un fils de Simon, Viguier de Bagnols. Or, dans son dernier testament daté du 12 janvier 1676, le lieutenant-général fait allusion à Antoine, son frère aîné, et ce simple fait permet d'identifier ses ascendants immédiats :
Guillaume d'Alméras est un des fils de Jacques d'Alméras, né à Bagnols, ancien receveur général des gabelles de Languedoc au département de Narbonne. Pourvu par lettres royales du 2 janvier 1622 de l'un des trois nouveaux offices de Conseiller aux aides créées à Montpellier par l'Edit de novembre 1621. Sa mère est Lucrèce du PONT de GOUT, sans doute une sœur de cet Antoine dont les "mémoires" d'André DELORS rapportent le décès accidentel consécutif à une chute de cheval, alors qu'il était premier Consul de Montpellier. Le couple avait d'abord eu un fils, Simon, ondoyé catholique le 30 août 1614 et vraisemblablement mort jeune puis deux jumeaux, Simon et Antoine, ondoyés catholiques le 16 mai 1616 et baptisés le 29 juin de la même année à Notre-Dame des Tables, dont seul le second est relativement bien connu. Le 24 décembre 1618 naît un autre fils, François, baptisé le 27 du même mois, également à Notre-Dame. Malheureusement, les registres paroissiaux n'ont conservé aucune trace de Guillaume. Il est, pour le moment, impossible de savoir si le futur lieutenant-général est né à Montpellier entre Antoine et François, donc en 1617 ou postérieurement à ce dernier vers la fin de 1619 ou le début de 1620. Mais il se peut aussi que, durant cette période troublée qui correspond au siège de Montpellier, sa mère, imitant en cela de nombreux catholiques ait instantanément quitté la ville avec ses enfants pour mettre Guillaume au monde dans une localité du voisinage tandis que son mari était emprisonné pendant quelques temps.
Guillaume d'Alméras est un des fils de Jacques d'Alméras, né à Bagnols, ancien receveur général des gabelles de Languedoc au département de Narbonne. Pourvu par lettres royales du 2 janvier 1622 de l'un des trois nouveaux offices de Conseiller aux aides créées à Montpellier par l'Edit de novembre 1621. Sa mère est Lucrèce du PONT de GOUT, sans doute une sœur de cet Antoine dont les "mémoires" d'André DELORS rapportent le décès accidentel consécutif à une chute de cheval, alors qu'il était premier Consul de Montpellier. Le couple avait d'abord eu un fils, Simon, ondoyé catholique le 30 août 1614 et vraisemblablement mort jeune puis deux jumeaux, Simon et Antoine, ondoyés catholiques le 16 mai 1616 et baptisés le 29 juin de la même année à Notre-Dame des Tables, dont seul le second est relativement bien connu. Le 24 décembre 1618 naît un autre fils, François, baptisé le 27 du même mois, également à Notre-Dame. Malheureusement, les registres paroissiaux n'ont conservé aucune trace de Guillaume. Il est, pour le moment, impossible de savoir si le futur lieutenant-général est né à Montpellier entre Antoine et François, donc en 1617 ou postérieurement à ce dernier vers la fin de 1619 ou le début de 1620. Mais il se peut aussi que, durant cette période troublée qui correspond au siège de Montpellier, sa mère, imitant en cela de nombreux catholiques ait instantanément quitté la ville avec ses enfants pour mettre Guillaume au monde dans une localité du voisinage tandis que son mari était emprisonné pendant quelques temps.
Buste d'Abraham Duquesne
Le mystère qui entoure la naissance de Guillaume d'Alméras se prolonge sur son enfance : une seule certitude, il a fait ses études au collège de Montpellier. On le voit, en effet, figurer avec ses frères parmi les acteurs d'une représentation théâtrale donnée par les élèves de cet établissement le 11 novembre 1626. Notons au passage que les trois frères Alméras sont qualifiés de "Montpellierains" et que l'ordre de leur présentation : Antoine, Guillaume, François, si elle a une valeur chronologique, semble confirmer l'antériorité de Guillaume sur François.
En 1637, selon ses propres dires, il "entre au service du Roi". On peut supposer que c'est dans la Marine et qu'il prend part à la campagne des îles de Lérieu. Trois ans plus tard, en 1640, il est "capitaine dans la Marine".
Capitaine de vaisseau en 1645, il commande, lors de la campagne des Présides de Toscane en 1646, la "Madeleine", modeste bâtiment armé de 16 canons et portant 125 hommes d'équipage.
L'année suivante, il participe sous les ordres de Launoy-Rastilly à l'expédition des côtes de Naples. Il commande alors le "Cygne", armé de 22 canons et servit par une équipe de 250 hommes. Son rôle, au cours des divers accrochages avec les Napolitains, n'est pas resté dans les mémoires : on sait seulement que, le 5 janvier 1648, pendant une violente tempête, le "Cygne" s'ouvre de toutes parts et coule, heureusement sans dommages pour ses occupants.
En novembre de la même année, Guillaume d'Alméras est à Montpellier : le 4, il épouse à Notre-Dame-des-Tables, après qu'elle ait abjuré le protestantisme, Isabeau de CLAUZEL, fille de François et de Marthe de FONTANON.
Deux évènements marquaient pour lui l'année 1650 : alors qu'il monte un vaisseau de 16 canons, le "Dragon", servi par 250 hommes d'équipage, il s'empare d'un bâtiment espagnol chargé de munitions, et transportant, outre des dépêches importantes, le trésorier et le contrôleur général de l'armée ennemie. C'est peut-être en raison de cet exploit qu'un brevet de César de Vendôme, Chef et Surintendant général de la Navigation, le commissionne chef d'escadre.
Survient alors une éclipse de 10 ans, au cours de laquelle on ignore pratiquement tout de la vie d'Alméras. Une chose est sûre cependant : il a quitté la Marine durant la Fronde et a employé son argent à équiper un régiment de cavalerie de six compagnies qu'il commande en qualité de Maître de Camp.
En 1660, il a réintégré l'armée navale, et, à partir de cette date, il commandera en chef une escadre, même s'il ne figure pas en permanence sur les listes avec ce grade. Cette année là, il propose d'organiser avec Duquesne le blocus d'Alger, de Tunis et de Tripoli. Pourtant, c'est au commandant Paul que le Roi envoie une commission pour réprimer les exactions des Barbaresques en Méditerranée. Une escadre de 15 bâtiments, dont Alméras fait partie, arrive à Tripoli vers la mi-juillet, passe à La Goulette le 7 août, et reste une semaine devant Alger, du 31 août au 6 septembre, avant de regagner Toulon en raison du manque de vivres.
En 1662, Alméras commande le "Grand Chalin", sous les ordres de François de VENDÔME, Duc de Beaufort. Vers la mi-juin, ce dernier l'envoie à la Cour pour rendre compte de la campagne. Le 6 août, il est de retour à Toulon, porteur des ordres du Roi et des conseils oraux de Colbert aux officiers de l'escadre, et nanti d'une confortable indemnité de déplacement de 1300 livres. Dès son arrivée, il prépare activement, et en partie de ses deniers, l'armement d'une escadre de 3 vaisseaux qu'il doit commander avec mission de passer dans la Manche pour convoyer les navires marchands. Il peut enfin quitter Toulon le 20 janvier 1663 à bord du "Triomphe", 40 canons, 300 hommes d'équipage, accompagné du "Beaufort" et de "l'Infante". Après avoir battu vainement la Méditerranée pendant 3 mois et demi, il passe le détroit, arrive à Belle-Île le 6 juin, puis à La Rochelle fin août. Malgré cinquante jours de vents arrières, il parvient à conduire à Lisbonne un convoi de navires. Il se rend ensuite à Cadix pour ramener en France 8 bâtiments qu'il escorte jusqu'au Cap Finistère avant d'embarquer à La Rochelle, en janvier 1664, des troupes qu'il conduit à Lisbonne.
Portrait de François de Vendôme, duc de Beaufort
En mai 1666, Alméras est arrêté à La Rochelle : on l'accuse d'avoir conduit à Lisbonne une prise qu'il a faite au lieu de la conduire en France et, d'autre part, d'avoir amené sa cornette devant des navires anglais. Il sait aisément se justifier de la seconde accusation mais pas de la première, et passe donc quelques jours dans la tour où Colbert demande qu'il couche "étant important qu'on en use ainsi". En août ou septembre, après bien des péripéties, il prend possession d'un nouveau vaisseau, le "Charmant", de 60 canons et 450 hommes d'équipage, le second bâtiment, par ordre d'importance, après le "Vendôme" de Duquesne. Il le gardera 5 ans, faisant partie, avec lui, de l'escorte chargée de conduire à Lisbonne, en juillet 1666, la duchesse de Nemours mariée par procuration au Roi du Portugal, puis, participant à diverses missions de surveillance dans la Manche entre octobre 1666 et janvier 1668.
Le 10 janvier 1668, l'escadre d'Alméras, forte de 10 vaisseaux, deux brûlots et une galiote, arrive à Toulon avec pour mission de se préparer à reprendre la mer en avril. En fait, la campagne projetée n'aura pas lieu : à la tête de trois vaisseaux, Alméras quitte Toulon au cours du dernier trimestre pour se rendre à Constantinople et se mettre à la disposition de M. de la Haye, ambassadeur de France. Mais une violente tempête, qu'il subit à hauteur de Cythère, démâte deux de ses vaisseaux, l'obligeant à revenir sur ses pas et à relâcher à Malte pour réparer.
Il est difficile de suivre avec précision les faits et gestes d'Alméras en 1669 : le 16 juin, il est mouillé à Cythère, attendant un ambassadeur turc. Pourtant, il participe le 22 du même mois, personnellement ou par l'intermédiaire de son aide de camp, d'Amblimont, à une tentative infructueuse pour dégager Cadix assiégée par les Turcs. Au cours de l'opération, le chef de l'expédition française, Beaufort, est porté disparu. Au lieu de rentrer en France avec le reste de la flotte, Alméras se rend à Constantinople où, ayant reçu "toute sorte de courtoisie, de rafraîchissements et de bons traitements avec des passeports tout à fait honnêtes", il embarque comme passager M. AGA, l'envoyé extraordinaire que Mohammed IV dépêchait auprès de Louis XIV. L'ambassadeur turc débarque à Toulon avec une suite de 20 personnes le 4 août.
Au début de janvier 1670, une escadre commandée par le Marquis de Martel, et dont Alméras fait partie, bloque Tunis et Port-Farine pour exiger la libération des chrétiens prisonniers. Plutôt que d'obtempérer, le dey Hedj Chaban préfère incendier ses treize bâtiments. En juin, les escadres d'Alméras et de Valbelle sont désarmées. Alméras réside à Toulon, visite les chantiers navals et se lance dans une violente polémique avec Puget à propos de la lourdeur des sculptures dont ce dernier surcharge la poupe des vaisseaux. Le 14 octobre, à la demande de Colbert, il met sur pied un plan de campagne destiné à "interrompre le commerce des Etats du Grand Seigneur", puis il se rend une nouvelle fois à la Cour.
Alméras quitte Paris le 20 février 1671, passe par Rochefort où il ne reste que quelques jours, et regagne Toulon. Le 29 mai, à la tête d'une escadre de 17 bâtiments, il appareille à destination de Tripoli et de Port-Farine. Il monte alors le "Monarque" (90 canons, 600 hommes d'équipage), ancien vaisseau-amiral de Beaufort. En raison de l'importance de son escadre (10 vaisseaux, 2 frégates, etc…), le Roi lui a ordonné d'arborer le pavillon de contre-amiral. Colbert lui a recommandé de ne rien négliger pour que la campagne soit fructueuse : "je veux croire, les vivres et les équipages estant prêts, que vous aurez mis à la voile avant que cette lettre arrive à Toulon. Je ne laisse pas toutefois de la hasarder pour vous dire que je m'assure que, après tous les entretiens que nous avons eus ensemble, vous ferez quelques actions d'éclat et de réputation pour les forces maritimes du Roy, et que nous entendrons parler de vostre commandement de ses armées, qui sera une chose d'autant plus agréable à Sa Majesté qu'elle luy sera nouvelle. Je le souhaite pour sa satisfaction et votre intérêt particulier". Alméras mouille le 22 juin à Tunis où le commissaire de l'escadre passe les navires en revue. Malheureusement, l'expédition est un fiasco complet : parmi la division qu'Alméras envoie contre Tripoli, le "Lys" de La Fayette échappe de justesse à l'échouage; la division Preuilly d'Humières un brûlot et 25 hommes, malgré la bravoure de Tourville sur le "Duc". Le 28 août, Alméras reçoit l'ordre de détacher un de ses vaisseaux pour rapatrier l'ambassadeur de France à Constantinople.
La campagne de 1672 n'est guère plus positive : au début de l'année, il part sous les ordres du Marquis de Martel, lieutenant-général qui commande une escadre de 6 vaisseaux et un brûlot, afin de croiser le long des côtes de Barbarie et de renouveler les traités passés jadis avec le dey d'Alger. En juin, la flotte, grossie de 20 galères, se présente devant Port-Farine qui demande la paix. Les Tunisiens restituèrent tous les bâtiments dont ils s'étaient emparés et libèrent 350 esclaves. Après quoi, la France et la Hollande étant en guerre depuis le 7 avril, Alméras est détaché avec 5 vaisseaux et un brûlot pour tenter d'intercepter des vaisseaux hollandais qui évitent la rencontre. Il rallie alors la flotte de Martel et regagne Toulon, le 30 octobre, sans avoir pu atteindre 15 autres vaisseaux hollandais ancrés à Livourne.
Dans l'intervalle, le 15 août 1672, Guillaume d'Alméras avait perdu sa femme, Isabeau de CLAUZEL, inhumée le 16 au cimetière protestant de Montpellier et ayant donc repris la religion réformée.
Nouvelle campagne en 1673. Dans une lettre du 22 février, Colbert présente sa mission à Alméras : rejoindre le plus rapidement possible le Marquis de Martel et se mettre sous ses ordres pour attaquer 9 navires hollandais réfugiés à Cadix. A la tête d'une escadre forte de 6 unités, monté lui-même sur le "Saint-Esprit", de 70 canons, qui deviendra par la suite le vaisseau de prédilection de Duquesne, Alméras quitte Toulon, mais des vents contraires le retardent considérablement. En arrivant à la barre de Cadix, le 3 mai, il constate que Martel ne l'a pas attendu et que les navires hollandais ont disparu. Renforcé de 3 nouveaux vaisseaux, il croise alors vainement le long des côtes espagnoles, puis se rend à Tunis, en septembre, pour obliger le pacha à respecter les traités. Mais il arrive en pleine guerre civile entre le bey de Constantine et le dey d'Alger et doit faire demi-tour, sans avoir rempli sa mission, en rapatriant à son bord le consul de France.
En dépit de ces échecs répétés, le 12 décembre, Louis XIV fait Guillaume d'Alméras lieutenant-général des armées navales, créant même pour lui une troisième charge. L'intention de Colbert était de lui confier un escadre de 8 bâtiment pour surveiller le détroit pendant l'hiver, jusqu'à la fin de janvier, mais Seignelay, dans une lettre du 15 décembre, que le nouveau promu avait sollicité un congé : "puisque vos affaires particulières ne vous permettent pas de retourner à présent à la mer, il est impératif que vous vous appliquiez à faire partir les 4 vaisseaux que le sieur de G. doit aller commander pour aller occuper le détroit où il n'y a pas de vaisseaux du Roi".
Alméras met son congé à profit pour se rendre à Montpellier. Il y eut, en tout cas, le 27 février 1674, jour où par acte passé devant M. Durranc, notaire royal, il légua 1036 livres aux pauvres de la Charité. Il profite également de la circonstance pour se faire attribuer la seigneurie de Mireval, qui deviendra effectivement sienne le 1er décembre, et celle de Saint-Georges-de-Juvignac qui lui appartiendra le 30 mai 1675. Il envisage même un nouveau voyage à la Cour quand, le 25 avril, Colbert lui enjoint de veiller à la défense de Rochefort où l'on craint un débarquement hollandais. Il précisera même ses instructions dans une nouvelle lettre, le 11 juin.
Cependant, l'année 1674 fut surtout marquée par la révolte de Messine contre les espagnols et une première intervention menée par Valbelle, le 27 septembre. Le 29 octobre, Vivonne est désigné pour commander 12 vaisseaux à destination de la Sicile : le Roi lui laisse le choix, pour commander en second, entre Duquesne et Alméras. Vivonne choisit Duquesne.
Alméras qui, initialement, devait conduire à Messine, avec le pavillon de contre-amiral, un renfort de 3 vaisseaux, 24 galères et un convoi de vivres, ne part finalement que le 13 juin, emmenant seulement 6 vaisseaux et 3 brûlots. Il arrive en Sicile le 4 juillet et participe, à la tête du bataillon d'infanterie des vaisseaux, à l'attaque terrestre de la tour d'Avalon. En septembre 1675, Vivonne renvoie en France tous ses navires de guerre à l'exception des dix plus petits vaisseaux, placés sous le commandement du "Lys". Avec cet effectif réduit, Alméras tente vainement, le 22 octobre, de provoquer en combat une escadre espagnole, forte de 13 vaisseaux, qu'il poursuit jusqu'à Mélazzo, le long de la côte septentrionale de la Sicile. Entre le 8 et le 10 novembre, il escorte, avec une division, un convoi français de cavalerie et d'infanterie d'Agosta à Messine.
Mais un ennemi autrement plus redoutable que la flotte espagnole fait son entrée en Méditerranée en la personne de l'amiral hollandais Ruyter. Le premier combat naval opposant la Hollande à la France se déroule le 8 janvier 1676 : Ruyter patrouillait depuis quelques jours à l'entrée du détroit de Messine pour en interdire l'entrée à l'escadre de Duquesne, parti des Iles le 17 décembre 1675, avec 20 vaisseaux et 8 brûlots. La rencontre se produit au large d'Alicudi, la plus occidentale des îles Lipari. L'avant-garde française malmène l'avant-garde hollandaise quand, au bruit du canon, Alméras franchit le Phare avec ses dix vaisseaux et réussit sa jonction avec Duquesne, obligeant Ruyter à battre en retraite. Cette sortie difficile lui vaut une lettre de félicitation de Seignelay.
La seconde rencontre se produisit le 22 avril, au large d'Agosta. Il existe une dizaine de narrations différentes de ce combat qui mériterait, à lui seul, une étude particulière. La flotte française, forte de 30 vaisseaux, quelques brûlots et peut-être 2 frégates, se trouve opposée à une flotte hispano-hollandaise de 29 ou 31 vaisseaux, 6 brûlots, 9 galères et 1 galiote. Alméras, sur le "Lys", commande les 10 vaisseaux et les 3 brûlots de l'avant-garde. Conformément aux ordres de Duquesne, qui dirige le corps de bataille, il force la voile, s'éloignant ainsi du reste de la flotte française. Ver 15 heures, Ruyter, qui commande l'avant-garde hollandaise, composée de gros vaisseaux, 3 galères et 2 brûlots, de l'armée ennemie, fond à toutes voiles, ayant le vent pour lui, sur l'avant-garde française, "dans le dessein de la faire plier". Les deux escadres combattent à portée de mousquet : Cogolin, sur le "Fidèle", bâtiment de tête français, est grièvement blessé; sur le "Vermandois", troisième vaisseau de la ligne, Tambonneau est tué. Le "Pompeux" de Valbelle et le "Lys" d'Alméras se trouvent directement opposés à Ruyter et à ses deux matelots : les adversaires "se font mutuellement l'honneur d'une canonnade intense" pendant plus d'une heure, canonnade au cours de laquelle un boulet emporte le lieutenant-général français et met le "Lys" en difficulté. Mais Ruyter ne profite pas de cet avantage, ni du répit que lui accorde Duquesne avant d'intervenir. On apprendra par la suite qu'il avait été grièvement blessé par une bordée tirée sans doute du "Magnifique". Sans insister, Hollandais et Espagnols virent de bord pour rallier Syracuse.
La bataille d'Agosta
La victoire reste donc à la France, mais le bilan est lourd : plus de 400 tués ou blessé sur les navires de Louis XIV, dont, parmi les morts, trois officiers : Alméras, Tambonneau et de Cou, un enseigne et 3 volontaires. Un manuscrit, conservé à la bibliothèque nationale, relate ainsi les obsèques du lieutenant-général : "les vaisseaux rapportèrent le corps du Sr Alméras qui fut extrêmement regretté de ceux qui le connaissaient. Le duc de Vivonne ordonna qu'on lui fît un enterrement qui devait, par sa magnificence, témoigner de la douleur que l'on sentait de sa perte. Il fit descendre toute l'infanterie des vaisseaux que l'on fit mettre en bataille sur le chemin de Saint-François-de-Paule, qui était le lieu choisi pour sa sépulture. L'église était toute tendue de noir et tous les officiers et de mer et de terre suivirent le duc qui honora le convoi de sa présence. Quatre capitaines de vaisseau portaient les coins du drap mortuaire. Toute l'infanterie fit une salve et le vaisseau qu'il commandait tira incessamment des coups de canon".
Ruyter, quant à lui, le pied gauche arraché par un boulet et la cheville droite bisée, meurt le 29 avril, sept jours après le combat d'Agosta et Duquesne accorde à son navire un sauf-conduit général pour ramener en Hollande le corps du grand amiral.
Mais qui était donc ce Guillaume d'Alméras qui vient de disparaître ? En fait, il est très difficile de cerner sa personnalité, les témoignages de ces contemporains, trop rares et peut-être tendancieux, ne donnent que l'image inconsistante et floue d'un homme dont on ne connaît, par ailleurs, aucun portrait.
Une chose frappe, cependant : il appartient bien à cette caste des officiers de Marine du XVIIème siècle, jaloux de leur rang et de leurs prérogatives, soucieux de leur avancement, ambitieux et prêts à tout pour réussir. J. Dinfreville les appellent joliment "les marquis de la mer", et comme pour confirmer ce surnom, Guillaume d'Alméras, dès février 1674, se fait donner du "marquis de Mirevaux", ayant acquis la médiocre seigneurie de Mireval, près de Montpellier, comme engagiste du Roi, avec simplement droit de justice et quelques modestes censives. A plusieurs reprises, et notamment en 1664 et 1666, Louis XIV dut intervenir personnellement dans des contestations survenues entre Alméras et d'autres officiers au sujet de leur rang respectif dans l'armée navale. Alméras n'hésita pas "à donner des coups de coudes" à ses collègues pour se mettre en avant, ni à se rendre à la Cour pour plaider sa propre cause. Son camarade Forbin ne disait -il pas : "il est des circonstances où il faut se plaindre à la Cour, et même un peu plus haut, sans quoi on ne fait pas son chemin". Il chercha toujours, quitte à ne se voir confier que des missions secondaires, à commander en chef, sollicitant, par exemple, par une lettre du 1er juin 1666, l'autorisation de se mettre à la tête de 3 vaisseaux et quelques brûlots qui étaient à La Rochelle pour sillonner la Manche au lieu de convoyer la future Reine du Portugal. L'autorisation lui fut refusée et il dut, la rage au cœur, faire partie de l'escorte avec le troisième rang. En Sicile, au cours de l'hiver 1675-1676, c'est lui qui demande le commandement de l'escadre des dix petits vaisseaux restants que Vivonne voulait confier à un autre : ainsi, il n'était pas obligé de rentrer en France sous les ordres de Duquesne. C'est sans doute la même raison qui, en juin 1675, lui avait fait retarder volontairement son départ pour Messine malgré le mécontentement de Colbert qui ne mâche pas ses mots : "la part que je prends à tout ce qui vous regarde me fait souhaiter que vous soyez parti en même temps que M. du Quesne, parce que si votre départ estoit retardé, il serait difficile que le Roy put en attribuer la cause à autre raison qu'à l'envie que vous avez eu de changer le "Magnifique" pour le "Lys" quoyque vous sachiez bien que ce changement vous mettait dans l'impossibilité de partir avec luy". Alméras, semble-t-il, était coutumier du fait et Colbert le connaissait bien : "et surtout que l'obéissance à M. de Martel ne vous fasse pas retarder" lui écrivait il déjà en 1673 en lui donnant ses instructions.
Un autre aspect du caractère d'Alméras mérite de retenir l'attention : Valbelle, à plusieurs reprises, loue son courage, écrivant notamment après sa jonction avec Duquesne au large d'Alicudi, le 10 janvier 1676 : "M. d'Alméras a donné beaucoup à la fortune. Il est glorieux et a osé, avec 10 vaisseaux, venir du Phare sans savoir le succès de notre combat". Et après le combat d'Agosta : "croyez, s'il vous plait, que le feu M. d'Alméras, a eu l'honneur de préparer une victoire glorieuse". Mais il convient de préciser que Valbelle était un ami personnel du lieutenant-général qui lui confia d'ailleurs son dernier testament. Pourtant, son indécision lui valait quelques critiques de la part de Vivonne et Seignelay. Accordons lui le bénéfice du doute : pour réussir dans la Marine, il fallait incontestablement du courage et la mort d'Alméras prouve bien qu'il n'en manquait pas. Saint-Hilaire en témoigne dans ses mémoires : "il était fort galant homme et fort estimé".
Il reste à expliquer, pour conclure, comment ce descendant de modestes magistrats, ce Languedocien qu'aucun atavisme ne destinait à une carrière navale, a pu se hisser au troisième rang de la hiérarchie maritime de son temps. Ses capacités professionnelles paraissent indiscutables : Colbert y fait allusion à plusieurs reprises, le considérant comme "l'un des plus expérimentés chefs d'escadre de la Marine". Mais son habileté, d'ailleurs démentie quelquefois par les faits et en particulier lors de sa poursuite de l'escadre espagnole devant Mélazzo en octobre 1675, ne suffit pas pour justifier la faveur constante qui l'a accompagné durant toute son existence et qui lui a permis de voir tourner à son avantage sa polémique avec le sculpteur Puget. Guillaume d'Alméras a eu un protecteur influant auprès du Roi. Etait-ce Fouquet comme certains l'ont insinué ? ou bien la famille de Vendôme ? A moins qu'il ne s'agisse de Colbert lui-même qui s'en défend : "vous me dites que vous êtes ma créature. Il n'y a qu'un créateur dans le ciel qui est Dieu et un créateur dans l'Etat qui est le Roy, lequel élève et récompense ceux qui ont l'honneur de le servir suivant leur mérite et leur application". Rien pour l'instant ne permet de dévoiler ce mystère, un de plus à ajouter à tous ceux qui entourent l'existence de Guillaume d'Alméras dont d'Aigrefeuille a pu dire : "la perte de cet officier général qui, de tous ceux de Montpellier, s'était le plus avancé dans le service de la mer, fut un grand sujet d'affliction pour sa famille et pour tous ceux qui s'intéressaient à l'honneur de leur patrie".
Source : Guillaume d’Alméras, lieutenant-général des armées navales de Louis XIV, par M.Soulier, dans « Hommage à Jacques Fabre de Morlhon », Albi, imp. O.S.J. 1978.
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