vendredi 31 octobre 2014

Casimir FAURE, avocat dauphinois du 19ème siècle et ami de BERLIOZ

François Hyacinthe "Casimir" FAURE naquit le mercredi 6 novembre 1799 à Grenoble. Il était le fils de Joseph II FAURE dit DE BRESSIEUX, homme de loi, député de l'Isère, conseiller à la Cour de Grenoble, et de Catherine Brigitte Emilie ROLLAND.


Casimir FAURE fut avocat et procureur du roi. Il fut l'ami d'enfance du célèbre compositeur BERLIOZ.

Il s'unit avec Abeline Delphine FORNIER (1815-1854). Ce couple eut trois enfants :

- Marie Marguerite Eugénie Louise née en 1834.
- Eugénie Marie Joseph né en 1841.
- Marie Octavie née en 1845.

Casimir FAURE décéda le vendredi 9 octobre 1863, à l'âge de 63 ans.


Lettre VI d'Hector BERLIOZ à Humbert FERRAND (p 21)

Dimanche matin.

Mon cher ami, ne vous inquiétez pas de ces malheureuses aberrations de mon coeur; la crise est passée ; je ne veux pas vous en expliquer la cause par écrit, une lettre peut s'égarer. Je vous recommande instamment de ne pas dire un mot de mon état à qui que ce soit; une parole est si facilement répétée, qu'elle pourrait venir jusqu'à mon père, qui en perdrait totalement le repos : il ne dépend de personne de me le rendre; tout ce que je puis faire, c'est de souffrir avec patience, en attendant que le temps, qui change tant de choses, change aussi ma destinée.

Soyez prudent, je vous en prie; gardez-vous d'en rien dire à Duboys; car il pourrait le répéter à Casimir Faure, et, de là, mon père le saurait.

Cette effroyable course d'hier m'a abîmé : je ne puis plus me remuer, toutes les articulations me font mal, et cependant il faut crue je marche encore toute la journée.

Adieu, mon cher ami.
Je vous embrasse.


Lettre VIII d'Hector BERLIOZ à Humbert FERRAND (p 23)


Grenoble, lundi 16 septembre 1828.

Mon cher ami,

Je pars demain matin pour la Côte, d'où je suis absent depuis le jour de l'arrivée de votre lettre. Il m'est impossible d'aller vous voir; partant le 27 de ce mois, je ne puis absolument pas parler à mes parents d'une absence. J'avais déjà causé de vous avec ma famille; on s'attendait à vous voir, et votre lettre a redoublé l'impatience avec laquelle on vous désirait. Ce désir, de la part de mes soeurs et de nos demoiselles, est peut-être un peu intéressé; il est question de bals, de goûters à la campagne; on cherche des cavaliers aimables, ils ne sont pas communs ici, et, quoique ce soit peut-être un peu pour moi que ce remue-ménage se prépare, je ne suis pas le moins du monde fait pour y répandre de l'entrain ni de la gaieté. J'ai vu Casimir Faure dernièrement chez mon père ; il est à la campagne chez le sien, et nous ne sommes séparés que par une distance qu'on franchit en deux heures. Robert est venu avec moi, il est le ménestrel adoré de ces dames.

Arrivez au plus tôt, je vous en prie; votre musique vous attend.

Nous lirons Hamlet et Faust ensemble. Shakspeare et Goethe! les muets confidents de mes tourments, les explicateurs de ma vie. Venez, oh ! venez! personne ici ne comprend cette rage de génie. Le soleil les aveugle. On ne trouve cela que bizarre. J'ai fait avant-hier, en voiture, la ballade du Roi de Thulé en style gothique; je vous la donnerai pour la mettre dans votre Faust, si vous en avez un. Adieu ; le temps et l'espace nous séparent; réunissons-nous avant que la séparation soit plus longue.
Mais laissons cela.
« Horatio, tu es bien l'homme dont la société m'a le plus convenu. » Je souffre beaucoup. Si vous ne veniez pas, ce serait cruel.
Allons! vous viendrez.
Adieu.

Demain je suis à la Côte. Après-demain mercredi, j'aurai à aider ma famille pour la réception de M. de Ranville, procureur général, qui vient avec mon oncle passer deux jours à la maison. Le 27, je pars; la semaine prochaine, il y a grande réunion chez la cousine d'Hippolyte Rocher, la belle mademoiselle Veyron.
Voyez !


Lettre XLVI d'Hector BERLIOZ à Humbert FERRAND (p 119)

Grenoble, 13 juillet 1832.

Eh bien, mon cher ami, nous ne pourrons donc pas parvenir à nous joindre? Quel diable de charme nous a donc été jeté ?... J'attends ici, depuis plusieurs jours, l'annonce de votre retour de Lyon, et voilà que madame Faure m'apprend que vous n'y êtes pas encore allé ! Écrivez-moi au moins, je vous en prie; donnez-moi de vos nouvelles. Je m'ennuie à périr ! je suis allé passer une journée à la campagne de Duboys, où nous avons moult parlé de vous. Sa femme est fort bien, mais rien de plus. Je vis depuis mon retour d'Italie au milieu du monde le plus prosaïque, le plus desséchant ! Malgré mes supplications de n'en rien faire, on se plaît, on s'obstine à me parler sans cesse musique, art, haute poésie ; ces gens-là emploient ces termes avec le plus grand sang-froid; on dirait qu'ils parlent vin, femmes, émeute ou autres cochonneries. Mon beau-frère surtout, qui est d'une loquacité effrayante, me tue. Je sens que je suis isolé de tout ce monde, par mes pensées, par mes passions, par mes amours, par mes haines, par mes mépris, par ma tête, par mon coeur, par tout. Je vous cherche, je vous attends; trouvons-.nous donc. Si vous deviez rester plusieurs jours à Lyon, j'irai vous y rejoindre; cela vaudra encore mieux que d'aller à Belley à pied, comme j'en avais le projet; la chaleur en rend l'exécution presque impossible.

J'ai tant à vous dire! et sur Ie présent et sur l'avenir; il faut absolument que nous nous entendions au plus tôt. Le temps ne m'attend pas, et j'ai peur que vous ne vous endormiez.

J'ai deux cent cinquante francs à vous remettre ; depuis longtemps, je vous Ies aurais envoyés si j'avais eu somme, et si je n'avais d'un jour à l'autre pensé vous revoir. Parlez-moi de tout cela. Casimir Faure se marie avec une charmante petite brune de Vienne, qui se nomme mademoiselle Delphine Fornier et qui a deux cent cinquante mille qualités. Il ira habiter Vienne.

Je vais retourner à la Côte dans peu ; ainsi répondez-moi là, et n'oubliez pas sur l'adresse de mettre mes deux noms pour que la lettre ne paraisse pas adressée à mon père.

Dieu, comme la chaleur hébète !

Adieu; tout à vous.

Source : Lettres intimes / Hector Berlioz , avec une préf. par Charles Gounod, Hector Berlioz, Edité en 1882


A la Chambre Des Pairs.

TOUTE autorité judiciaire doit être renfermée dans les limites d'une juridiction nettement déterminée ; mais il importe, surtout , aux libertés publiques , que le régime pénal soit fixe.

Ce dogme sans lequel il ne peut y avoir, ni stabilité pour le Gouvernement, ni sécurité pour les personnes, s'abaisse-t-il aux pieds de la Chambre des Pairs constituée en Cour judiciaire ? Exprimer des doutes à cet égard, aujourd'hui que de nouvelles lois ont soumis à la plus haute des juridictions une classe nombreuse de délits, c'est indiquer un malaise grave dans les esprits ; et il est de la véritable grandeur de la noble Chambre d'y mettre ira terme, en substituant enfin des dispositions immuables ou des déclarations solennelles aux incertitudes d'une jurisprudence essentiellement variable, et dont les précédents, qu'il importe de rassembler, ne sont malheureusement pas tous uniformes, malgré leur tendance bien caractérisée.

L'art. 33 de la Charte de 1814 attribua, sans autres dispositions, à la Chambre des Pairs, la connaissance des crimes de haute trahison et des attentats à la sûreté de l'État qui devaient être définis par une loi.

L'urgence de cette loi était pressante. C'était un devoir, avant de saisir la haute Cour d'une accusation, de déterminer: 1° les faits tombants sous sa juridiction ; 2° les règles de sa procédure ; et quant aux peines, son pouvoir d'application.

Cependant, il n'y avait pas été pourvu, lorsque la Chambre fut appelée à faire usage de l'autorité judiciaire que lui conférait la Charte.

La noble Cour, se créant une loi pour la cause, consacra elle-même sa juridiction, régla sa procédure et se fit un pouvoir sur l'application des peines.

C'était une nécessité; mais une nécessité regrettable. Qui, mieux que les nobles Pairs, connaît l'importance des doctrines sur la séparation des pouvoirs, ce dogme élémentaire de toute constitution libre ; et qui ne peut apprécier, d'ailleurs, le danger de faire des règles à soi-même, en présence des accusés, et sous l'influence des impressions suscitées par le fait consommé ?

La Cour des Pairs pouvait, seule, résister à une épreuve aussi périlleuse.

Entourant les accusés de toutes les garanties désirables, elle ne porta atteinte à la loi commune, que pour se montrer plus indulgente, en appliquant aux faits qualifiés des peines moindres que celles que prononçait sur eux la législation.

Deux arrêts furent rendus dans la conspiration dite militaire, à la date des 16 juillet et 24 novembre 1821. Ils ne prononcèrent que des peines empruntées au régime pénal, et condamnèrent tous les accusés présents à des peines simplement correctionnelles.

Ces arrêts offrirent un incident remarquable. Deux accusés, Laverderie et Maziau, avaient été déclarés coupables de faits entraînant, d'après la loi commune, des peines afflictives et infamantes. Les deux arrêts portent, en termes identiques pour ce qui les concerne : "que la majorité numérique des membres de la Cour qui a voté contre eux l'application des peines portées par l'art. 90 du Code pénal, et ce dans la conviction où elle est qu'il n' appartient pas à la Cour d'appliquer des peines qui ne sont pas celles prononcées par la loi contre le fait incriminé, ne formant pas la majorité des cinq huitièmes adoptée jusqu'à ce jour dans les jugements rendus par la Cour" ; l'obligation de choisir entre deux opinions, dont aucune n'a pu obtenir la majorité requise, entraîne la nécessité d'adopter l'opinion la moins sévère, et que cette opinion est qu'il y a lieu d'appliquer seulement la peine d'emprisonnement. Cette peine fut de cinq années, terme de la durée reconnue par le Code.

Ainsi, la majorité pensa que la Cour ne pouvait, sous aucun rapport, commander à la législation ; et, si l'arrêt la fit fléchir, ce ne fut que pour appliquer une peine écrite et moindre que celle dont la loi frappait le fait incriminé. Les arrêts, au surplus, en soumettant la condamnation à la durée établie par la loi commune pour la peine d'emprisonnement, consacrèrent, sans équivoque, ce principe d'éternelle justice, qu'en France la nature des peines n'est plus arbitraire.

On comprenait, depuis longtemps, la nécessité de déterminer par des dispositions générales la juridiction et la procédure de la Cour des Pairs ; mais si cette nécessité sociale n'avait pas été aussi universellement admise, les arrêts précités auraient ouvert tous les yeux.

La Chambre des Pairs, en effet, pouvait arrêter ces dispositions, ou par voie réglementaire, ou , tout au moins, par son concours législatif. Dans ces deux cas, la majorité simple déterminait la résolution et ce fut la minorité qui fixa (et qui dut fixer) la mesure des pouvoirs de la Cour dans l'affaire soumise alors à sa juridiction.

D'un autre côté, la Cour ne s'étant prononcée que pour l'affaire actuelle, sa décision ne la liait pas à l'avenir. Toutes les questions de compétence, de procédure et de pouvoir, devaient se reproduire, et pouvaient être résolues diversement. Quelle, épreuve, en ce cas, pour la confiance publique !

Aussi y eut-il , dès-lors , sentiment commun sur l'impérieuse nécessité d'organiser d'une manière nette et fixe la juridiction de la haute Cour.

Déjà, et depuis longtemps, les Pairs les plus avancés dans les idées constitutionnelles, et notamment M. Lanjuinais , avaient appelé, sur cette lacune déplorable, l'attention de la Chambre et la sollicitude du Gouvernement. Leurs efforts n'avaient eu d'autre résultat que de faire nommer une Commission d'examen.

C'est qu'on vivait alors sous l'empire d'une Charte octroyée et qui n'accordait qu'au Roi l'initiative des propositions de lois.

Était-ce au Roi, à la Chambre des Pairs ou aux trois pouvoirs, d'arrêter les dispositions dont chacun comprenait l'importance et la nécessité ?

Le conflit des opinions ne put se vider sur ce point préliminaire ; et l'incertitude sur le pouvoir constituant, priva le pays d'une résolution essentielle à sa constitution définitive.

Telle fut la cause qui paralysa toutes les tentatives faites à diverses reprises, pour organiser la juridiction des Pairs du Royaume.

Ainsi, le 21 avril 1821, le Roi avait fait présenter par son Garde-des-sceaux une ordonnance, ayant pour but de régler cet objet important, avec invitation aux nobles Pairs de communiquer leurs observations. Cette présentation, qui attribuait à la Couronne une prérogative contestée, suscita de vives réclamations, et fut s'engloutir dans les cartons de la Commission à qui elle fut renvoyée. Mais il est précieux d'y reconnaître la défense d'appliquer des peines que la loi n'a pas prévues.

Plus tard, pendant le cours du jugement de la conspiration dite militaire, et après, un Pair, M. Ferrand, ayant déposé en son nom, une proposition formelle dont l'objet était de pourvoir à l'organisation des pouvoirs judiciaires de la haute Cour, par voie de règlement ; cette proposition, renvoyée pareillement à la Commission, fit éclore un projet qu'il importe de rappeler.

L'art. 78 portait : "Les peines prononcées par la Cour des Pairs sont : la mort, la déportation ; la détention à perpétuité, le bannissement ; la détention à temps."

L'art. 79 ajoutait que, si le Code pénal prononçait une autre peine que celles portées en l'article précédent, la Cour des Pairs pouvait leur substituer celles-ci en les graduant d'après la gravité du crime et selon ce que la justice exige.

Ce projet jette un jour précieux sur l'esprit de la noble Chambre, car il posait trois principes : 1° sans disposition antérieure, les peines écrites dans le Code sont seules applicables, même par la haute Cour ; 2° si de nouvelles peines sont créées, ces peines seules peuvent être substituées aux peines du Code ; 3° la détention à perpétuité est indépendante de la déportation.

On ne pouvait mieux reconnaître qu'il n'appartient pas même à la noble Cour de sortir des peines écrites dans la législation.

Ce projet ne reçut pas de sanction , il est vrai, et fut indéfiniment ajourné le 26 mai 1822, mais ce ne fut qu'à cause du terme prochain de la législature, ou plutôt par suite des débats qui se reproduisirent sur le caractère constitutionnel qui devait être donné à la mesure et le pouvoir de qui elle devait émaner.

Tel était l'état des choses jusqu'à 1830. Jusqu'alors l'autorité judiciaire de la haute Cour est restée sans règles écrites : mais sa jurisprudence et les discussions de la Chambre révélaient nettement son respect pour le principe qu'il n'est permis à aucune juridiction, quelque haute qu'elle soit, de créer des peines nouvelles, ni même de déranger le système de celles qui existent , en dépassant la durée que la législation leur a assignée.

Cependant cette doctrine a paru ébranlée par deux arrêts rendus les 21 décembre 1830, et 11 avril 1831, contre les Ministres de Charles X.

Après avoir déclaré la trahison et reconnu qu'elle était dans la nécessité de suppléer à la loi qui n'avait pas déterminé la peine applicable à ce crime ; la Cour, au lieu de choisir parmi les peines écrites, a créé et appliqué la prison perpétuelle.

Impossible de méconnaître la portée de telles décisions si elles devaient servir de précédent à la juridiction de la haute cour.

La prison perpétuelle n'était pas alors, et n'est pas, même encore aujourd'hui, malgré les modifications apportées par les lois nouvelles à notre système pénal, parmi les peines écrites dans la législation. Les codes des 6 octobre 1791 et 3 brumaire an 4 l'avaient même expressément interdite, en haine et comme réparation des souvenirs antérieurs à la révolution de 1789. La prison perpétuelle? c'était la mort avec une longue et cruelle; agonie du corps et de l'intelligence. L'histoire la flétrissait trop sévèrement pour que le Code de 1810 osât la reproduire. Il ne le fit donc pas ; la durée de l'emprisonnement fut limitée à 5 ans ; et si la perpétuité fut admise pour d'autres condamnations dont l'effet est de priver le condamné de la liberté, ce fut avec des combinaisons de travail forcé, dont l'apparente rigueur a pour objet de préserver le coupable des mortelles conséquences d'une prison oisive.

La déportation, il est vrai, s'est convertie entre les mains de l'Administration, à défaut par le Gouvernement d'avoir fixé un lieu d'exécution, en emprisonnement dont la durée restait dans le vague; mais c'était là de l'illégalité administrative que son caractère provisoire et sa rare application, et peut-être aussi la nécessité des circonstances avaient seules soustraite à l'attention publique.

Jamais, d'ailleurs, la prison perpétuelle n'avait été prononcée par condamnation judiciaire.

Par l'arrêt du 21 décembre 1830, la noble Cour substitua irrévocablement, en ce qui concerne un des condamnés à la déportation, qui paraît lui avoir été infligée, la prison perpétuelle ! elle fit donc seule, pour un accusé, une peine qui n'existait pas alors, peine dont le nom fut inscrit pour la première fois, dans le projet de la Chambre indéfiniment ajourné le 26 mai 1822, et qu'elle n'a jugée devoir être consacrée que par les trois pouvoirs, lorsqu'elle a concouru avec les deux autres aux lois des 1er mai 1832 et 9 septembre 1835, qui, les premières, l'ont introduite dans le système français. Elle fit de plus cette peine irrévocable et définitive, tandis que ces lois l'ont déclarée essentiellement provisoire ; de sorte que ceux qui pourront être condamnés en vertu des dernières lois, profiteraient de l'établissement d'un lieu de déportation; tandis que celui qui, jugé passible de la déportation, a été condamné à la prison perpétuelle, ne pourrait le faire sans commutation de sa peine.

Cette dernière observation trouble d'autant plus les esprits que le projet du Gouvernement sur la loi du 1er mai 1 832, ainsi que le système de la commission de la Chambre des Députés, introduisaient dans notre législation la détention perpétuelle comme peine nouvelle et irrévocable; et ce fut la Chambre des Pairs, elle-même, qui réduisit l'innovation aux termes consacrés par les articles 1 4 et 17 de la loi du 1er mai 1 832 (7 et 17 du Code pénal actuel).

La prison perpétuelle n'est donc pas encore aujourd'hui une peine française et susceptible d'être l'objet d'une condamnation directe et principale, même dans le cas de déportation.

D'un autre côté, il est hors de contestation que l'arrêt du 22 décembre 1830, en ce qui concerne trois des condamnés, et celui du 11 avril 1831, rendu par contumace, contre les autres Ministres de Charles X n'ont point infligé la prison perpétuelle en remplacement de la déportation. Le mot de déportation n'est pas même exprimé dans le dernier de ces arrêts; et la mort civile, conséquence nécessaire de la déportation, ne fut appliquée par le premier, qu'à un seul condamné. La noble Cour sait d'ailleurs que la peine de la déportation fut posée sur tous les accusés et qu'elle fut écartée pour six d'entre eux.

Il n'est donc pas douteux que, par les arrêts précités, la jurisprudence de la haute Cour n'eût pris une direction nouvelle. Mais depuis, elle est rentrée dans son esprit primitif, en n'appliquant que des peines puisées dans la législation; et nul exemple n'a été donné, plus tard, d'une condamnation à la prison perpétuelle.

Ainsi, par arrêt des 13 et 17 août dernier, la déportation a été infligée à quelques-uns des condamnés; mais directement selon le voeu de la loi.

Ainsi la détention a été appliquée à d'autres ; mais dans les limites de cette peine créée par la loi de 1832.

Ainsi encore, un arrêt plus récent, rendu le 8 de ce mois, contre les accusés de la catégorie de Lunéville, a respecté la pénalité législative, en appliquant directement la déportation contre l'un d'eux, et renfermant les peines de détention et d'emprisonnement prononcées contre d'autres, dans les limites qui ont été respectivement assignées par la loi à chacune de ces peines.

Mais quelle sera la jurisprudence de la haute Cour à l'avenir ? Se reconnaît-elle le droit de déroger à la pénalité législative ? En ce cas, ou s'arrêterait ce droit ? La Cour peut-elle créer des peines nouvelles ? L'élasticité de celles qui sont écrites, peut-elle se prêter, entre les mains des Pairs-Juges, a dépasser les bornes mises par la loi à leur durée, élément essentiellement constitutif de leur caractère ? Ainsi, la noble Cour pourrait-elle condamner un citoyen à plus de vingt ans de travaux forcés ou de détention sans prononcer la perpétuité ; à plus de dix ans de réclusion ou de cinq années d'emprisonnement, nonobstant les art. 19, 20, 21 et 40 du Code pénal ?

Pourrait-elle puiser arbitrairement dans l'arsenal des peines écrites et en remanier la combinaison? joindre, par exemple, l'infamie à l'emprisonnement qui est une peine correctionnelle ? faire, enfin, une marqueterie pénale et désorganiser la législation criminelle : elle ! la noble Cour ! le pouvoir conservateur !

Ces questions sont pénibles à l'esprit public : plus pénibles encore à l'esprit du Juge, obligé de les résoudre en face des événements et des accusés.

Eh ! comment la nation ne les soulèverait-elle pas, lorsqu'elle en voit la solution réservée aux circonstances et à une appréciation mobile par sa nature ? lorsque surtout elle aperçoit, à travers une jurisprudence dont l'ensemble consacre le respect du régime pénal, des arrêts qui y dérogent, et dont l'exécution, prolongée par delà le terme légal assigné à la peine de la prison, s'élève comme un monument importun d'une omnipotence inconciliable avec les libertés publiques.

Sans doute, les arrêts rendus contre les Ministres de Charles X furent commandés par les circonstances. La noble Cour ne voulut point infliger la plus grave des peines admises par la législation ; et lorsqu'elle en créa une d'une nature nouvelle, elle eut évidememment pour objet de donner à l'irritation du moment une satisfaction qui, en sauvant l'ordre public et peut-être même la vie des accusés, violemment menacée, ne portait aucun préjudice réel à ces derniers, puisque la peine prononcée pourrait toujours être ramenée dans ses limites légales, par l'exercice de la puissance royale.

Honneur à de telles intentions !

Mais les conjectures des esprits éclairés, de ceux-là qui, seuls, ont suivi, à travers une période de vingt années , la direction des nobles Juges, ne suffisent pas pour rassurer le public, témoin d'un fait qui en dément le sens.

La loi du 9 septembre dernier, sans régler la juridiction de la Pairie, l'a étendue à une classe nombreuse de délits, qui jusqu'alors avaient été déférés à la juridiction commune. Si donc le malheur des temps appelle désormais la Pairie à faire un plus fréquent usage de son caractère judiciaire, il importe à la confiance du peuple français, de savoir s'il a plus d'un régime pénal ; car rien n'est plus antipathique à son caractère que le doute, le doute surtout qui s'attache à la loi !

Depuis longtemps la Nation attend des dispositions nettes et précises sur tous les objets qui se rattachent à la juridiction de la Pairie ; mais aucune question n'a d'importance à côté de celle qui demande compte à l'autorité judiciaire, du pouvoir relatif à l'application des peines ; et la raison en est sensible : les points de compétence et de forme peuvent au moins être débattus dans chaque cause, par les accusés et leurs conseils ; tandis que les questions soulevées par l'application des peines que les Juges arrêtent dans les mystères de la délibération, ne s'aperçoivent que lorsque la haute Cour a épuisé son caractère judiciaire par l'arrêt qui les révèle.

Il est donc urgent de dissiper les inquiétudes publiques sur le pouvoir de la haute Chambre, relativement à l'application des peines. Aussi a-t-on compris cette nécessité à la Chambre des Députés. Voici les paroles prononcées par M. Parant, rapporteur de la loi sur le jury, et les modifications introduites à l'art. 17 du Code pénal.

« La Cour des Pairs peut appliquer, telles peines que bon lui » semble, pourvu qu'elle choisisse parmi les peines écrites par la "loi" (Séance du 11 août 1835, Moniteur du 12).

Ces paroles sont claires assurément ; mais elles, ne sont pas émanées de la Chambre des Pairs, et manquent, ainsi de leur sanction naturelle.

Dans cette occurrence ,

Les soussignés, animés d'un amour sincère du bien public qui ne saurait être garanti sans l'inviolabilité de la pénalité écrite ; sentiment auquel la haute Chambre est priée de rendre justice, ainsi qu'à leur profond respect, supplient les nobles Pairs de vouloir bien rassurer la Nation sur les garanties dues aux libertés publiques, en arrêtant, sans attendre d'avantage, par la voie qui leur paraîtra la plus constitutionnelle, ou tout au moins en déclarant hautement :

Que, dans l'exercice de sa compétence judiciaire, la Cour des Pairs ne peut appliquer d'autres peines que celles qui sont écrites dans la loi au moment du délit, ou les peines plus douces qui seraient introduites par une loi postérieure.

Vienne, le 16 décembre 1835.

Signé : Casimir FAURE, Avocat. GILAS, ancien Bâtonnier, membre du Conseil de discipline ; Auguste MASCHET, Avocat, membre du Conseil de discipline.


Les Avocats au barreau de Vienne , soussignés, invités par M. Casimir Faure, l'un d'eux, à émettre leur opinion sur une pétition qu'il se propose d'adresser à la Chambre des Pairs, touchant sa compétence comme Cour judiciaire aux termes de l'article 28 de la Charte, n'hésitent point à reconnaître la vérité du principe développé dans cette pétition.

Il faut distinguer, en effet, le pouvoir de juridiction qui constate les crimes et délits et leur applique les peines, et le pouvoir législatif qui définit les crimes et délits et établit les peines qui leur sont applicables.

L'art. 28 de la Charte a conféré à la Chambre des Pairs un pouvoir de juridiction limité à certains crimes ; mais la Charte ne lui a pas délégué l'exercice de la puissance législative qui crée les peines.

L'établissement des peines est une des garanties que le souverain se donne à lui-même pour la conservation de l'ordre social dont il est l'arbitre suprême ; les peines ne peuvent donc être que l'oeuvre de la loi, expression vivante de la souveraineté.

Il suit de là que si la Chambre des Pairs peut arbitrairement choisir et graduer les peines dans leur application aux crimes dont elle connaît en Cour judiciaire, son pouvoir s'arrête devant les dispositions organiques du régime pénal.

Il est donc hors de doute que la Chambre des Pairs ne peut pas appliquer d'autres peines que celles qui sont établies par la loi existante à l'époque où ont été commis les crimes.

Toute substitution d'une peine nouvelle aux peines établies est une illégalité.

Cette vérité ressort particulièrement du principe établi par l'art. 4 du Code pénal de 1810, que l'art. 59 de la Charte a maintenu dans toute sa vigueur. Elle est aussi la conséquence des droits garantis à tous les français par les art. 1er et 4 de la Charte. Elle se fortifie en outre des doctrines professées dans le sein de la Chambre des Pairs, et de sa propre jurisprudence.

Dans un cas, il est vrai, celui de l'arrêt du 21 décembre 1830 , la noble Cour en a jugé autrement. S'il est permis de signaler une illégalité dans une inspiration d'humanité et de clémence, il faudra reconnaître aussi, que ce fut bien moins une décision purement judiciaire qu'un acte de haute politique, dont l'appréciation n'appartient qu'à l'histoire.

Unique dans ses causes et par les circonstances qui le déterminèrent, cet arrêt, dont le souvenir éveille un sentiment d'indulgence et de pitié, se soustrait à la froide logique du jurisconsulte et lui impose un respectueux silence

Mais l'autorité du principe n'en subsiste pas moins.

Attendu y cependant, que toute usurpation de pouvoir, quel qu'en soit le prétexte, est toujours alarmante pour la liberté publique, et qu'il entre dans les vues de tout bon citoyen d'en prévenir le retour, les soussignés, sous ce rapport, adhèrent avec empressement au voeu exprimé par le pétitionnaire , pour qu'une loi ou tout autre acte en forme constitutionnelle vienne incessamment définir et circonscrire dans ses justes bornes la compétence et les pouvoirs dont la Chambre des Pairs est investie par l'article 28 de la Charte.

Délibéré à Vienne, le 18 décembre 1835.

Signé : ALMÉRAS-LATOUR, bâtonnier ; H. BLANCHET , COUTURIER , membre du Conseil de discipline , ancien député ; TREMEAU, membre du Conseil; J.-F. PEROUSE, membre du Conseil; SAINT-PIERRE.

Source : A la Chambre des Pairs. [Au sujet de sa juridiction. Signé : Casimir Faure, Gilas, Aug. Maschet, 16 décembre 1835.] (gallica.bnf.fr)

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