dimanche 2 février 2014

Au temps des volontaires - 1792 : lettre n°11

Jeudi, 19 janvier 1792, à une heure de l'après-midi. 

Nous n'avons rien vu. Pas de troupes ennemies dans les environs. Pas de vedettes autrichiennes à Perl. Mais il y a près d'ici un beau pays qui dépend du Luxembourg. Au bout d'une plaine immense entouré de montagnes boisées et que parcourt la Moselle, on découvre au moins un petit bourg appelé Remich, et toute cette pleine est parsemée d'un grand nombre de villages. Tout ce pays si beau est encore plongé dans l'esclavage. Apach dépend encore de la paroisse de Perl, malgré la différence de nation. Si je mourais ici, ce dont je serais bien fâché, il faudrait m'enterrer à Perl. Quelqu'un qui voudrait se marier ici serai obligé d'aller à Perl. On va à la messe à Perl, à moins que le vicaire de Perl ne la viennent dire ici. Je ne sais si cela vous paraît aussi étrange qu'à moi, mais il me paraît qu'on aurait pu lui mettre un ordre. Comment ! Les étrangers, des ennemis continuent à nous administrer ! J'espère qu'après la guerre que nous allons faire bientôt, ces étrangetés cesseront. Pourtant, les habitants d'Apach ont profité de notre constitution pour ne pas payer la dîme au curé de Perl, et ils ne l'ont même pas payé pour les terres qu'ils possèdent sur le pays de Trèves.


Portrait de Mme Durival, dite "mémère", mère adoptive de Joseph-Louis-Gabriel NOEL

De leur côté ceux de Perl ont dû trouver bien agréable de ne plus payer pour les terres qu'ils ont en France, et je pense que leur intérêt leur fera bientôt ouvrir les yeux et réclamer à leur gouvernement le même état de choses qu'en France. Les habitants d'ici sont aristocrates en général, et ils vont à la messe à Perl avec beaucoup de ferveur. Je tiens tout ce que je vous dis là d'un employé en service ici, car les gens du pays n'entendent pas un mot de français. Il y a ici un carme de Lunéville qui est du pays de Trèves ; mais il n'ose y aller, il serait bâtonné. Il dit la messe dans la chapelle du village et a demandé au curé de Perl la permission de chanter vêpres, mais cela lui a été refusé par ce curé aristocrate.

Il vient de passer ici 40 chevaux de remonte pour notre armée. Il en a déjà passé aux environs de 18 000 venant d'Allemagne. Je suis bien étonné qu'on leur donne passage. Comment nos ennemis n'ont ils pas la prudence d'empêcher notre armée de se renforcer en ce qui lui manque ?

C'est décidément un vilain métier que celui de cuisinier. Il faut que je vous quitte encore pour aller me mettre en tête-à-tête avec une marmite. La viande n'était pas assez cuite ce matin, et j'ai grand intérêt à ce qu'elle le soit tantôt. Adieu mémère et ma sœur. Quand nous serons pauvres, je saurai vous faire une bonne cuisine à bon marché. Pour 6 sols chacun par jour, nous vivrons bien et toujours bons amis, bons enfants et fidèles les uns aux autres.


Source :  Au temps des volontaires - 1792, lettres d'un volontaire de 1792 (Joseph-Louis-Gabriel NOEL), par Gabriel NOEL, Plon-Nourrit, 1912

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